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1
MEMOIRES
INÉDITS
D£ MADAME LA COMTESSE
DE GENLIS.
TOME V.
De rimprtmerie de G. Schalze, 18, Poland Street.
MEMOIRES
INÉDITS
DE MADAME LA COMTESSE
DE GENLIS,
POUR SERVIR A L'HISTOTRB
DES
DIX-HUITIÈME ET DIX-NEUVIÈME SIÈCLES.
TOME CINQUIÈME.
A PARIS,
ET LONDRES CHEZ COLBURN,
NEW BUBLIN6TON STIIBBT.
1825.
MEMOIRES
DE
M«^ LA COMTESSE DE GENLIS.
Le premier mois de mon séjour à Berlin fut un véri-
table enchantement pour moi ; je revis toutes n>es
connoissances et tous mes amis^ qui me témoignèrent
encore plus d'empressement qu^aù premier voyage :
chacun s'occupa de mon amusement^ on me mena
au spectacle, on me ât faire des parties charmantes
dans les environs. Nous allâmes jusqu'à Sans-Sou-
ci, où j'allai recueillir une quantité de souvenirs du
grand Frédéric ; et en parcourant ces appartemens,
dont on avoit respecté les meubles et toutes les
vieilleries, je me confirmai dans Vidée que j'avois de-
puis long-temps, que les aperçus et les réflexions pré-
tendues philosophiques de certains auteurs, dans les-*
quels leurs partisans trouvent tant de profondeur,
ne sont en général que des niaiseries et des faussetés.
TOMB V. 1
2 MÉAiOIREâ
M. de Volney, dans un de ses ouvrages, dit que, pouf
juger parfaitement du caractère, des inclinations, dii
genre d'esprit, d'un homme qui n'existe plus, dont il
n'auroit jamais entend^ parle% avec lequel il n'auroit
jamais eu le moindre rapport, il lui suffii*oit de se
trouver à son inventaire et d'examiner avec une i«-
tention philosophique ses DSfeubles, ses habits, ses bi^
joux, ses livres, etc. ^ parce que toutes ces choses, par
leur sdlidité ou leur frivolité, lui donneroient une
idée complète du personnage. Ainsi donc, si l'on eût
transporté M. de Volney, Ce profond penseur, dans
le» appartemèns du grand Frédéric, comme il n'y
auroit vu que des meubles et des draperies couleur
de rose et argent^ que des gravures et des tableaux
mythologiques, et une c<dlection de tous les bijoux
les plus fragiles, et de tous les colifichets des bouli'-
qiies françaises, comme il auroit trouvé dans la bi«-
bliothéque on nombl*e infini d'ouvrages licencieux ^
de poésies frivoles, il auroit certainement pensé que
le défunt) dont nous supposons qu'il auroit ignoré le
nom, étoit «m jeune Sybarite entièrement dépourvu
de méiilte et d'esprit ; et cependant ce prétendu Sy-
barite étoit vai vieux guerrier, le plus gvand capitaine
de son temps, le rdi le plus vigilant^ le p^us laboriark,
et '^) mi milieu de ses ^aperies couleur de it^se,
ctfttclM^ tôujouiis avec ses bettes. Voilà comme
cfèfs w^ssSeuTS ont jugé tant de fois et sans appel 1
La^«q)â;rt de m)â voyagetirs moderne ent^adopté
BE MADAME DB .<3£NLIS. 3
cette manière de juger, qui, au reste, est commode ;
car alors il suffit d'entrevoir pour connoiti«, ce qui
épai^e beaucoup de temps etde recherches fatigantes.
Il en résulte qu'un vojrage n'est qu'un recueil de con-
jectures. Il ne falloit aux anciens voyageurs jque du
boAsens etde la vétiacité; il faut aux nôtres une
pénétration admirable. U n'est pas bien étonnant de
peindre fidèkmEent ce qu'on a .bien examiné : il est
merveilleux de donner une idée juste et précise de
ce qu'on n'a pu que deviner. Pour moi, qui ne suis
qu'une voyageuse très-vulgaire, je ne jugerai jamais
par induction ; voici là-dessus ce qui m'est arrivé*
J'avois entendu dire que les protestans, ennemis dans
leur culte de toute décoration', n'ornoient jamais
leurs églises de vases de fleurs. Etant depuis peu
de jours à Hambourg, je me promenois seule, un
matin, aux environs de cette ville ; ^e vis réunis plu-
sieurs jolis jardins de paysans, entourés seulement
d'une petite haie. J'entrai dans un de ces jardins^
il étoit rempli de légumes, à l'exception d'un petit
carré pkm de flçurs charmantes, cultivées avec soin.
Je savois assez l'allemand pour &ire quelques ques^
tions et pour entendre quelques phrases. Je félicitai
la bonne paysanne qui me recevoit, d'avoir ce goût
pour les fleurs ; elle me répondit qu'elle les cultivoit
pour l'église. Surprise de ce fait, je m'écriai: ^^Quoi!
<
pour l'église î-:~Otrf, reprit-elle, ces flewrs ^ontf mites
pmar être des bouquefts d'égUsey^vouS trmv^rtz ia
1 *
4
MÉMOIRES
même chose dans tous les jardins.'' Cela étoit positif^
néanmoins^ pour n'avoii: aucun doute là-dessus, j'en-
trai dans cinq ou six autres jardins. Je vis partout
le même carré de fleurs, et partout on me fît la même
réponse sur leur usage. E^n rentrant chez moi,
j'écrivis sur mon journal que les paysans de ce canton
avoient une piété que je voudrois voir aux catholiques,
et qu'enfin les églises de Hambourg, ainsi que les
nôtres, étoient ornées de fleurs. Si j'étois partie de
Hambourg le lendemain, j'aurois à jamais gardé cette
opinion, et j'aurois laissé une erreur sur pion journal.
Quelques jours après, j'allai dans un temple protes-
tant, persuadée que j'y trouverois beaucoup de vases
. de fleurs. Il n'y en avoit point; mais je vis un
grand nombre de villageois qui tous avoient un bou-
quet à la main. J'étois avec un Hambourgeois que
je questionnai là dessus, et qui me dit : " Tous ces .
paysans portent ces bouquets pour montrer qu'ils
ont une propriété, qu'ils possèdent du moins un petit
coin de terre. Aussi, dans tous leurs jardins, ils
cultivent une plate-bande de fleurs pour les bouquets
de t église. Ceux qui, parmi eux, n'ont aucune pro-
priété, n'oseroient> dans ce lieu solennel de rassem-
blement, porter un bouquet; Jes propriétaires ne
soûffriroient pas qu'ils en eussent. Ainsi les fleurs
ici sont dea marques d'honneur, c'est une vanité
d'un nouveau genre qui s'en pare." D'après cette
explication, j'effiiçaî dans m^^n journal mes belles
DB MADAMB DB GBNLIS.
réflexions sur la piété des paysans hambourgeois^ et
tout ce que j'avois écrit sur les bouquets d'église.
Ceci prouve combien les voyageurs doivent être en
garde contre les apparences, et combien il est facile,
en pays étranger, de se tromper et de porter de faux
jugemens, alors même que Ton croit avoir pris toutes
les informations possibles.
Je reviens au grand Frédéric. La personne qui
m'avoit menée à Sans-Souci étoit petite-fille de M.
, Jordan, Tami intime du grand Frédéric^ et dont ce
prince fit la fortune par reconnoissance des preuves
d'intérêt qu'il en avoit reçues durant 6a disgrâce et
son exil lorsqu'il n'étoît encore que prince royal. Ce
grand prince fut toujours le plus reconnoissant des
hommes. On nous conta de ce monarque et de sa
cour plusieurs* traits d*un autre genre. En voici
trois qui me paroissent assez plaisans pour être
contés. Lorsque le roi faisoit de petits voyages, il
avoit coutume d'emmener avec lui Voltaire. Dans
une de ses courses. Voltaire, seul dans une chaise de
poste, suivit le roi. Un jeune page que Voltaire,
quelques jours auparavant, avoit fait gronder avec
sévérité, s'étoit promis de s'en venger; en consé-
quence, comme il alloit en avant pour faire préparer
les chevaux, il prévint tous les maîtres de poste et
les postillons que le roi ayoit un vieux singe qu'il
aîmoit passionnément, qu'il se plaisoit à faire habiller
à peu près comme un seigneur ^e la cour, et qu'il s'en
MKMOIRB»
feisoit toujours suivre dans .tous ses petits voyages;
que cet animal ne respectoit que le roi^ et quHl étoit
d'ailleurs fort méchant ; que si^ par hasard, il vouloit
sortir de la voiture, on> se gardât bien de le sofiffirir.
D'après cet avertissement, lorsqu'aux postes. Vol-
taire voulut descendre de sa voiture, tous les valets
d'hôtellerie s'y opposèrent formellement; et lors-
qu'il étendoit la main pour ouvrir la portière, on ne
^jnanquoit jamais de donner sur cette main deux ou
trois coups de canne, et toujours en faisant de longs
éclats de rire. Voltaire, ne sachant p(vs un mot
d'allemand, ne pouvoit demapder l'explication de
ces étranges procédés ; sa fureur devint extrême et
ne servit qu'à redoubler la gaieté des maîtres de
poste, et, d'après les rapports du petit page, tout
le monde accouroit pour voir le singe du roi et
pour le huer. Le voyage se passa de la sorte ; et, ce
qui mit le comble à la colère de Voltaire, c'est que le
roi trouva le tour si plaisant, qu'il ne voulut point
en punir l'inventeur. Ainsi la vengeance du jeune
page fut complète.
Ou sait combien ce prince aimoit la musique. Un
soir, venant de se coucher, il ' crut entendre une
symphonie lointaine et charmante. Aussitôt il se
lève, ouvre une fenêtre, et rçconnoît avec sur-
prise que cette musique pianissimo, à deux parties,
s'exécute près de la guérite de la sentinelle en faction
sou^ son appartement. Il appelle cette sentinelle^
I
DE MADAMB I>JS 6BNUS. /
rinterroge^ et son étoBoeznent redouble en apprenant
que c'est ce soldat qui produit Tillusion de cette pré-
tendue symphonie en jouant à la fois, et avec peiw
fection, de deux guimbardes. Le roi, ne concevant
pas ce prodige, ordonne au soldaJb de monter chez
lui. Le soldat^ répond : " C'est impossible ; je dofe
garder ma consigne/'-*" Mais je suis le roi."—" Je
le sais ; mais je ne puis être relevé que par mon
colonel.^' A ces mots le roi, du premier mouvement,
se fâcha; mais la sentinelle lui dit que, à'il obéissoil,
il le feroit punir le lendemain pour avoir manqué à la
discipline. Alors }e roi loua sa fermeté, referma
sa fenêtre, se coucha, et^ le jour suivant, fit venir
ce soldat, l'entendit avec admiration, lui donna ein^
quante frédérics et son congé. Ce. musicien d'un
genre si nouveau a fait fortune en parcourant l'Al-
lemagne. Quelques années après, je l'ai entendu à
Hambourg. Il alloit jouer dans les niaisons, il exi-
geoit qu'on éteignit toutes les lumières, et, lorsqu'il
jouoit, on croyait véritablement entendre une belle>
symphonie dans le lointain.
Un autre trait moins généreux, mais qui prouve
aussi la ' passion que ce monarque avoit pour la
musique, est l'anecdote sur notre feuneux Duport, le
premier violoncelle de l'Europe. Appelé en Prusse
par le roi, il comptoit ne passer à Berlin que cinq ou
six mpis. Le roi, sUchant qu'il se disposoit à partir,
chargea quelques-uns de ses musiciens de lui donner
8 MÉMOIRES
une espèce de fête et de Tenivrer. Lorsqu'il fut
dans cet état^ ou lui fit signer, de bonne volonté, un
engagement par lequel, entrant dans un régiment
du roi, il s'y trouvoit au nombre deà tambours, de
sorte qu'il n'auroit pu quitter la Prusse sans s'ex-
poser à la peine de mort comme déserteur. Ce fut
ainsi que ce grand artiste se^ fixa dans le Bmnde-
bourg. Il fut d'abord désespéré; mais une forte
pension, un excellent mariage le consolèrent. Il
habitoit Sans-Souci avec sa famille lorsque j'allai
visiter cette maison royale. 11 revint en France
depuis la révolution, quelques années après moi, et
je l'ai entendu jouer du violoncelle au concert spiri-
tuel avec un éclatant succès. Il avoit alors soixante
et dix-sept ans.
Ce fut à mon second voyage de Berlin que l'on
loua, pour la première fois, une tragédie allemande,
intitulée : Octavie, épouse de Marc- Antoine. Voici
le récit fidèle de cette singulière représentation à
laquelle j'assistai. La toile se lève, une musique
douce se fait entendre, et4'on voit dans un beau lit
égyptien, ou romain, ou grec (je ne sais lequel), mais
un lit à rideaux relevés élégamment en draperies, et
à moitié entr'ouverts ; on voit, dis-je, Antoine et
Cléopâtre couchés et endormis dans les bras l'un de
l'autre sous une' superbe couverture de pourpre. Au
bout d'un moment, Cléopâtre se réveille ; elle regarde
Marc- Antoine, lé baise au fronts et ensuite se lève.
DB MADAME J>B GENLIS. 9
Alors la musique cesse. Apparemment que Tusage
des reines d'Egypte étoit de se coucher tout habil*
lée^y car Cléopâtre sort de son lit légèrement vétue^
mais avec l'habit qu'elle garde durant tout ce premier
acte. Elle appelle ses femmes, non pour se mettre
à sa toilette, mais seulement pour leur parler de son
amour. Pendant cette conversation, Antoine, qui,
comme on voit, a le sommeil un^ peu dur, se réveille
enfin, et, s'arrachant aussi de son lit, vient entretenir
Cléopâtre de sa passion. Telle est l'exposition de
cette pièce. Le troisième acte offre une situation
aussi décente et beaucoup plus singulière. La ver-
tueuse Octavie vient chercher son infidèle époux;
elle pénètre jusque dans l'appartement de sa rivale,
qu'elle trouve tête à tête avec Marc- Antoine. Ce
dernier, loin de montrer de l'embarras, harangue
sa femme et sa maîtresse et les attendrit l'une et
l'autre. * Alors il les pfend toutes les deux à la fois
dans ses bras. Les deux rivales, dans cette situa-
tion, fondent en larmes et s'embrassent. Antoine,
cpmme époux et comme amant, jouit avec transport
de cette noble et touchante réunion; il les âerre
contre son sein et les embrasse toutes deux à son
tour. Voilà une scène neuve et des sentimens peu
communs!. ...
Je dois dire que le lit* de Cléopâtre et d'Antoine
* Voici une anecdote intéressante snr les lits.
Le roi de Suède, quelque temps atant sa mort tragique, fit une
10
MÉMOIRES
scandalisa le public; il fut supprimé à la seconde
représentation : on ne changea d'ailleurs rien à la
scène ; mais, au lieu du lit à rideaux^ on mit sur le
théâtre un canapé, sans retrancher la couverture dé
pourpre. Les amans étoient de même couchés en-
semble, endormis, etc. ; mais, comme il n'y avoit
pins de lit, tous les spectateurs furent satisfaits : les
prudes seules murmurèrent sourdement qu*elles
aimèroient encore mieux un fauteuil qu'un canapé*
Ce rigorisme outré auroit mené loin si Ton y eût
cédé : on eût fini par exiger que Cléopâtre et Marc-
Antoine passassent la nuit ensemble sur des tabourets.
La sagesse n'est jam^^is dans les extrêmes, ainsi
le canapé resta au théâtre.
J'ai vu aussi jadis, à Paris, la première repré-
sentation d'une Octavie de M. Marmontel. Il y
avoit quelques belles scènes; mais, vers la fin, un
personnage venant dire à Auguste, e,n parlant, de
Cléopâtre : Seigneur^ elle est vivante^ on éclata de
rire, et la pièce tomba. Peut-être que, sans ce mot
ridienle, elle auroit pu se soutenir pendant quelques
^représentations. Je conçois bien qu'avec beaucoup
elrate èe cberalet se cassa lè bn»j lorsqo^il fat goéri, la bourgpeoisie
de Stockholm consacra une sommepour entretenir à perpétuité, à i^faô-
pital royal^ an certain nombre de Uis» où i*on traite s^tis les firac-
tures de bras et de jambes de ceux qui s*y font transporter. Ces lits
furent nommés lits de Loulais, en mémoire ^ camp de LonlaiS) où
Taccident étoit arrivé au roi. -^Note de r Auteur J
DE MADAMB DJB GENLIS.
11
dé mérite on fasse ^ un Quyrage très-foible ; je ne
conçois pas qu'un bon littérateur laisse dans un
ouvrage un seul vers absolument ridicule, dans un
^ temps où le goût et la langue sont tout-à^fait formés.
Cela pou voit arriver à Corneille, et non à Racine.
La ThêhàiAe est tombée, parce que cette tragédie
est foible de style et dHntérêt ; mais on y ti'ouv.e
déjà le germe du talent admirable de son auteuri
l'élégance, la noblesse, la sensibilité et elle ne contient
pas une seule expression ridicule^.
L'affection de mademoiselle Bocquet pour moi
semblait s'accroître tous les jours. Cela dura tout
l'été et une partie de l'automne. Mes Petits Emigrés
parurent et eurent le plus grand succès. Cependant
ma santé étoit toujours languissante; j'avois dans la
tête le plan des Mères rivale^, mais je n'avois pas
la force de commencer cet ouvrage. Je fis^ durant
ce temps, mes Heures à l'wage desjeunes personnes»
Ce ùxt alors qu'il arriva à mademoiselle Bocquet,*
dii fond de la Russie, une. petite pensionnaire si
singulière, que je ne puis m'empécher d'en parler
ici. Elle avoit six ans, l'air de la vivacité et de
rintelligence, et elle ne disoit.pas une seule parole,
à l'exception de deux pu trois petits àiots en&ntins
*>On trouve quelques expressions ridicules dans les pièces de
Corneille, mais la langue n'étoit point encore formée. Espèce
de création due surtout â Raciney Pascal, Bo6s\iet, çtc— f'iVb/f th
VAuieurJ
12 MÉMOIRES
t
dans la langue de son pays. On la'fit examiner par
les meilleurs chirurgiens de Berlin^ qui déclarèrent
unanimement que sa seule volonté pouvoit l'empêcher
de parler^ et d'autant plus qu'elle n'avoit aucune
espèce de surdité ; elle étoit si intelligente^ que par
ses mines et ses gestes elle pouvoit exprimer tout ce
qu'elle vouloit. Mademoiselle Bocquet imagina d'en
faire son eçpion^ et elle apprenoit d'elle dans le plus
grand détail tout ce qui.se passoit en son absence à
la classe ; ce qui produisit parmi les pensionnaires
une infinité de tracasseries, parce qu'elles s'accusoient
mutuellement de ces dénonciations^ étant bien loin
d'imaginer que h, petite niuette put les avoir faites.
Comme dans ce temps mademoiselle Bocquet me
disoit tout^ ce secret m'étoit coiinu, et j'eus bien de
là peine à le garder^ d'autant plus que j'étois per-
suadée que la' petite fille y mettoit de l'exagération et
de la malice. Cette enfant, extraordinaire dans son
genre, représentoit à mon imagination une petite
princesse enchantée; elle me domia l'idée de mon
conte, intitulé: le Maillot sensible et raisonnable,
que je fis d'abord maimscrit pour mademoiselle Boc-
quet, à laquelle je le donnai ; et depuis, sur Ja même
idée, j'éii ai composé un autre que j'ai fait imprimer»
Mademoiselle Bocquet m'avoit donné un médecin
qui me droguoit à l'excès, et qui me faisoit un maf
affreux. Une de mes amies, inquiète de l'état où
j'étois et de mon dépérissement visible, me mena chez
DE MADAME DE GENLIS. . 13
M.' Zelly premier médecin du roi, que je consultai :
il me dit que, si j'avois différé encore deux ou trois
mois, je ^ serois tombée dans un état sans ressource ;
il m'ordonna de jeter toutes mes drogues par la
fenêtre, et de me mettre pendant deux mois aux ca-
rottes pour toute nourriture, en prenant une cuillerée
de jus de raifort tous les jours dans ma soupe : ce
régime en effet, que j'eus le courage de prolonger
deux mois de plus, me sauva la vie et me rendit la
santé. Je m'aperçus que mademoiselle Bocquet me
savoit mauvais gré d'avoir quitté son médecin ; mais
une autre cause produisit entre nous deux un extrême
refroidissement. J'ai déjà dit qu'elle avoit une
belle -sœur femme de son frère, madame Bocquet.
Cette dernière, âgée de vingt-cinq ou vingt-six ans,
joignoit à une jolie figure beaucoup d'esprit, des
talens, l'âme la plus sensible, et le caractère le plus
aimable. J'avois bien remarqué que mademoiselle
Bocquet ne l'^moit pas, et lorsqu'ellç vit qu'elle me
plaisoif, elle m'en dit beaucoup de mal ; elle ne pou-
voit pas attaquer sa conduite, qui étoit celle d'un
ange, mais elle m'assura qu'elle- étoit excessivement
fausse, et c'étoit un indigne mensonge. D'un autre
côté, madame Bocquet ne me parloit de sa belle- sœur
qu'avec éloge. Cette différence commença à me
donner mauvaise opinion du caractère de mademoi-
selle Bocquet. Un incident très-frivole la fit écla-
ter ; on se fait^ en Allemagne, des présehs à Noël;
14 MÉMOIRES
madame Bocquet, qui avoit déjà pour moi une vive
amitié^ me donna les Nuits d' Young, elle avoit écrit
' sur la première page de cet ouvrage ces mots : Je
ïaime assez pour vous V offrir ^ et elle me donna en
outre une charmante petite canne (ce qu'on appelqit
alors une badine) avec des orneniens en or et émail-
lée^ qui^ comme la sienne, avoit une petite corne re-
courbée de chamois, et il y avoit un ruban d'or émaillé
en bleu autour de la canne, sur lequel ces mots étoient
gravés en lettres d'or: Dou:f: présage; c'étoit une -
allusion au fait suivant. La première fois que je vis
madame. Bocquet, lorsqu'elle vint m'embrasser, sa
petite canne à corbin s'accrocha dans mes cheveux
d'une telle manière, que nous ne pouvions plus nous
séparer, et c'est ce que rappeloit la jolie devise de la
canne qu'elle me donna, ^e fus charmée de ces deux
présens ; j'en parlai et je les louai avec la vivacité
qui m'est naturelle ; mademoiselle Bocquet le& dé-
nigra avec une aigreiùr inconcevable, et sa jalousie
fut au comble en voyant madame Bocquet venir cons-
tamment deux fois par jour chez moi. Cette con-
duite extravagante ne m'empéoha pas de me rappeler
tous les bons procédés de mademoiselle Bocquet ; je
voulus m'expliquer avec elle pour l'adoucir et la ra«>
mener : elle me* répondit avec un emportement qui
me confondit. Jamais l'amour n'a été plus exclusif
et plus déraisonnable. J'engageai M. Mayet, son
ami et le mien, à lui parler, rien ne put lui faire en-
BE MADAMB DK GENLIS. 16
tendre raison : elle vouloit que je rompisse brusque"
ment avec madame Bocquet^et que je refusasse n6tte<^
ment de la recevoir chez moi. Je ne cédai nullement
à cette fantaisie, et de- ce moment, mademoîsoile
Bocquet me pri1^en horreur. Je m'obstinai toujours
à penser qu'avec un peu de patience, je la rendrois à
la raison ; d'ailleurs je ne pouvois la quitter sur-le-
champ, car, par mcâ arrangemehs, j'étois obligée de
passer encore trois mois chez elle. Elle poussa la
fureur jusqu'à faire des tracasseries à madame Boc*
quet auprès de son mari ; elle étoit devenue si acre
et si violente, que, sous le prétexte de l'austérité de
mon régime, je pris le parti de manger seule dans ma
chambre. Alors, ne gardant plus de mesure, elle
poussa jusqu'à un point incroyable les mauvais pro-
cédés; elle fit ôter de nm chambre plusieurs jolis petits
meubles qu'elle avait fait faire pour moi, et un grand
et beau couvre-pied de taffetas piqué et ouaté et tout
neuf, qu'elle remplaça par une vieille couverture d'in*»
dienne remplie de pièces. Je mangeais mes carottes
an bouillon qu'elle avait fait faire jusque-là avec tout
le soin possible. Ce bouillon devint de l'eau avec un
peu de graisse ; il serait trop long de détailler toutes
les persécutions de ce genre qu'elle m'a fait essuyer,
mais il en est une qui me fut mille fois plus sensible
que toutes les autres : elle commanda à Jenny de me
quitter, lui ordonnant de prendre une place de maî-
tresse des élèves dans sa maison ; Jenny étoit très en
16 MÉMOIRES
état de remplir cette place. J'avois perfectionné son
écriture et son orthographe, elle me devoit le talent
de lire tout haut avec un agrément infini, et même
les vers. Je lui avois donn^ des leçons d'histoire et
de (icssin pour les fleurs, qu'elle peignoit très-joli-
ment. Jenny répondit^ avec, fermeté que rien aii
monde ne pourroit l'engager à me quitter volontaire-
ment. " Eh bien, reprit mademoiselle Bocquet» vous
la quitterez de force.*' Jenny étoit catholique au
fond de l'âme, comme je l'ai dit 5 et l'on a vu que,
fidèle à ma parole, je n'avois pris aucune part à cette
conversion; elle n'avoit fait encore aucun acte public
de catholicité : c'étoit un secret entre nous deux. Ce-
pendant mademoiselle Bocquet assembla un conseil
de famille, oà il fut décidé juridiquement que Ton
m'ôteroit sur4e-champ Jenny, parce que sa religion
étoit en danger avec moi; on signifia cet arrêt à
Jenny, qui répondit avec courte que, si l'on persis-
toit à vouloir l'ôter d'auprès de moi, on n'avoit pas
le droit de l'empêcher de retourner à M agdebourg,
sa patrie, auprèâ dé ses sœurâ aînées, dont la moins
jeune avoit vingt-six ans, et qui vivoient du travail
de leur broderie. Mademoiselle Boc([uet se mit dans
une fureur épouvantable ; Jenny, malgré sa douceur
et sa timidité, ne s'en effraya nullement ; le chagrin
de me quitter lui donnoit une force surnaturelle. Ma-
demoiselle Bocquet finit par lui dire qu'elle ne lui
donneroit pas d'argent pour aller à Magdebourg ;
DB UADAHB DS 6KNUS.
17
alors je lui en donnai, et en outre tout ce que je pos-
sédois en fourrures et en habits ouatés, car nous
étions dans le cœur de l'hiver ; elle partit, au grand
étonnement de mademoiselle Bocquet. Cette sépa-
ration nous fit verser bien des larmes. Je ne trouvai
de consolation que dans l'amitié de madame Bocquet.
J'étois réellement bie^ malheureuse: n'ayant point de
femme de chaçibre, privée de ma chère Jenny, n'étant
presque plus servie par les servantes de la maison,
qui avoient ordre de se borner à allumer mon poêle
deux fois par jour et à m'apporter un grand morceau
de pain pour ma journée et un plat de carottes crues,
car j'avois renoncé au bouillon de graisse de mademoi-
selle Bocquet. Je faisois cuire moi-même mes ca-
rottes à l'eau, et sans madame Bocquet, c'eCLt été là
toute ma nourriture ; mais elle venoit me voir deux
fois par jour, et elle m'apportoit des petits pots de
gelée de viande qu'elle fainoit exprès pour moi, des
confitures et des petits pains délicieux. Tant de
contrariétés, malgré mon excellent régime, me ren-
dirent très-malade pendant trois semaines: il me
survint des, clous qui me firent cruellement soufirir ;
j'en avois un que je ne pouvois panser moi-même';
l'angélique madame Bocquet se chargea de ce soin
deux fois par jour. Mademoiselle Bocquet ne m'avpit
pas permis de prendre ni une femme de chambre, ni
une autre demoiselle de compagnie.
J'avois encore une autre amie qui étoit fort aimable
18 MSM01RB8
et foct intéressante^ elle s'appeloit mademoiselle
Itzig j elle aVoit vingt-huit ans^ et elle étoit aveugle
depuis Tàge àe^ quatorze, de l'opération mal faite de
la cataracte. Âj^ant eu tous les meilleurs maîtres
jusqu'à Tâge de quatorze ans, elle avoit conservé un
goût passionné pour la musique, sa voix étoit char-
mante, elle avoit la meilleure méthode de chant, et
elle s'accompagnoit du piano. Nous fîmes beaucoup
de musique ensemble ^ et, comme elle avoit une in-
telligence singulière, j'entrepris de lui apprendre à
s'accompagner de la harpe et à jouer des petits airs;
j'en vins parfaitement à bout. Ce fut pour elle que
j'inventai les petites harpes à dix et à vingt cordes,
pour exercer les doigts en voiture, et dans tous les mo->
mens; ce qui l'avança prodigieusement. Madame
Bocquet m'amena plusieurs fois une de ses amies, ma-
dame la comtesse de Thadden, elle étoit jeune et belle,
et dame du palaisr de la reine. Elle avoit un n\ari plus
âgé qu'elle de quinze ans, et qui avoit, à tous les
cb&ngemens de saison, des accès de folie furieuse.
Depuis sept ans que madame de Thadden étoit m^
riée, personne au monde ne s'en doùtoit. Seule elle
le soignoit avec un vieux valet de chambre, sans être
effrayée par ses transports ; il est vrai qu'il la recon-
noissoit et qu'elle Tappaisoit en lui parlant. Qui que
ce fût né se doutoit de ce malheur : on croyoit seule-
ment qu'il étoit souvent malade ; quand «es accès
étoient. passés, il étoit fort raisonnable. Mais enfin
DE MAJIXA.MB 1>E GENLIS. ^ 19
m
ce mal empira tellement^ que, sur la fin de mon séjour
à Berlin, il fut connu de tout le monde ; il eut un
accès si furieux, qu'après avoir brisé son lit, il voulut
se jeter par la fenêtre. Madame de Thadden et le
valet de chambre, ne pouvant le retenir, appelèrent à
grands cris du secours : tous les domestiques accouru-
r«it aussitôt et le virent dans cet état. C'est aind
que l'on découvrit la conduite admirable de madame
de Thadden, dont tout le reste de la vie étoit d'accord
avec ce dévouement héroïque.
Mademoiselle Bocquet ne savoit qu'une partie des
soins que sa sœur me rendoit. J'avoi& deux entrées
à mon logement, l'une par l'appartement de mademoi-
seDe Bocquet, et l'autre par un petit escalier dérobé
de mon cabinet, et qui donnoit dans un petit coin de
la cour, hors de la vue des fenêtres de mademoiselle
Bocquet ; nous mettions beaucoup de mystère dans
notre commerce. Madame Bocquet venoit me voir,
en paësant chez sa soeur, deux ou trois fois la semaine,
et seulement une fois par jour. Le reste du temps
elle passoit par mon petit escalier. Pendant long-
temps mademoiselle Bocquet, qui ne venoit plus du
tout chez moi, crut que sa belle-sœur ne me voyoit
qu'après lui avoir fait une visite ; mais* enfin elle ap-
prit, par son espionnage, que nous passions presque
toutes nos journées ensemble 3 alors elle fit tous ses
êjSbrts pour engager son frère à le trouver mauvais,
mais heureusement ce fut en vain. Le printemps
vint m'afFranchir de toutes ces persécutions, dont je
20 > MEMOIR£S
ne rapporte pas la moitié. Je reçus de Targent de
me» dialogues ou itinéraires^ que j'avois faits pour
l'utilité des émigrés, seule réponse digne de mioi à
tous les libelles anonymes dont j'étois l'ohjet, et qui
parut universelleoient si noble et si touchante, que
depuis on n'a plus osé écrire contre moi. Cet ouvrage
parut si utile en Allemagne, qu'il fut décidé qu'il se-
roit employé comme ouvrage élémentaire pour ap-
prendre lé français dans toutes les écoles.
A propos d'écrits anonymes, j'en avois fait un
aiissi, mais le motif en étoit estimable : j'avois vu
dans les papiers publics que MM. de La Harpe et
Suard étoient persécutés et obligés de se cacher pour
éviter la mort ou la déportation. M. de La Harpe et
M. Suard n'étoient point mes amis: j'avois rendu
plusieurs services au premier, et nous étions brouillés
depuis long-temps, c'est-à-dirç plus de six ans avant
la révolution ; mais la situation de ces deux per-
sonnes m'intéressa si vivement, que le désir de leur
être de quelque utilité, me fit concevoir l'idée de com-
poser un petite ouvrage intitulé V^mi des.talens et
des arts. Le nom d'une femme n'àuroit pu que dimi-
nuer le poids de mes réflexions ; je cachai mon nom.
L'ouvrage fut imprimé et débité à Paris, afin qu'on
pût l'attribuer à un citoyen français. J'avois pris
pour épigraphe ces vers de M. de La Harpe :
Beaux-arts, c^est pour vous seuls qu*aujourd*hui je vous aîme !
De mon cœur, de mes jours, vous êtes les soutiens,
ie jouis des travau^ qui surpassent lès miens.
DE MADAME DE GSNLIS. n 21
Voici quelques fragmens de l'ouvrage*
^^•Un despotiisme sanguinaire nous a privés depuisr
long-temps de la plus grande partie des talens utiles
et agréables dont la France s'honoroit encore. Les
artistes s'expatrièrent. Les muses, amies de la paix,
allèrent la chercher sous un ciel étrasgei: : c'est ainsi
que jadis, à la chute d'un empire célèbre, chassées
par les furies, elles s'échappèrent de la Grèce, et fu-
rent se réfugier dans un autre climat. En France,
Robespierre, un poignard à la main, leur défendit de
revenir, les déclarant émigrées et déchues de toutes
leurs possessions; mais leur bien véritable est la
gloire, qui ne se confisque point, que Ton porte en tous
pays, et dont la persécution rehausse encore l'éclat.
A cette époque affreuse, quelles furent mes in-
quiétudes pour les gens de lettres et les artistes que
j'ai connus! Ah! j'ai craint même pour ceux qui
m'ont donné jadis des preuves d'inimitié ! en songeant
à leurs dangers, je n'ai plus vu que leurs talens.
Uami des lettres et des arts^ dans ces jours de pros-
criptions, ne devoit plus penser à ses ennemis \ et ne
pouvoit que regretter ses juges. Quel est celui qui
s'élanceroit avec enthousiasme dans la carrière, s'il
s'y trouvoit saps concurrens î C'est la crainte d'être
slirpassé qui donne des ailes dans la course ; et les
palmes de la victoire n'ont de prix que par les mains
22 MKMOIRRS
qui les distribuent, et par les rivaux qui les àispu*
tent. • • 9
DsjïB ces temps désastreux, je pleurai encore le
chantre harmonieux des jardins!» .. le poëte illustre
qui sut évoquer le génie de Virgile, comme Pope
fut inspiré par celui d'Homère ! Je vis Delille
traîné dans les prisons ; le croyant plongé dans le
fond d'un cachot souterrain, je me le représentai
privé de jour et d'espérance, récitant les vers ad-
mirables des catctcombe^ de Itome*\... Grâce au
ciel il a survécu au tyran^ et j'ai vu depuis, avec
joie, ce nom si cher aux nuises, sur la liste (hélas 1
si peu étendue I) des gens de lettres qui aous restent.
'^ Si Ips conquérans et les chefs des nations qui
n'ont pas respecté les mpnumens matériels produits
par les arts, ont, dans tous les siècles, passé pour
des barbares, que dii^-t-on des hommes féroces qui
détruisent les inventeurs mêmes de ces arts, on
ceux qui les cultivent avec succès ou qui ks perfec*
tionnent ? Dans les temps les plus reculés,, les grands
talens eui^ent toujours le droit heureux de désarmer
* Ce poëme alors n^étoit pas imprimé, aîusi que ploBÎeura anireB
poèmes de ]*autear ; s^il etit péri on perdoit à la fois le poète et les
ouvrages -, car, se reposant sur sa mémoire, il n'écrit jamais les
vers qu'il compose, que lorsqu'il veut les livrer à rimpression.
( Note de VA vêeur.)
1)£ MADi^MB DE GENLIS. 23
la colère, la haine et le reBsentiment. L'antique fable
et l'histoire prouvent également combien les anciens
ont poussé loin ce sentiment de respect et d'admira-
tion. Jlomère, en traçant la scène sanglante des
vengeances de l'implacable fils de Laërte, lïous re<*
présente ce prince cruel et vindicatif, attendri par
IcB sons de la lyre de Pfaémius, et n'épargnant que
ce chantre fameux* Dans Thistoire, nous voyons
l'atelier de Polignote protégé par les ennemis mêmes
de son pays ; la maison de Pindare respectée par des
soldats acharnés au pillage | Marcellus, entrant
vainqueur dans Syracuse, voulant honorer le grand
homme dont le génie avoit rendu le siège si périlleux
et si difficile*, et parcûssant inconsolable en appre^
nant aa mort; Auguste, tout^puissant, outragé de
la maniée la plus sensible, bornant sa vengeance à
l'exil du séducteur de sa fille. Nous devons à cette
indulgence les meilleurs ouvrages d'Ovide, qui furent
composés depuis cette époque. ••, Nous trouvons
dans ridstoire moderne ui»e foule de traks semblables:
on sait avec quelle générosité Charlemagae, admira-
teur des talens ^ Paul Diacre, lui pardonna la
hardiesse ^ ses réponses, et son a^ttachenoent pour
la Emilie de Didier. Tout le nu^nde connoît le té-
faoignage touckant d'estime «t d'admiration ijue les
evMDemis de . Louis XIV et de la France donnèrent
24 MÉMOIRES
à Fénélon^ lorsque, ayant pénétré dans nos provinces,
et, selon l'aSreux droit de la guerre^ ravageant les
campagnes qu'ils parcouroient, ils n'épargnèrent que
les terres et les possessions de l'auteur de Télé-
moque.
^^ L'homme qui possède un grand talent bien
dirigé, n'appartient pas au seul pays qui l'a vu naître ;
toutes les contrées où Ton cultive les sciences et les
arts devroient avoir le droit de le réclamer, quand ses
jours ou sa liberté sont menacés dans sa patrie : s'il
est coupable envers elle, que l'exil soit son châti-
ment; mais quelle barbarie d'attenter à ses jours ! Eh
quoi ! la gloire qui l'environne, ses travaux passés,
ceux qu'on peut encore en attendre, tant de motifs
d'admiration, de gra);itude et d'espérance, ne doivent-
ils pas le défendre ou l'absoudre !.••••• Bienfaits
qui se transmettront à la postérité la plus reculée, de
ces chefs-d'œuvre qu'il nous laisse, que vous retrou-
verez sur vos théâtres, dans vos monumens, dans vos
muséums et vos bibliothèques !• ; • • Si le grand Cor •
neille, engagé dans une conspiration, eût péri sur un
échâfaud, quel sentiment éprouveroit-on en voyant
représenter Cinnuy .PolyeuciCy les Horaces ? etc.
^^ Tous les savans, les gens de lettres et les artistes
distingués par de grands succès, ont droit à cette
indulgence 5 et même, sans avoh* atteint ce haut point
de réputation, il suffit qu'ils soient^ entrés avec éclat
dans la carrière. ,Qui peut savoir le point où ils peu-
DB MADAMB DB GENLIS. 25
▼éht s'arrêter ? Milton, n'ajrant fait encore que des
ouvrages agréa^bles, s'attacha à l'usurpateur Cromwell,
et profana cette plumé destinée à l'immortalité^ en
faisant ra£&euse apologie de l'assassinat des rois.
Charles 11^ monté sur le trône^ lui accorda un géné-
reux pardon, et Milion fit depuis le Paradis perdu
De combien d'ouvrages charmans et de découvertes
admirables ne serions-nous pas privés, si, dans tous
les temps, on n'avoit pas eu plus d'indulgence pour
les savans et les littérateurs que pour les hommes
vulgaires ! Sans cette clémence, dont la reconnois-
sance publique semble &ire un devoir, Prior en An-
gleterre, seroit mort en prison, et le fameux chance-
lier Bacon eût péri mir un échafaud. £nfin, notre
siècle profiteroit-U de là plus grande et de la plus
utile découverte qu'on ait faite en physique, si, au
commencement de la guerre d' Amérique, le gouver*
nement anglais eût mis à prix la tête de Franklin, et
eût trouvé des assassins-?
'^ D'ailleurs, obi^ervons, à la gloire des lettres et
des arts, qu'en général les granàs talens acquis sont
le gage des bonnes mœurs ; il faut un -temps si pro-
digieux pour les perfectionner et pour les entretenir,
qu'il n'en reste pas pour le vice ou pour l'intrigue.
Peiit-on séparer de la saine littérature, l'étude de la
morale ? Ah ! qui peut aimer la vertu, que celui qui
a passé sa vie à réfléchir sur les devoirs de l'homme ?
Un bon écrivain moraliste peut sans doute s'égarer ;
ÏOIIE V. 2
26 « MÉMOIRES
mais on n'aura jamais à lui pardonner que des erreurs
passagères et non une longue suite d'actions crimi-
nelles ou vicieuses*
te
La vertu réunie au génie etttux talens^ voilà les véri-
tables appuis de la puissance ••••».•.,...••
Ce sont les arts qui ont immortalisé les beaux siècles,
de Périclès, d'Auguste, de Charlemagne, de François
V',, des Médicis et de Louis XIV, Rappelons-nous
que ce ne fut ni par la terreur, ni en accordant de
nouveaux privilèges aux patriciens, que le second des
Césars ût oublier les fureurs du triumvira^ : guerrier
sans génie et' même sans courage, tyran barbare^
teint du sang de ses concitoyens, 41 asservit son pays,
il sacrifia sans remords à son ambition, la vertu, la
liberté publique et l'humanité : cependant il obtint
le pardon de tant de crimes;. • ..que dis-je? il fut
aimé ! Il usurpa la gloire ainsi que l'empire de l'uni-
vers. C'est qu'assis sur le trône, il expia ses forfaits
par la clémence,' qu'il sut pardonner, et qu'il eut pour
amis Mécène, Horace et Virgile.
ce
^^ Ah ! pour le bonheur de, mon pays, puissent
ceux qui le gouvernent maintenant rendre aux lettres
et aux arts la splendeur éclatante dont on les vit
briller sous le règne de ce prince fameux, qui dut le
surnom de grand non à ses conquêtes, mais à l'en-
thousiasme des muses, reconnoissantes !"
Je fais encore aujourd'hui ce même vœu, et avec
DE BflADAMB DE GENLIS. 27
plus d' espérance^ sous le r^gne d'un monarque plus
justement chéri que ne le fut l'empereur romain^
puisque sa vie fut toujours aussi pure que son carac-
tère est magnanime. Quel ami des arts ne désire pas
revoir dans sa patrie un vieillard qui sera toujours la^
gloire et l'honneur de l'école française^ alors même
que son génie n'auroit produit que l'inimitable tableau
du serment des Horaces ! Je l'ai blâmé^ j'ose le dire,
avec énergie^ dans le temps de ses erreurs ; mais il
est -malheureux, il est exilé, il gémit sous le poids de
la vieillesse et des infirmités, je ne vois plus en lui
que son infortune et son talent sublime. Enfin, tout
le rappelle à ma pensée quand j'admire les talens su-
périeurs de ses élèves 3 oui,, les nombreux chefs-
d'œuvre de Gérard, de Girodet, de Guérin, de Gros,'
etc., semblent implorer son rappel : et la gloire,
la conduite, les sentimens de ces illustres artistes
leur donnent à cet égard les droits les plus tou-
chans.
Parmi mes ennemis les plus ardens se trouvoit un
personnage qui ne l'étoit point du tout par esprit de
parti, mais uniquement parce que j'avois très^mal
parlé, disoit-il, de son maître J.-J. Rousseau, dont il
étoit le disciple le plus passionné, M. le chevalier de
'Meude-Monpas (c'étoit son nom) ; il fit beaucoup
d'écrits et de vers contre moi. Ou pourra juger de
son talent poétique par la petite pièce de vers suivante,
,2*
28 MÉMOIRES
qu'U fit pour rendre raison de son excedsive senai-
biUté:
Je rtoM conter lliifllaire siogolière,
Qui m^anriTa diuis le sein de ma mère.
s
' Je passe ici six vers dans lesquels il raconte que
sa mère portoit dans son sein trois jumeaux, hii, son
frère et sa sœur^ et il poursuit ainsi :
Mon ftère étoit d'en oemmerce faroadie ; '
Ma triste sœur n'oaTrmt jamais la bovche ;
Je m'emiuyois . . comme un triste héritier ;
Un jour enfin, fatigué du métier.
Je poignardai mon Arère et cette belle^
I Je fis cela sans leur chercher querelle :
Cur il vaut mieux assassiner les gens ^
, Que de propos, les fatiguer long4emps.
Si ma conduite aux yeux^aroit immonde,,
*
Avois-je alors quelque usage du monde ?
Mais poursuiroDS • . Quel étoit mon dessein ?
D^aToir troU cœmrê . .Je fouillai dans le sein .
Et de ma sœur et de mon triste frère.
(Ah ! quel fracas pour ma dolente mère !)
Je m^emparai du cœur de chacun d*eux.
Croyant par-là me rendre plus heureux 3
Funeste erreur ? . .je Téprouye sans cesse.
Tous les tourmens Tiennent de la tendresse, etc.
Le jour de la naissance de mademoiselle Boequet
arriva peu de temps avant notre séparation. Ck)mme
on reçoit, à cette époque, des présens ^e ses-%pii8| je-
lui (envoyai un beau couvre-fûed de taffetas piqué et
ouatté, en lui &isant dire que je le lui offrois, parce
DS MABAMS DB 6BNLIS.
29
qu'ils me paroissoient rares dans sa maison ; je lui
donnai en outre un charmant déjeuner de porcelaine
avec deux salières d'argent. J'ëtois depuis un an
chez elle ; j'y avois été par&itement pendant neuf
mois, et pour une si modique pension, que, loin d'y
gagner, mademoiselle Bocquet avoit dû y mettre du
sien : il est vrai que les trois derniers mois n'avoient
pas dû lui coûter k prix que je donnois. Elle reçut
mes présens avec une extrême surprise, mais elle les
accepta. La veHle de mon départ, il y eut une scène
qui la mit hors d'elle-même : il y avoit à Potsdam
une dame fort riche nommée madame la comtesse de
Schmalensée, que je ne connoissois point du tout, et
qui m'écrivit qu'elle avoit besoin d'une demoiselle de
compagnie, qui fût en même temps gouvernante
d'enfims ; qu'elle vouloit la tenir de ma main 3 qu'elle
la prendroit sur ma seule recommandation ; qu'elle
désiroit qu'elle eût entre trente-^nq et quarante ans^
et qu'elle me prioit de la lui envoyer : elle me détail*
loit le sort qu'elle lui feroit, qui étoit très-lucratif et
très-beau. Je pensai sur-le-champ à Jenny; je
répondis, je la proposai : quoiqu'elle n'eût que dix-
huit ans, elle fut acceptée^ Alors, dans ma réponse,
je demandai qu'on l'envoyât chercher jusqu'à un lieu
que j'indiquai, qui étoit à trois lieues, de Berlin.
J'écrivis à Jenny, qui accepta de son côté avec beau-
coup de reconnoissance, et qui se rendit au rendez-
vous. Un beau matin, on vit arriver à la porte de la
30 MÉMOIRES
pension une grande berline à six chevaux^ qui
s'arrêta devant la porte de la maison de mademoiselle
Bocquet ; cette dernière, avec plusieurs de ses élèves,
se mit à la fenêtre, et leur étonnement fut extrême
eft voyant descendre Jenny de cette belle voiture.
Jenny entra d'abord chez sa tante, et lui conta d'un
air triomphant sa bonne fortune, répétant qu'elle
étoit doublement heureuse, puisqu'elle ne la devoit
qu'à moi seule. Mademoiselle Bocquet resta cons-
ternée, et Jenny accourût chez moi, se jeta à mon
cou en fondant en larmes. Je pleurai aussi de bon
cœur ; ce moment fut d'autant plus doux, que ma*
dame Bocquet étoit dans ma chambre, et qu'elle par-
tagea du fond de l'âme notre attendrissement et nojkre
joie. Cette aventure causa un tel saisissement à ma-
demoiselle Bocquet, qu'elle «en fut malade toute là
soirée.
Au moment de- mon départ, qui fut à midi le len-
demain, je passai dans l'appartement de mademoiselle
Bocquet pour lui faire mes adieux : je me rappelai
dans cet instant ses anciens procédés, et ce ne fut
pas sans émotion que j'entrai dans son cabinet ; mais
la froideur glaciale et même la rudesse de son accueil
changèrent promptement ce premier mouvement, qui
seroit devenu fort tendre si elle l'avoit voulu. Ce-
pendant je l'embrassai 3 elle me regarda avec des
yeux flamboyans de colère. Je me hâtai de me
retirer ; elle ne me fit même pas la politesse de mo
D£ MADAME DB GENLIS 31
reconduire. Je traversai son salon où je trouvai trois
de ses élèves, entre autres mademoiselle de Gerlach,
jeune personne charmante dont j'ai déjà parlé 5 elle
se précipita dans mes bras en pleurant. Dans ce
moment, nous entendîmes mademoiselle Bocquet
agiter violemment toutes ses sonnettes; ce carillon
me fit peur, je me sauvai, et j'allai au plus vite re-»
joindre mademoiselle Itzig, qui m'attendoit dans la
voiturej elle me conduisît hors de la ville, à peu de
distance de la porte de Silésie, dans une belle maison
royale où Ton fabriquoit des canons. Il y avoit dans
cette maison de très-beaux appartemens : mademoi*
selle Itzig m'en fit prêter un charmant au premier,
meublé avec beaucoup d'élégance, et dont j'eus
l'entière et libre disposition pendant quatre mois.
Je m'établis là avec une nouvelle demoiselle de coni-^
pagnie qui avoit quinze ans ; nous étions très-bien
-. servies par la femme d'un canonnier, qui de plus
fai^oit notre cuisine. Cette femme étoit jeune et
joHe, je me pris d'amitié pour elle ; je remarquai
qu'elle portoit constamment un jupon vert : elle avoit
le jupon vert des jours ouvriers et le jupon vert des
dimanches, et elle m'apprit dans nos entretiens
qu'elle devoit à un jupon vert son mariage et son
bonheur, et qu'elle s'étoit promis d'en porter toujours
un; elle me conta son histoire, sur le fond de laquelle
j'ai fait Ja nouvelle intitulée, Ida^ ou le Jupon vert,
et dont M. Radet a fait un vaudeville fort agréable et
32 ' MBMOIRBS
qu'on joue encore. J'ai pris dans Témigi-ation plu*
sieurs autres sujets de nouvelles. Un de mes amis,
M. Parandier, revenant de Dresde^ me conta Thistolre
du tombeau de mademoiselle Bause^ sur lequel une
main inconnue déposoit des fleurs tous lés jo^s
depuis deux ans. J'ai fait sur ce trait la nouvelle
qui a pour titre : Les Fleurs funéraires ou la MéUm,'
çolie ; j'ai donné à M. Fiévée plusieurs sujets de
contes^ entre autres ceux qu'il a intitulés ; la Ven^
geance et Vlnnocence. La première est l'histoire
d'une dame de Sléswig, et la seconde celle d'une
jeune Française émigrée très-aimable, npmmée ma-
, demoiselle J^iZÂo».. Je tiens d'elle-même sa singu-
lière histoire, dans laquelle M. Fiévëe a mis beaucoup
d'esprit, comme daxxs tout ce qu'il fait ; mais cette
anecdote eût demandé surtout de la naïveté. Ma
tête est tellement romanesque, que souvent les plus
légers incidens me fournisseiit des sujets de romans :
j'ai déjà compté le trait de la rose (que je vis passer
sur l'Alster), incident que j'ai placé dans les Mères
rivales.
Je passai cinq mois dans ce bel appartement qu'on
m'avoit prêtée j'étois tout-à-fait voisine de madé-
moiselle Itzig, qui occupoit à câté de moi une char-
mante maison avec un superbe jardin, où j'alloistouA
les matins me promener ; en outre j'étois entourée de
promenades délicieuses que m'offroient les champs
et les bois des. environs* Mademoiselle Itzig et ma^
». '
DE MADAMB DB GENLIS. 33
dame Bocquet venoient dans cesse alternativement
me prendre en voiture pour me faire faire des courses
de trois ou quatre lieues, et quelquefois plus longues
encore. J'allai dans le château de M. le comte de
VosSy où j'entendis pour la première fois une chose
ravissante, et qui, si elle étoit universellement établie,
donneroit de plus aux champs un charme inexpri-
mable : c'étoient des vaches rassemblées en troupeau
et portant à leurs cous des sonnettes harmoniques
formant, avec une extrême jus^sse, Taccord parfait
majeur dans plusieurs octaves hautes et basses. On
n'a pas d'idée de cette délicieuse mélodie ; quand elle
est un peu lointaine, c'est une musique céleste dont
le vague et la douceur agissent si puissamment sur
l'imagination, qifil est impossible de l'écouter sans
une vive émotion.
On me mena aussi voir l'arbre intéressant des ré-«
fttgiés, du temps de la révocation de l'édit de Nantes;
il est tout couvert d'inscriptions touchantes, qui
expriment Tamour de la patrie et la douleur de l'avoir
quittée. On 'me conta d'eux à ce sujet une chose
touchante dont je vérifiai l'exactitude. Ces réfugiés
avoient imaginé de donner, aux environs des lieux
qu'ils habitoient, les noms de plusieurs villages de
France, et ces espèces de sobriquets patriotiques
étoient restés à la plupart de ces villa^s» Je vis
encore dans ces courses, et avec un grand plaisir,
Potadam, le ch&teau de marbre, etc. Je repris, durant
2**
I
34 MÉMOIRBS
cet été, tout moB.aQcien goût pour la botanique?
j^allois avec ma petite demoiselle de compagnie her-*
Iboriser dans les bois ; nous avions vis-à-vis de notre
maison une marchande de petits gâteaux : j'en ache-
tois de temps en temps pour en donner à des polissons
de la rue, qui, par reconnoissance, me suivoient en
troupes dans les bois ; ce qui m'étoit fort agréable^
parce qu'ils cueilloient pour moi des moissons de
plantes, que j'avois un grand plaisir à rapporter chez
moi pour les peindre et pour en faire un herbier.
Un soir que je revenois de la promenade, je ren-
contrai une petite fille à genoux qui coupoit de
l'herbe 5 sa tête étoit penchée, et ses beaux cheveux
blonds bouclés lui cachoient tout le visage ; je m'arr
rêtai pour lui parler, alors elle releva la tête, jeta ses
cheveux en arrière, et me découvrit le plus beau
visage du monde ; je la questionnai, et en apprenant
qu'elle étoit fort pauvre, et que ses parens demeu-
roient à deux cents pas de là, je la priai de me con-
duire dans leur chaumière ; je trouvai en effet des
paysans très-malheureux ^ je leur demandai de m'en-
yoyer leur fille deux ou trois heures dans la journée
en ajoutant que je lui ferois faire un petit habillement;
ils y consentirent avec joie. Cette enfant avoit huit
ans ; je lui promis, si son caractère me plaisoit, de me
charger d'elle, de la prendre avec moi et de l'élever.
Depuis que j'étois émigrée, j'avois toujours désiré un
enfant, et n'en point avoir du tout me parois^oitla
I>B MADAME Bfi GBNLIS. 35
plus grande de toutes les privations. Cette enfant
vint régulièrement chez moi : elle étoit d'une douceur
extrême^ jolie comme un ange ; je me passionnai
pour elle ; et, au bout de quinze jours, je la demandai
à ses parens. .Ils acceptèrent sans hésiter cette pro*
position : il fut convenu qu'elle iroit toujours coucher
chez eux, tant que je resterois à la campagne, et que
je la prendrois tout-à-fait quand je retoumerois à
Berlin ; en attendant, je lui fis faire un trousseau
complet que j'envoyai dans une petite malle chez ses
parens»
J'éprouvai dans ce temps une aventure ' qui me
contraria beaucoup : un matin, ma petite demoiselle
de compagnie me demanda la permission d'aller à
Berlin, en me promettant de revenir pour le dîner ;
j'y consentis, mais elle ne- revint même pas pour '
coucher, et je restai deux jours toute seule^.dans ce
grand appartement, sans entendre parler d'elle. Enfin
je reçus une lettre qui m'apprit qu'elle étoit eu prison
pour vols bien constatés, et qu'ayant été interrogée
sur ce qu'elle étoit, elle avoit dit qu'elle étoit ma
fille. J'allai conter cette ridicule histoire à made-
~ moiselle Itzig, qui se chargea de ma réponse et de
prendre des informations sur le fait. 11 se trouva
qu*en effet cette fille étoit une voleuse : elle comparut
à un tribunal, où elle fut condamnée à être enfermée
dans une maison de correction pendant trois ans* Je
cherchai une autre compagne, et M. Delagarde, mon
36
MEMOIRES
libraire, me donna sur*le*champ sa nièce, jeune
personne de dix*huit ans, fort agréable, et dont j^ai v
été très^contentet Le lendemain de son arrivée,
comme nous étions dans notre salon, dont les fenêtres
donnoient sur la rue, nous entendîmes arrêter à notre
porte une voiture à six chevaux j mademoiselle De-
lagarde regarda par la fenêtre/ et elle vit que cette
voiture étoit entièrement chargée de fleurs dans des
caisses et dans des pots, et des paniers de fruits.
Nous enviâmes la personne à laquelle ce beau présent
étoit destiné) un seul homme étoit dans la voiture, il
en descendit, et un instant après on sonna à notre
porte. Ma joie fut extrême en apprenantque c'étoit
à moi que toutes ces choses étoient envoyées, de la
part de madame la comtesse de Schmalensée, la dame
<i)i€^ laquelle j'avois placé ma chère Jenhy. Cette
dernière, aimée de cette dame comme elleméritoitde
l'être, Tavoit engagée à me faire ce superbe et char-
mant envoi ; les fleqrs et les fruits étoient de serre et
d'une beauté admirable. Je donnai presque toutes
les fleurs à mademoiselle Itzig, mais mademoiselle^
Delagarde s'opposa à ma libéralité pour les fruits,
qui firent, tant qu'ils durèrent, les délices de nos
déjeuners.
Je tntvaillai, dans cette maison, à mon roman des ^
Mères rivales, dont je fis là en quatre mois et demi
la plus ^ande partie ; je l'avois vendu d'avance à M.
Delagarde : le marché étoit fait à cent francs la
DE MU>AUB BB GENLIS. 37
feuille^ U m'avoit donné quelque argent d'avance. Je
croyok ne faire qu'un gros volume^ ce que j'avois an»
nonce à M. Delagardé. Il se trouva' que j'en fie
deux;" je craignis qu'il n'imaginât que je l'avois
allongé pour avoir plus d'argent. Je ne pus suppor*
ter 'cette idée, et je lui dis que je ne lui demandoii^
que le prix d'un volume de 370 pages ; il fut très-
surpris de ce procédé dont la délicatesse étoit si
exagérée, qu'elle alloit jusqu'à la folie.* Telle a
toujours été ma conduite avec les libraires ; celle
qu'en général ils ont eue avec moi a été fort différente,
à très-peu d'exceptions près.
Sur la fin de l'automne, je retournai à Berlin ; au
moment de partir, je demandai ma petite paysanne
pour l'emmener^ mais ses parens me déclarèrent
qu'ils ne me la donneroient qu'à condition que je
leur fexois présent de soixante frédérics d'or. Il me
fut impossible de donner cette somme ; je n'eus pas
cette enfant, et je la regrettai beaucoup, je regrettai
aussi un peu le trousseau qu'elle m'avoit coûté. Je
me décidai à aller louer un appartement à Berlin.
Une personne de ma connoissance, madame Michelet,
se chargea de m'en faire voir plusieurs; nous en
vîmes d'abord deux^, et le dernier parut si charmant
à madame Michelet et si bon marché, qu'elle voulut
* Depuis, dans une édition faite à Paris, j^ai ajouté ^nn volume de
^plbaa.'^I^ote deT Auteur.)
38 MJBM0IRB8
absolument me le &ire prendre^ sans que je fusse de
son avis ; elle mit à cette décision un tel ton d'auto-**
rite que j'en fus choquée, fort mal à propos^ ne
réfléchissant pas qu'eiwcela elle n'avoit d'autre intérêt
que le mien ; mais cet intérêt se mai^ifesta par de
l'aigreur. Alors je m'obstinai à rejeter l'apparte-
ment ; . madame M içhelet en fut très-rmécontente»
Cependant nous allâmes en voir un autre ; il étoit au
troisième étage, et elle étoit si eisou£B[ée en y arrivant^
qu'elle ne cliercha plus à dissimuler son humeur, elle
dénigra avec injustice ciet appartement; j'en fi»
l'éloge avec exagération, et je l'arrêtai, au grand dépit
de madame Michelet.
La personne qui me loua cet appartement avoit
deux petits garçonsj l'aîné, âgé de huit ans, me frappa
par son joli visage et la noblesse de sa tournure ; il me
prit en amitié ; il venoit toua les jours dans ma cham-
bre ; j'entrepris de lui enseigner le français avec mon
Itinéraire. Il avoit une iqtelligence supérieure ; au
bout de quatre mois et demi, il entendoit tout,appre-
noit par cœur des vers et de la prose, et les récitoit
sans accent. Je demandai cet enfant à sa mère, en lui
déclarant que je l'élèverois dans la religion catholique;
elle y consentit sans résistance^ elle parut même
charmée, de me le donner ; je le pris avec moi, et je
l'appelai Casimir, du nom du fils que j'avois perdu.
Je me fatiguai beaucoup pour finir les Mères rivales,
ouvrage que j'ai fait en huit mois et demi, ce qui est
DE MADAME D£ GENLIS. Sd
prodigieux comme travail } mais aussi JQ me trouvai
tellement épuisée, qu'il jne fut impossible de songer
à écrire de long- temps. Cependantj'avois besoin de
faire un nouvel arrangement d'argent, iï ne m'en
^restoit plus que pour peu de mois. Comptant que je
pourrois toujours écrire, j'avois fait beaucoup de
dépenses pour le trousseau de ma petite fille, mon
établissement à Berlin, l'acquisition de tout ce qu'il
faut pour tenir un petit ménage, l'achat de plusieurs
choses pour moi et entre autres, celui d'une belle mon-
tre à répétition. J'en étois' privée depuis plusieurs an-
nées, n'ayant qu'une petite montre d'argent. J'avois
donné celle que j'emportai de France, avec s^a chaîne
et tous ses cachets, à mon neveu César, qui, dans une
auberge, avoit perdu la sienne. Je ne voulois ni
emprunter ni faire de dettes d'aucun genre. Je pris
le parti, pour me reposer, de donner des leçons ; me^
amis m'offrirent en vain de l'argent sans me fixer le
terme pour le rendre, je le refusai. Je cherchai quatre
écolières, et je les trouvai promptement, à un prix
jusqu'alors inconnu à Berlin, où les maîtres les plus
chers ne prenoient qu'un petit écu par leçon ; on me
donna un ducat, c'est-à-dire dix francs. J'enseignois
à lire le français en vers et en prose, à déclamer les
vers et à écrire des lettres. On m'avoit offert de faire
un cours de littérature, on me prêtoit une très-belle
salle qui ne m'auroit rien coûté ; j'auroîs eu un nom-*
' bre infini de souscrçteurs, j'aurois gagné beaucoup
40 MiMOIRB»
d'argent; mids ma répugnance à me mettre ainsi en
àcèue fut invincible. J'aimai mieux donner dés leçons
dans ma chambre. On m'offrit plusieurs écolières de
harpe ; je les refusai, me contentant de celles que
j'avois pour là littérature. Je dois nommer ces per-
sonnes qui ont été si aimables pour moi. Les |)re-
mières furent madame Bernard, aussi ^ spirituelle
qu'obligeante ; madame Herz, femme d'un médecin,
belle comme un ange, et remplie aussi d'esprit et de
bonté ^5 madame Cohen, femme d'un très-riche né-*
godant, et M. Lombard, frère du secrétaire intime
du roi, il étoit de famille réfugiée ; il n'avoit alors
que vingt et un ans, sa figure étoit charmante ; il
avoit un goût passionné pour les arts et la littérature,
beaucoup de talens agréables, un esprit juste et fin,
et de grandes dispositions pour bien écrire le fran-
çais. La lecture de mes ouvrages lui avoit inspiré
en ma faveur une telle prévention que, dès nos pre-
mières leçons, j'en fus réellement embarrassée, et
. d'autant plaâ, que je voulois feindre de ne pas m'en
apercevoir; son trbubïe et son émotion augmentant
chaque jour, je crus que j'en changerois la nature,-en
lui disant, comme sans dessein, que je pourrois fort
bien être sa grand'mère, puisque j'avois duquante-^
quatre ans; il en fut étrangement surpris, car j'avois
l'air d'être beaucoup plus jeune, et il me supposoit
tout au plus quarante ou quarante-deux ans ; mais
il me fit un mérite dé cet âge avancé, en prétendant
D£ MADAHB J>E GBNLIS. 4l
que mon air de jeunesse achevoit de me rendre une
personne unique sur la terre, x
Madame Cohen, jeune et belle encore, mais hydro*
pique, ^it au moment de subir l'opération de la
ponction; comme elle ne quittoît plus sa chaise'
longue, j'allois chez elle lui donner ses leçons ; son
fils, âgé de seize ans, assistoit à nos entretiens, qui
m'amu^oient beaucoup, parce que madame Cohen
étoit extrêmement^ aimable, et supportoit ses maux
avec une patience inaltérable, et une gaieté char-
mante. * £lle m'envoyoit sa voiture^ et^ après nos
leçons, elle me retenoit toujoiurs pour le reste de la
journée. Je profitai de sa liaison avec le jeune Lom-
bard, pour rompre mes tète-à^téte avec ce dernier,
auquel je -déclarai qu'à l'avenir, il viendroit prendre
ses leçons chez madame Cohen et en commun avec
elle. Cet arrangement né changea pas ses senti-
mens, dont l'expression étoit si visible, que tout le
monde les remarqua ; mais^ malgré leur singularité,
ils étoient trop séiieux pour que madame Cohen
même osât lui en faire des plaisanteries. Je fis^
dans ce temps, cpnnoissance avec un homme qui
passoit à lierlin, et qui étoit véritablement extraor-
dinaire par la diversité de seii talens : il s'appeloit
M. Plœtz ; ,il étoit à la fois premier pupitre en émail^
et premier mécanicien du roi de Danemarck; en
outre il étoit grand musicien, il jouoit avec perfec-
tion de k viole d'amour. Il avoit inventé avec 1q
42
MÉMOIRES
fameux Viotti une nouvelle manière de noter la mu*
sique^ infiniment plus simple et plus commode que
celle qui est reçue ] avec cette, manière, on pouvôit
apprendre à la lire beaucoup plus facilement et plus
vite 5 il avoit inventé aussi une espèce d'instrument
Reproduisant qu'un son filé, mais d'une force et
d'une beauté incomparables. Il avoit placé cet ins^
trument sous terre, dans plusieurs endroits du jardin
d'une maison de campagne du roi de Danemarck,
entre autres, sous un pont ; lorsqu'en marchant, on
touchoit une certaine planche de ce pont, on for->
moit ce son, qui duroit tant que le pied restoit des*
sus; j'imaginai de faire sur cette invention une
nouvelle intitulée : la tombe harmonieuse. M. Plœtz
étoit d'ailleurs très-estimable et d'une adresse mer--
veilleuse ; il nie donna plusieurs ouvrages de tour
qu^il avoit faits et qui étoient des chefs-d'œuvre dans
leur genre. Je lui donnai une miniature qui repré*
sentoit une fort belle Madeleine, copiée à Rome
d'après le Guerchin.
Mon amie, mademoiselle Itzig, étoit, comme je
l'ai dit, aveugle depuis l'âge de quatorze ans, et elle
en avoit vingt-huit. Son plus grand chagrin étoit de
ne pouvoir écrire, sans le secours d'un tiers, à une
sœur qu'elle ayoit à Vienne. Je me ressouvins de
la petite machine avec laquelle madame du Deffant
•écrivoit toute seule : je l'expliquai à M. Plœtz, qui
en fit une absolument semblable, que je donnai à
BB MADAME J>£ GBNLIS. 43
mademoiselle Itzig^ ce qui lui caus^ une joie inex*
primable, en lui procurant la possibilité d'écrire,
quelquefois en particulier à sa sœur; je la fia sur-le-
chump écrire sous mes yeux ; elle avoit peu oublié
l'orthographe^ mais elle ne mettoit presque jamais la
dernière syllabe des mots j ce qui me rappela que
j'avoisludansrJBTw^oire^^n^rate des Voyages y qu'un
Anglais trouvé^ au bout de quinze ans, dans une île
déserte, ne prononçoit plus, en parlant, les dernières
syllabes des mots. Ce fut .dans mon livre de sou-
y^iirs que mademoiselle Itzig voulut tracer ses pre-*
mières lignes H'écriture. Je fis beaucoup de musique
avec M. Plœtz ; ce qui rendit fort agréables nos
soirées -chez madame Cohen et mademoiselle Itzig.
Je voyois toujours aussi souvent madame Bocquet ;
je lui avois fait faire connoissance avec madame
Cohen^ afin de passer plus de temps avec elle. Nous
allions sans cesse nous promener dans le jardin de la
princesse Henri 5 cette princesse eut envie de me
connoitre, et me le fit dire. Je répondis avec tout
le respect que je lui devois, mais je refusai nettement
de lui êti:e présentée. Je fis la même chose pour
tous les étrangers qui pàssoient à Berlin, à l'excep-
tion des artistes. J'ai toujours pensé que, lorsqu'on
est tout-à-fait déchue du côté de la fortune, on ne
peut conserver de la dignité qu'en évitant de se
montrer, en ne faisant d'avances à personne^ en ne
44 . BlSMOIRltô
cédant qu'à celles de Tamitié, et en vivant dans une
profonde solitude.
Je menois à Berlin une vie fort agréable; mes
amies et mes écolières *me combloient df attentions ;
mon appartement ne désemplissoit pas de fleurs, de
fruits^ de pot^ de confitures, et de beurre de Dresde,
d'excellentes pâtisseries et de charmantes corbeilles
de paille, et d'un osier fin particulier à ce pays. Le
jeune Lombard j<%nit à tous ces dons mille choses
de son ouvrage, qu'il m'envoyoit dans des paniers,
ou dans de jolis coffres. De mon côté, je donnois
en reconnoissance des fruits de mon travail, en pein*
tures, en broderies, en fleurs artificielles, et je donnai^
entre autres, à madame Cohen un très-beau coffire en
bois d'acajou parfaitement bien monté, et avec cinq
petits tableaux de moi, représentant des fruits, des
insectes, et des animaux ; je n'ai rien bit avec plus
de soin et mieux.
Je reçus dans cette ville une lettre de Philadelphie,
de M« le prinae de TaUeyrand. * Cette lettre me fit
tant de plaisir, que je l'ai précieusement conservée
(avec quelques autres). La voici :
" Une lettri^ qui arrive en Amérique est un bien-
fait ; quand elle est d'une personne qu'on aime, c'est
un trésor ; jugez du plaisir extrême que m'a &it la
vAtre.
/^ Séparé de tous les intérêts de mon cœur, je ne
DE MADAME DE GENLIS. 45
în^occupe que des idées qui peuvent me conduire à
le» retrouver, et à les retrouver pour ne plus les
quitter, pour vivre avec eux indépendant de tout le
reste du monde, et former avec quelques amis un
petit globe à nous, bien impénétrable à toutes les
folies et méchancetés qui possèdent notre mal-
heureuse Europe. La situation de mon esprit est à
peu près la même que vous Favez vue, ni '^lus
haineux, ni plus. Violent que de coutume. Je ne
songe guère à mes ennemis ; je m'occupe de refiiire
de la fortune, et j'y porte l'activité que peut inspirer
l'emploi que j'espère en faire ; et là mon imagination
trouve des espérances et des émotions douces. Entre
les sentimens dont on a besoin pour être content de
soi, il faut compter celui de l'indépendance : c'est là
ma tftcLe actuelle. Si je parviens à la remplir, je
dois regarder ces années- ci comme les plus utiles de
ma vie, et me croire dans le petit nombre de ceux ^
ijui ont été bien partagés.
*^ Ce pays-ci est une terre où les honnêtes gens
peuvent prospérer, pas cependant aussi bien que les
fnpons, qui, comme de raison, ont beaucoup d'avan-
tfiges. J'avois envie d'écrire quelque chose sur
l'ÂBiérique et de vous l'envoyer ; mais je me suis
aperçu que ç'étoit un projet insensé. Je renvoie le
, peu d'observations que j'ai faites aux conversations
que j'espère avoir quelque jour dans de longues
soirées avec vous. L'Amérique est comme tous les
46 MÉMOIRES
autres pays : il y a quelques grands faits que tout le
inonde connoît^ et avec lesquels on peut d'un cabinet
de Copenhague deviner l'Amérique toute entière.
Vous savez quelle est la forme du gouvernement ;
vous savez qu'il y a de grands et immenses terrains
inhabités oii chacun peut acquérir une propriété à un
prix .qui n'a aucun rapport avec les terres d'Europe;
vous connoissez la nouveauté du pays : point de
capitaux^ et beaucoup d'ardeur pour faire fortune ;
point de manufactures^ parce que la main- d'ϝvre y
est et y sera encore long-temps trop chère. Com-
binez tout cela^ et vous savez l'Amérique mieux que
/ la majorité des voyageurs, y compris M* de L • • • • .^
qui est ici faisant des notes; demandant des pièces,
écrivant des observations, et plus questionneur mille
fois que le voyageur inquisitif dont parle Sterne.
^^ Ma santé n'a pas été mauvaise malgré les ri-
gueurs et les variations de l'hiver, qui passe subite-
ment aux douceurs du printemps, et de là revient à la
neige et à la glace. Ces changemens sont perpétuels;
l'insalubrité des chaleurs de Philadelphie m'engage à
passer l'été à New-Yorck. Heureux, direz-vous,
le pays où l'on songe à é\dter les maladies et les
causes naturelles de destruction. Dans une grande
partie de l'Europe, les causes violentes de destruc-
tion sont si fréquentes, qu'on doit y compter pour
très- peu tout ce qui n'est que suivre l'ordre de la
nature» J'attends ici avec impatience l'ouvrage dont
DB MADAMB D£ 6ENLIS. 47
VOUS me parlez et quelques miniatures que vous
voulez bien me faire espérer^ et qui me feront le plus
sensible plaisir. Il n'y a rien que vous ne puissiez
m'adresser chez M* John Pdrish^ american consul,
Hambourg. Votre amie Henriette est-elle avec
vous ? Soyez assez bonne pour lui parler de moi et
pour lui dire que je lui suis tendrement attaché.
Mon vieil âge et une révolution permettent des
expressions tendres que^ dans un autre temps^ je
n'aurois jamais osé employer. Recevez avec amitié
l'assurance d'un attachement qui vous suivra dans
tous les temps, dans tous les pays et dans toutes les
circonstances. Je vous en prie, écrivez-moi ; qu'il y
uit beaucoup de noms propres dans vos lettres, et
que 'celui de madame de Valence y tienne une grande
place. Je voudrois bien que vos arrangemens vous
portassent à habiter le Danemarck plutôt que tout
autre pays. C'est le royaume d'Europe où le plus
vraisemblablement je me fixerai ; je n'ai cependant
sur cela encore rien d'arrêté. Ce qu'il y a de sûr,
c'est que, pendant toute la guerre, je resterai en
Amérique.
. "Je vous prie de m'envoyer un cachet."
Apprenant, dans ce temps, que Paméla étoit à
Hambourg, n'ayant pas voulu rester en Irlande depuis
la mort tragique de son mari, je lui écrivis pour lui
demander de venir s'établir à Berlin avec moi. La
manière héroïque dont elle s'^toit conduite dans la
48 MÉMOIRE»
malheureusiB aiEstire de s<m mari^ et la pureté de sa
rie pendant les cinq années de son mariage^ avoient
encore, s'il étoit possible, augmenté mon amitié pour
elle. Sa réponse me fit beaucoup de peine; elle refusa
positivement de Venir avec moi. Je ne m'y attendois
nullement; ce mécompte m'affligea beaucoup. Eu
redoublant d'occupation, je cherchois des distractions
à ce chagrin» et j'en trouvai. Je n'écrivms point,
mais je faisois beaucoup ^e musique, et je n'ai jamais
autant fait de petits ouvrages des mains ; mon adresse
en ce genre devint si célèbre, qu'un marchand de
Berlin, qui avoit la plus belle boutique de la ville en
choses de tous genres, m'offrit de me donner quatre
mille francs par an si je voulois travailler deux ou
Crois heures de la journée pour lui, sous les yeux et
avec l'aide de deux personnes, qu'il m'enverroit tous
les matms, et enfin, en outre, si je lui donnois de
nouvelles inventions; je n'acceptai point, parce que
je voulois retourner en France. C'étoit la seconde
fois qu'il m'étoit possible ^e vivre du travail de mes
mains, indépendamment de littérature et de musique;
car, dans les commencemens de l'émigration, j'en
avois véritablement vécu à Altona, pendant les pre-
miers mois de mon séjour dans cette'ville, en peignant
sur papier des fleurs et des mosaïques pour les toQes
d'une manufieu^ture.
Peu de temps avant mou départ de Berlin, j'allai
visiter une« synagogue. Celui qui me la montroit
DE MADAME DÛ GENLfS. 49.
étoit un perBonnàge très-distingué dans sa secte par
sa science et par sa fortune ; il me fit voir tous les
omemens antiques qui étoient, pour la plupart^ d'or
pur couvert de pierreries, et tout à coup il me dit:
'^Je suis sûr, madame, que vous regardez avec in-,
dignation toutes ces choses sacrées pour nous/'-r
" Non, monsieur, répondis-je ; au- contraire, je les
examine avec respect comme étant l'origine de 1^
vérité/' Cette réponse le charma, il la conta
beaucoup ; elle fut citée comme un trait de présence
d'esprit assez remarquable. Il m'arriva, à cette
époque, une chose très-singulière. Un jour, en
lisant l'annonce des livres français nouveaux qui se
débitoient à Leipsick, j'en trouvai un indiqué sous ce
titre : Catéchisme fnoraly par madame la comtesse
de Genlis. Le titre seul de Catéchisme moral in-
diquoit' tissez que cet ouvrage étoit le fruit de la phi-
losophie moderne; c'étoiten effet vin radotage anti-
religieux de M. de Saint- Lambert. Il est assez
plaisant qu'une telle production ait pu m'ètre at-
tribuée. Les libraires de Leipsick, afin de la débiter
mieux, avoient imaginé d'y mettre mon nom. J'en-
voyai mon désaveu à toutes les gazettes allemandes;
on pouvoit également, par principes et par amour-
propre, désavouer un si pitoyable ouvrage.
Monsieur et madame Cohen avoient la fureur de
jouer la comédie en société, et ils avoient un théâtre
charmant dans leur maison; ils me demandèrent
TOME V. 3
. 50 MÉMOIRE^
ârec instance de composer une petite pièce pour eux.
Je me portois mieux^ j'avois grande envie de leur
plaire^ et je cominençai par faire un proverbe que
nous jouâmes dans la chambre^ et qui eut le plus
grand succès } il avoit pour titre : A Bon Entendeur
salut. ^ Je le fis sur une -histoire vraie arrivée jadis
à M. le comte de Roquefeuille ; ce qui me donna
ridée d'employer cette histoire^ c'est que la jeune
personne qui s'engageoit à jouer des proverbes avec
nous ètoit fort timide^ et me pria de lui donner des
rôles très-courts, et je promis de lui en donner un
qui seroit le rôle principal, et qui n'aurait qu'un seul
mot ; je jouai dans cette pièce le rôle^ dé l'hôtesse.
Je fis une autre comédie en un acte intitulée les
Lutins de Kemosi; je pris le fond de Fidée dans un
conte de madame d'Aulnoy, je ne l'ai jamais fait
imprimer^ mais retournée en France, je donnai le
manuscrit à M. Radet, qui "en fit un vaudeviUe.
Enfin je fis encore à Berlin ma Galatée^ qui se trouve
dans mes œuvres. Nous jouâmes ces trois pièces ;
madame la baronne de Grothus, avec mes leçons,
joua â ravir le rôle de Galatée, je jouai celui d'Eu*
rimone ; je ne jouai point dans les Lutins de Kffr*
nosi^ mais Casimir, n'apprenant le français que
depuis quatre mois, joua un rôle de valet, qui étoit
fort long, fort essentiel dans la pièce, et le joua avec
DB MADAME DE OENLIS. 51
une grâce^ une intelligence dont tout le monde fut
enthousiasmé, d'autant plus qu'il le débita sans le
moindre accent; ce qui me confondit, c'est qu'il y
ajouta de sa tête plusieurs traits et plusieiurs motâ
fort plaisans. Je jouai de la harpe dans cette pièce,
en accompagnant un morceau que devait chanter
une jeune personne; mais aachée derrière une toile,
au moment de chanter, elle eut tant peur, qu'elle me
déclara qu'il lui seroit impossible de former un son ;
alors, comme j'étois cachée, je pris le parti de chanter
moi-même le morceau : personne ne s'en douta, on
crut que c'était mademoiselle Haugeom, et je fus
applaudie à tout rompre ; c!est la dernière fois que
y aï chanté devant du monde. Ces petites pièces
eurent tant de succès, que nous en donnâmes plus-
sieurs représentations, i^e jeune Lombard, auquel
je faisois répéter ses rôles, s'y distingua par le talent
le plus agréable. Nous jouâmes aussi le Mariage
secret^ dans lequel je jouai le rôle de mademoiselle
Contât ; le fameux Iffland vint nous voir jouer, il
eut pour moi la galanterie de dire que j'étois la
meilleure actrice qu'il eût jamais vue. Nous eûmes
aussi à ces représentations des princes de la famille
rbyale. On ne m'avoit jamais vue que dans un
costume fort négligé, on ne me reconnoissoit pas
avec du rouge, de la parure, et à cette distance;
beaucoup d'étrangers, qui ne m'avoient vue que là,
ne me donnoient pas trente ans. Tous 'ces succès
3*:
52 MÉMOIRES
exaltèrent pour moi jusqu'à la folie les sentimens de
M. Lombard^ il écrivoit toujours des sujets de com-
position que je lui donnois et que je corrigeois. Il
m'annonça qu'il vouloit composer lui-même ses
sujets, parce que ceux que je lui donnois étoient trop
sérieux, et que, voulant former son style épistolaire,
il écriroit des lettres. Dès le lendemain, ili m'en
donna une qui étoit la lettre d'amourla plus passion-
née. Il ne me fut pas difficile de deviner à qui elle
s'adressoit, mais je feignis de la prendre pour une
lettre d'imagination, et je lui dis seulement que je
le priois d'en écrire à l'avenir dans up autre genre ;
il me répondit qu'il ne Cesseroit que lorsque je lui
aurois appris comment on pouvoit plaire dans celui-
là. Cette discussion se termina par une défense
positive de ma part, et par une rébellion décidée de
la sienne.
Cependant le général Beumonville étoit arrivé à
Berlin 3 il venoit très-souvent chez madame Cohen,
et me témoigna beaucoup d'intérêt. , C'étoit une
chose nouvelle pour une fugitive de recevoir des
témoignages de bienveillance d'un républicain fran-
çais; j'y fus sensible, comme si j'eusse mérité
d'être exilée de mon pays; je lui expliquai mon
aifaire : il comprit fort bien que véritablement je
n'étois pas émigrée, et qu'en ne me permettant pas
de retourner en France, on violoit à mon égard toutes
les lois conBtit\itionnelles; il me promit d'écrire en
DE MADAME J}^ GENLIS. 53
ma faveur^ il me tint {Parole. J'écrivis de mon côté
à Parifi^ et j'eus bientôt l'espérance d'être rappelée.'
Peu de temps avant^ M. de Finguerlin, revenant de
Pologne, vint chez moi^ et me coiîta qu'il avoit été
auprès de 'Varsovie^ dans une délicieuse maison de
campagne^ nommée VArcoéMe, appartenant à la prin-
cesse de Radzivil^ et qu'il avoit vu là, à l'extrémité
du parc, une charmante maison uouyellement bâtie^
meublée avec la plus grande élégance, et avec un
jardin rempH de pensées et de sensitives, et que sur la
façade de la maison ces paroles étoient écrites : Asile
de madame de Genlis, H ajouta que la princesse avoit
fait faire cette maison, après avoir lu mon Epitre à
r asile que f aurai. Sur ce récit, j'écrivis une épitre en
vers à la princesse deRadzivil pour la remercier ; elle
me répondit une lettre charmante pour m'inviter à
venir habiter sans délai ma mmsoriy elle m'envoyoit
en même temps un livre blanc magnifiquement relié,
que j'ai conservé, dont j'ai fait un souvenir religieux,
et que j'ai donné à Casimir.
Madame Cohen avoit à Charlottembourg une belle
maison de campagne, dans laquelle j'allois souvent
passer plusieurs jours ; j'avois congédié mes écolières,
parce que l'argent qui m'étoit dû pour mes ouvrages
m'étoit rentré, et que ma santé, s'étoit rétablie ; mais
gratuitement je continuai de donner des leçons à
madame Cohen et à M. Lombard ; ce 'dernier, sa-
chant que je comptois retourner en France, tomba
5^ MÉMOIRES
dans une si profonde mélancolie, qu'il eh eut la
jaunisse. Madame Bôcquet et madame Cohen ne
pouvoient aussi supporter Tîdée de mon départ.
Comme la dernière devoit subir, sous peu de jours,
l'opération de la ponction, elle me conjura d'aller
passer chez elle le reste de mon séjour à Berlin ; j'y
Consentis, j'emmenai avec moi Casimir ; nous allâmes
d'abord passer quelques jours à Charlottemboui^. Un
matin que j'étois dans le jardin avec madame Cohen
et Casimir, madame Cohen entra dans la serre pour
jr cueillir des figues avec Casimir; elle me laissa
dans le jardin, je m'y ennuyai, et j'allai me promener
toute seule dans les champs: j'y rencontrai sept ou
huit petits polissons qui me demandèrent fort inso-
lemment de leur donner des draërs (petite monnoie) ;
je n'en avois point, paf conséquent je les refusai; ils
me dirent des injuinss; je retournai à toutes jambes
à la maison; ils me jetèreiît dels pierres, et un assez
gros caillou effleura mon chapeau; je le ramassa et
je l'emportai avec moi, j'allois le montrer à madame
Cohen, que je retrouvai encore dans sa serre avec
Casimir. Je lui contai mon aventure, et, au bout de
quelques minutes, je m'aperçus que Casimir avoît
disparu; je crus qu'il étoit dans le jardin, nous l'ap-
pelâmes, mais inutilement; alors nous rentrâmes
dans la piaison, il n'y étoit pas, un domestique nous
dit qu'il étoit sorti. L'inquiétude me prit, madame
Cohen la partagea, et, suivies de deux domestiques.
D£ MADAME DK GENLIS. Ô5
>
nous allâmes aassitdt dans l'endroit oà j'avois été at*
taqiiée par les polissons; nous^y trouvâmes en effet
Casimir^ qui les avoit battus et mis en fcdte; il étoit
maître du champ. de bataille, et nous vîmes courir de
côté et d'autre les pofissons qu'il avoit vaincus; il y
en avoit deux dans le nombre qui avoient douze ou
treize ans. Casimir, fort rouge et fort animé, vint à
nous eh me disant qu'il m'^avoit vengée, mais qu'il
avoit eu l'attention de ne frapper personne à la têt^.
Je rappelai les polissons qui ne vouloient pas revenir,
mais que les deux domestiques , nous ramenèrent
de force, à l'exception de deux qu'on ne put rattraper ;
nous les haranguâmes, pour leur prouver qu'il ne faut
pas jeter des pierres, en demandant des draërs, et
je leur donnai im écu pour les consoler de la victoire
de Casimir.
Nous retournâmes à Berlin pour l'opération de
madame JCohen, on la lui fit le lendemain ; je la tins
dans mes bras tout le temps qu'elle dura; cette
opération n'est pointdouloureuse, mais elle âte toutes
les forces, et, lorsqu'elle fut achevée, la malade s'é-
vanouit; elle fut très-languissante pendant quelques
jours, ensuite elle reprit la santé; et, à sa taille
et à sa figure, on auroit pu croire qu'elle étoit
guérie pour toujours. Ce mal affreux est très-com-
mun à Berlin, ainsi que la pierre. Pendant mon
séjour % Berlin, il y eut une opération de la pierre,
qui fut très-remarquable, et que l'on fit à un oncle
56 MÉMOIRES
de madame Bocquet ; il en mourut. La pierre qu'on
tira de son corps étoit grosse comme un citron;
elle en avoit la couleur^ la forme et jusqu^à la petite
protubérance qui se ' trouve à l'une des extrémités.
Elle parut si curieuse qu'elle fut demandée pour le
cabinet d'histoire naturelle du roi; mais la veuve
réfusa, voulant la conserver par sentiments J'eus
envie de la voir; madame Bocquet me mena chez sa
tante, qui l'avoit placée sur sa cheminée sous un
verre; nous fàmes étrangement surprises de ce
genre de sensibilité qui * portoit cette personne à
vouloir conserver sous ses yeux la chose qui avoit
donné la mort à son mari; cependant cette femme
&voit toujours été la meilleure 4es épousesy et elle
regrettoit sincèrement son mari qui avoit toujours été
l'objet de toute son affection.
Cependant je n'étoisplus occupée que de mon
retour en France; je reçus une lettre de ma fille qui
m'annonçoit que j'allois être incessamment rappelée;
je communiquai cette lettre à madame Cohen, qui
fondit en larmes, et qui me dit qu'elle mou^rroit si je
la quittois. Elle me représenta que rien n'étant
stable en France, et mes sentimens religieux m'ayant
fait un nombre^ infini d'ennemis dans un pays où la
religion étoit détruite, je m'exposois à beaucoup de
persécutions en y retournant ; et un jour, elle me fit
une scène étonnante : elle avoit de fort beaux dia-
mans qu'elle ne portoit jamais ; elle alla me chercher
DIÊ MADAME DB 6BNLIS. 5^
SOU écrin^ Touvrit et me fit voir tous ses diamans
rassemblés que je n'avois vus que partiellement,
lorsqu'elle nous en prétoit pour jouer la comédie.
Comme j'admirois ce bel écrin, elle me dit : " Eh
bien ! restez avec moi, et je vous le donne/' J'éprou*
vai une telle surprise, que je demeurai immobile sans
lui répondre; elle crut que cette offire me tentoit,
elle redoubla ses instances; et ensuite j'eus beau
■ adoucir mes refus par les protestations les plus
sincères d'une tendre amitié, son chagrin fut si vif,
qu'il me rendit pénible le reste de mon séjour chez
elle. M. Lombard montra une affliction beaucoup
plus déraisonnable : ce pauvre jeune homme, dans ^
sa folie, me proposa très-sérieusement de m'épouser;
comme il étoit inutile de lui parler raison sur ce
point, je lui répondis simplement (ce qui d'ailleurs
étoit vrai) que j'avois fait vœu de ne jamais me ^
remarier ; son désespoir fut tel, que tout le monde
le vit et en connut la cause ; il m'écrivoit tous les
jours des lettres dans lesquelles il m'appeloit barbare.
Pour toute réponse, je les lui renvoyois avec des
corrections sur le style; ce qui le mettoit souvent
dans une fureur inexprimable; il m'en rapporta
plusieurs qu'il me conjura de garder, et que j'ai
encore. Ce singulier commerce de lettres dura
jusqu'à ,mon départ. Cette passion extravagante,
non-seulement m'embarrassoit par son ridicule, mais
l'extrême disproportion de nos âges et l'attachement
3**
58v mAm&îmxs
maternel que j'avois pour lui y donnoient, à mes
yeux^ je ne sais quoi d'incestueux qui me la rendoit
réellement odieuse.
J'eus encore un autre chagrin : ma correspondance
avec mademoiselle d'Orléans fut rompue. J'ai déjà
dit^ je croÎB^ que lui ayant envoyé dans une lettre une
petite miniature représentant sur un fond bleu une
rose blanche et une rose rouge, dans une caisse verte,
madame la princesse de Conti dit que c'étoient les.
trois couleurs, par conséquent un signe révolution-
naire. Mademoiselle d'Orléans eut beau représenter
que c'étoit les cinq cmileurs^ puisqu'il y avoit du vert
^t des tiges brunes ; madame la princesse de Conti
persista dans son idée, et lui défendit de m'écrîre.
Mademoiselle d'Orléans trouva le moyen d'obéir et
de me donner de ses nouvelles; elle confia son
chagrin à son confesseur, et le pria de m' écrire de
sa part 5 ce que fit exactement cet ecclésiastique, et
ce qui dura plus de dix-huit mois. Je lui envoyois
mes lettres qu'il remettoit ; mais enfin il fut obligé
d'aller à Vienne. Mademoiselle lui écrivit dans cette
ville, et notre commerce continua ainsi pendant six
mois; mais, à l'époque dont je parle, je reçus. de
Vienne une lettre d'une personne qui m'^toit incon-
mie, etx|ui me mandoit de ne plus écrire à ce prêtre,
parce qu'il venoit de mourir* Je le pleurai sincère-
ment, puisque je n'eus plus de nouvelles de made-
moiselle d'Orléans*
J>B MADABdLE D£ GBNLIS. 59
Par un hasard singulier^ on me remit dans ce
temps une lettre que j^aurois dû recevoir, et qui,
par un enchaînement particulier de circonstances,
traîna prodigieusement en chemin, ce qui arrivoit
souvent alors; j'en ai même reçu plusieurs d'une
date très-postérieure; mais celle-ci me touche tel-
lement, elle montre si bien toute la bonté de l'âme
et le caractère de mademoiselle d'Orléans, que je la
place à l'époque précise où elle me procura tant de
consolations.' Elle est sur la mort de son malheureux
père, que je luf avois cachée, et qu'elle n'apprit que
peu de jours après notre séparation. .
Voici comment elle s'exprime :
" Fribourgy 10 octobre 1704.
^^ Oh ! • • amie chérie, à qtiel comble de malheurs
, le' ciel m'a réduite ! Hélas ! •• je les connois tous !
Ah ! . . quelles douleurs. • • «et quelles souffrances, •
mon trop malheureux cœur n'éprouve-t-il pas ! que^
cette vie est cruelle !• . . «Mais la religion et mon
cœur, amie bien-aimée, m'ordonnent de la supporter
pour ceux que j'aime; elle est à eux, et non à moi,
et je la soigne comme un dépôt qu'ils m'ont confié.
Hélas I il n'y a plus que ces chers objets que j'aime
si tendrement, qui puissent m'y attacher. Oh ! mon
amie, pensez-vous que ceux qtd sont tout-à-fidt
60 MÉMOIASS
malheureux^ et qui ne se ttient pas soient sans re-
ligion ? Non, je ne le puis croire : sans ce motif tout-
puissant^ qui pourroit ne pas se débarrasser d'une exis-
tence derenUe douloureuse dans tous les momens ? • .
Mais grâces aux principes que vous m'avez donnés,
ne soyez pas inquiète, amie bieii chère, Dieu soutient
votre infortunée Adèle, et lui donne un courage
et une force véritablement surnaturels. Ma tante me
témoigne une tendresse et une sensibilité dont je
suis bien touchée, et m'adoucît par son excessive
bonté, autant qu'il est possible, mon ai&euse et
Truelle situation. Adieu, amie tendre et chérie^ je
vous embrasse avec toute la tendresse de mon mal-
heureux cœur. Je ne puis vous écrire une plus
longue lettre aujourd'hui, ce sera pour la première
fois. Donnez-moi souvent de vos chères nouvelles ;
hélas ! j'en ai tous les jours plus besoin !"
Avant de quitter l'Allemagne je dois dire que j'ai
omis, sans le vouloir, un fût intéressant: c'est,
qu'étant à Sieik, j'appris que mes deux derniers
élèves étoient encore détenus à Marseille ; j'envoyai
au directoire le petit mémoire ci-dessous, que je fis
insérer dans plusieurs gazettes allemandes^.
* Durant leiir captivité le jeune comte de Beaujolois» à peine
sorti de i^adoleBcence, fit une action bien digne d'être rapportée;
il avoit. formé, arec fM>n frère, le projet de s'évader ( tout leur
réussit  cet égard 3 après s'être assurés d'un petit bâtiment
prêt à mettre à la Toile, ils complotèrent 'de se sauver, au milien
«
DE MADAMB DIS OBNLIS. 61
" Une des choses qui sans doute doit contribuer le
plus à rendre le. nouveau gouvernement aussi res-
de la nnity par une fenêtre très-élevée» avec des cordes quMIs
troayèrent le moyen de se procnrW. Le comte de Beaig^loÛB
passa le premier et descendit heureusement, il courut aussitôt
au porty mais il y attendit vainement son Mre. Le commandant
du petit raisseau, impatienté de ce retard, déclara qu*il vouloit
absolument partir avant le jour. Touché des vives instances du
comte de Beaujolois, il différa encore de quelques minutes; mais
enfin il appareilla, et le comte de Beanjolois, ne pouvant se dé*
terminer à partir sans son frère, sacrifia volontairement sa liberté,
exposa même sa vie pour aller le rejoindre. Il le trouva étendu
à terre, avec une grave blessure. La corde s*étoit rompue, et
le malheureux prince étoit tombé à terre, en se cassant la jambe.
Le comte de Bea^|olois le prit dans ses bras et appela du
secours. On les remit en prison, où ils furent gardés plus étroi-
tement que jamais. '
Le comte de Beaujolois, cet intéressant et charmant prince qui
annonçoit tant d*esprit, et qui déjà montroit . une si belle âme,
n^avoit pas douze ans lorsque je le laissai en France et que j*al-
lai dans les pays étrangers. Il étoit dans mes mains depuis Tâge.
de trois ans ; j'avois pour lui le seutiment le plus maternel y il
m*écrivit plusieurs fois dans les premiers temps de mon exil.
Voici la dernière lettre que j*ai reçue de lui, elle est bien enfan-
ine, mais elle m*est bien chère :
»
** Vous mouviez fait espérer une lettre^ mais je Tai attendue en
** vain. Je me tue d*écrire, et personne ne me répond ; je suis com-
** me un pauvre délaissé. Je viens d*écrire encore à ma soeur, je
'< ne sais si elle recevra ma lettre; c^est. bien désagréable, on ne
^* sait sur quoi compter. Il y a tro^s mois que vous êtes partie,
*< et vous ne songes pas à revenir; M. Aillon n'est seulement pas
62 MÉMOIRBS
'^ pectable que le désirent les citoyens honnêtes^ c'est
*^ de le voir agir d'après le principe d'une stricte et
'^ invariable équité. La marque certaine qu'un gou-
'^vernement est véritablement bon, c'est que la
"justice n'y soit jamais réclamée- en vain, quel que
" soit celui qui Tinvoque. Un ami de l'humanité ose
" donc avec confiance élever sa foible voix en faveur
^^ de deux jeunes infortunés, que leurs malheurs, leur
^^ situation actuelle et leur âge rendent égalem^it
" intéressans. Pourquoi les en&ns de madame d'Or-
*' léans sont-ils encore en prison ? pourquoi, lorsqu'on
".a rendu la liberté à leur mère, à leur tante, et au
^' citoyen Ckinti, les a-t-on retenus dans la captivité?
'^ Lorsqu'on les a renfermés, l'alné a^'oit dix-sept
" ans, et le second n'en avoit que treize ; pourquoî,^
" cette rigueur cruelle envers eux ? et pourquoi, enfin,
" quand la porte de leur donjon s'est ouverte pour
"leurs parens, a-t-on cru avoir le droit de la refermer
" sur eux ? Personne n'a- craint depuis la chute ie
*^ Robespierre, de manifester un juste et tendre in-
" térêt pour la fille de Louis XVI, ces deux malheu-
*^ reux enfans en doivent-ils inspirer moins ? Ds
'^ ont éprouvé les mêmes infortunes, ils les ont
« encore parti ; b^îI pouvott ne pas partir, que tous vinssiez vous-
" même Pen empêcher, oh ! que je «erois content ! mais Je ne
** veux pas vous ennuyer davantage. Adieu, ma chère, ma tendre
^< mère, que j^aime plus que moi-doême. Bbaujqlois.
<• Ce 5. janvîeir 1792." '
CNote de VAuteurJ
D£ MAI>AM£ BS GENLIS. 63
^^ aussi peu méritées, tt, de plus^ tout le temps qu'ils
^^ ont été libres^ ils ont montré constamment le plus
^^ grand patriotisme^ et aux armées le plus grand
"courage. Rien ne justifie le traitement qu'ils
^^ éprouvent et Ton doit attendre de la justice et de
*^ l'humanité du gouvernement qu*il ne différera plus
" à les mettre en liberté, ou que du moins, s'il ne
^^ veut pas leur rendre leurs droits de dt(n/ensy il les
" fera conduire hors de France dans le lieu qu'ils
^^ choisiront , car la déportation seroit un bienfait en
" comparaison d'une telle captivité."
Je reçus enfin mon rappel en France; ma joie fut
fort troublée par le chagrin dé quitter mes amis, qui
étoient réellement au désespoir, madame Bocquet,
mademoiselle Itzig, madame Cohen, M. Mayet, M.
Gualtîéry* et M. Lombard. Pour éviter de dou-
loureux adieux, je partis à quatre heures du matin avec
Casimir ; je fis les vœux les plus sincères pour le
bonheur de mes amis, et pour celui du pays hospita-
lier que je quittois, dont le roi étoit si vertueux,
et le gouvernement si doux et si équitable. L'hom-
mage que je lui rends ici n'est pas nouveau; je
lui en ai rendu un plus courageux dans le second
volume des Souvenirs de Féliciey oh je fais de la
Prusse et de son roi le même éloge. Je fis paroitre
* Envoyé depuis, par nom gonsveroement, en PortngfaI, où il eit
mort.-— ^2Vb#0 de V Auteur J
64 MBMOIRBS
ce volume à Tépoque où Tempereur Napoléon triom*
phant étoit à Berlin qu'il venoit de conquérir.^
J'allai à Hambourg, où je m'arrêtai chez ma nièce
madame Mathiessen. J'y reçus la visité de Klopstôck.
Il y a pour les auteurs certaines gens dont la première
entrevue est insupportable. Ces gens-là veulent,
non vous connottre. mais vous montrer, en vous
abordant, tout ce qu'ils savent et tout ce qu'ils ont
d'esprit. Je me rappellerai toujours ma singulière
entrevue avec le fameux auteur de la MessiaUde, au
commencement de mon séjour à Hambourg; j'étois
en pension chez le pasteur Volters. Klopstôck fit
demander à me voir y il vint. J'étois seule avec ma
* Je vais enfin après neuf années d*ezpatriation, retourner dans
ma patrie ! Je conserverai toujours un doux souvenir des lieux où
j*ai vécu, et le plus tendre attachement pour les personnes qui
m*ont accneillie durant ma longue proscription. Je n^oublierai jamais
la jolie ville de Saint.£dmond*s Bury ; le couvent de Bremgarten,
humble asile de tontes les vertus; notre petite habitation sur les
bords du lac de Zug, les bois et les eaux d^Oudenaarden, les villes
hospitalières de Hambourg et d'Altona, la ferme de ISelk, ma chère
chaumière de Brevel, le château de Dolrott et Berlin. J*ai trouvé
partout des amis; ceux que je laisse ici (Berlin) me seront toi^ours
chers. Pnissent-ils vivre toi]gours heureux et paisibles au son de
leur patrie ! leur sort ne me sera jamais étranger. S'il change, ... je
partagerai leurs peines comme ils ont partagé les miennes!... Je
m'intéresserai toute ma vie à la prospéritéde Berlin, de cette brillante
et belle ville si sagement gouvernée, ancien et moderne refuge des
malheureux fugitifs français.— (iVofo de VAuteur.)
V
DB MADAME^ DE GSNLI8. 6b
nièce. Je vis entrer un petit vieillard^ boiteux, fort
laid ; je me lève^ je vais à lui^ je le conduis vers un
fisLuteuil ; il s'assied en silence^ • d'un air réfléchi^
croise ses jambes, s'enfonce dans le fauteuil, et prend
le maintien d'un homme qui s'établit là poiu:' long-
temps. Alors, d'une voix haute et glapissante, il
m'adresse cette singulière question: ^^ Quel est,
madame, à votre avis, le meilleur prosateur, de Vol-
taire ou de Buffon ?...'' Cette manière d'entamer,
non une conversation, mais une thèse, me pétrifia ;
et Klopstock, qui avoit beaucoup plus d'envie de me
faire connoltre son opinion,- que de savoir la mienne,
n'insista nullement pour obtenir une réponse.. .
^' Quant à moi, reprit-il, je me décide pour Voltaire,
et je me fonde sur plusieurs raisons; la première. ."
Il me donna une douzaine de raisons, ce qui fit un
très-long discours ; ensuite il me parla de son séjour
à Dresde et en Danemarck, des hommages qu'on lui
avoit rendus, et de la traduction qu'un émigré fsûsoit
alors de la Messiade. Dans tout cet entretien, je ne
plaçai pas six monosyllabes. Klopstock, au bout de
trois heures, se retira très-satis&it de ma conversci-
tion: car il dit le soir à un de mes amis qu'il m'avoit
trouvée fort aimable. Ass^rément c'étoit l'être à
peu de frais.
.Cela me rappelle un trait du même genre, pour le
moins aussi comique. Une dame firançaise, recevant
pour la première fois la visite d'un littérateur et baron
66 MEMOIRES
allemand, M. de Rambor, lui demanda avant même
qu'il fût assis : Monsieur le baron, que pensez-vous
de Faction de Julien Vjipostai qui , en débarquant,
et quittant le Tigre, fit briller sa flotte ?
Ce trait singulier m'a été conté par M. le prince
de T*** ; il prouve que la pédanterie chez t^outes les
nationsprend les mêmes formes etles mêmes ridicules.
Je restai quelques jours, ensuite je^artis pour la
France. Ma nièce, Paméla, et quelques autres
personnes me conduisirent jusqu'à Harboiû*g, où
nous nous sépsurÂmes. Je me retrouvai avec joie
dans la même auberge d'Harbourg, où, sept ans
auparavant, proscrite et fugitive, j'avois passé une
nuit pendant laquelle je fis mon JSpitre à F asile que
J'aurai. Nous coBtinuâmçs fort gaiement notre
route; M. de Lawoestine vint au-devant de moi à
Anvers y j'eus un^and plaisir à le revoir; il m'avoit
donné une véritable preuve d'amitié quelques années
auparavant, en faisant deux cents lieues pour venir
passer avec moi quinze jours dans le Holstein« U
m'arrîva à -ce sujet une aventure singulière que je
Tais rapporter ici. J'étois encore à Âltona dans mpn
auberge, lorsque j'appris le lieu où étoit M. de La-
woestine ; je lui écrivis, il me répondît qu'il alloit
tout quitter pour venir me voir : je reçus cette ré-
ponse au moment où je venois de renoncer à
mon incognito et où j'avois repris mon véritable
nom% Pendant qu'on m'^rrangeoit un logement à
DE MADAME DE GENLIS.
67
Hambourg, je restai encore huit jours à Altona,
mangeant toujours à table d'hôte, comme pendant le
temps de mon incognito. Depuis deux mois, un
jeune étranger que personne ne connoissoit, et qui
portoit un ordre très-inconnu aussi, venoit réguliè-
rement dîner dans cette auberge : il avoit des
manières assez agréables, parloit fort bien français
et paroissoit avoir de l'esprit. Il se mettpit toujours
à table à côté de moi, je causois avec plaisir avec lui.
Lorsque j'eus déclaré mon nom, il me fit beaucoup
de complimens, et comme il m'avoit dit qu'il avoit
séjourné à Clèves, où étoit M. de Lawoestine, je lui
demandai s'il le connoissoit ; il s'écrie avec enthou-
siasme quejion-seulement il le connoissoit, mais aussi,
qu'il étoit son ami intime, et il ajouta qu'ayant un
logement à Hambourg, il espéroit bien que M. de
Lawoestine logeroit chez lui quand il y viendroit pour
me voir. Deux jours après cette conversation, je
reçus un soir une lettre de cet étranger, qui me
mandoit qu'il étoit au comble de la joie, que M. de
Lawoestine étoit arrivé, qu'il ne m'écrivoit pas parce
que, par un accident qui n'avoit rien de dangereux, il
ne pouvoit pas se servir de sa main droite, et qu'il
étoit si fatigué qu'il venoit de se mettre au lit; qu'il
me conjuroit d'aller le voir tout de suite, et que,
pour m'épargner tout embarras et tout retard, il
m'envoyoit une voiture; en effet, une voiture de
louage m'attendoit à la porte« Cette lettre me parut
* I
68 MEMOIRES
si extraordinaire^ que je la montrai à mon hôtesse
mademoiselle Plock, qui étoit dans ma chambre;
mademoiselle Plock me dit que ce jeune homme
passoit universellement pour être un aventurier^ et
qu'elle me conjuroit de ne point aller à ce singulier
rendez-vous. Je renvoyai la voiture en faisant dire
que je ne pouvois aller à Hambourg. Le lendemain
l'étranger ne vint point dîner^ ni lès jours suivans : on
ne le revit plus. - M. de Lawoestine n'étoit point
arrivé; et quand il vint^ ce qui ne fut que deux mois
après^ il me dit qu'il n'avoit jamais ni connu ni vu
cet étranger. J'ai imaginé que cet étranger avoit
voulu par ce mensonge m'attirer chez lui pour me
faire signer quelqù'abandon de mes ouvrages; ce
qu'il y a de certain^ c'est que cette fourberie cachoit
certainement un complot très- noir.
Je trouvai ma fille à Bruxelles ; après neuf ans
d'absence^ ma joie de la revoir fut inexprimable ; car
les dangers qu'elle avoit courus^ les cruelles inquié-
tudes qu'elle m'avoit causées, àvoient quadruplé
pour moi la longueur des douloureuses années de
l'absence. Je passai xjuelques jours à Bruxelles,
accueillie avec beaucoup de grâce à la préfecture par
monsieur et.madame de Pontécoulant. Casimir, qui
marchoit devant moi, parut le premier dans le salon ;
son entrée y fut singulière : il n'avoit jamais vu de
parquet frotté et ciré, parce qu'à Berlin en général
(du moins alors) les parquets étoient fort rares. Les
DE MADAME DE GENLIJÏ. 69^
pièces des logemens^ très-élëgans*â'aiUeurs^ étoient
seulement planchéiées, sablées et lavées tous les
jours, ou couvertes de tapis. Casimir fut donc
extasié à ta vue de ce plancher luisant, qui lui repré-
sentoit la glace sur laquelle on patine, et sur-le-
champ il se mit à fstire une longue glissade, et dans
son élan impétueux renversa deux en&ns ; il alla~
tomber sur les genoux de madame de Pontécoulant,
qui étoit à l'autre extrémité du salon ; cette manière
de faire connoissance eut un grand succès, j;af elle
excita une gaieté générale. Je retrouvai- aussi là
mon neveu César du Crest; le bonheur de nous
retrouver réunis me fit passer ces tr&is ou quatre
jours deja manière la plus charmante. Enfin je revis
encore à Bruxelles'M. de Jouy^ avec lequel j'avois
été si liée à Tournai, et au mariage duquel j'avois
contribué; je lui montrai que j'avois conservé dans
mon livre de souvenirs des vers remplis d'amitié qu'il
avoit faits pour moi et signés de sa inain*
Je retournai à Paris avec ma fille ; je n'essaierai
point de peindre les émotions que j'éprouvai en pas-
sant la frontière, en entrant en France, en entendant
le peuple parler français, en approchant de Paris, en
apercevant les tours de Notre-Dame, et en passant
les barrières.
Des émotions d'un genre bien différent m^atten-
doient à Psuris, et m'en rendirent le séjour bien
pénible pendant les trois premiers mois.
70 MÉMOIRES
Tout me paroiâsoit nouveau ; j'étoi& cooôme une
étrangère que la curiosité force à chaque pas de
s'arrêter. J'avois peine à me reconnoltre dans les
rues^ dont presque tous les noms étoient changés ^
je trouvois des philosophes substitués aux saints;
j'avois été préparée à cette métamorphose^ en Usant
-1' Almanach naiionaly où j'avois vu les saints rem-
placés par les sans-culottidcs et par des ognonSy des
choux f du fumier j des ânes, des cochons, des lièvres,
etc.^ etc. L'antipathie très-naturelle que les chefs
de la république avoient pour tout cequin'étoit pas
ignoble, ou du moins vulgaire, leur a;(roit fait sup-
primer les mots hôtels et palais. Ainsi je retrouvai
à peine effacées les inscriptions qu'on avoit écrites
sur les façades de ces anciens édifices : maison ci^
devant Bourbon, maison ci^devant Conti, propriété
nationale, etc. Je lisois encore sur quelques mmrs
cette phrase républicaine: La liberté, la fraternité
ou la mort.* Je voyois passer des fiaqres que je
reconnoissois pour les voitures confisquées de mes
amiis ; je m'arrêtois sur les quais, devant de petites
boutiques, dont les livres reliés portoient les armes
d'une quantité de personnes de ma connoissaoce^ et,
* J^'aTois déjà vu avant mon départ de France, en rerenant de
Clermont en AaTergnie> sur tous les rochers dont la nion^tgoe de
Châlonsà Autun est parsemée, ces terribles inscriptions: Tremblez,
aristocrates. La liberté, ou la mort, etc. — fNote de V Auteur.)
DB MADAMB BB 6]^N1«IS. 7^
dans d'autres boutiques^ j'apercevok leurs portraits
étalés en vente publique. J'entrai un jour chez un
petit brocanteur qui en avoit au moins une vingtaine ;
je les reconnus tous, et mes yeux se remplirent de
larmes en pensant que les trois quarts des infortunés
nobles que ces peintures représentoient avoient été
guillotinés, et que les autres, dépouillés de tout et
proscrit^, erroient peut-être encore dans les pays
étrangers ! • • • •
£n filortant de cette boutique, j'allai, toujours
seule, me promener sur le boulevart; au bout de
quelques minutes, un marchand, portant de char-
mans petits paniers d'osier, passa près de moi ; je
l'arrêtai pour en choisir une demi-douzaine ; mais je
n'avois point d'argent, sur moi, et d'ailleurs je
n'aurois pu les emporter ; il me demanda mon
adresse, et me trouvant auprès de la porte ouverte
d'un marchand de vin en détail, j'entrai dans le
comptoir, qù je ne trouvai qu'un' garçon -de boutique
auquel je demandai de Tèncre et un peu de papier ;
j'écrivis rapidement mo^ adresse que je lus tout haut
au marchand de paniers avant de la lui donner j alors
le jeune cabaretier s'écria : Eh ben ! vous étés cheux
vous! — Comment ?— Pardi oui; vous êtes dans le
cUd^vant hôtel de Genlis !..... En effet, c'étoit la
maison qu'avoit occupée, pendant quinze ans, mon
beau-firère, le marquis de Genlis, Il me fut impos-
sible de la reconnoitre; tout le rez-de-chaussée étoit
divisé en plusieurs boutiques, et la façade des autres
\
72 ' MÉMOIRES
logemens tout-à-fait méconnoissable. Cet incident
ridicule me serra le cœur, et je me hâtai de m'âoi-
gner de ce lieu si triste pour moi. '
Je vis beaucoup de parvenus qui, nés dans la
classe de simples ouvriers, avoient fait les plus bril-
. lantes fortunés ; les uns ne se rappeloient leur pre-
mier état et leur extraction que pour s'enorgueillir
du chemin qu'ils avoient fait, comme s'il eût été «
merveilleux qu'un plébéien eût obtenu une excellente
place dans un temps où les nobles en étaient dépouil-
lés ou exclus! Les autres, pleins d'orgueil et dé
suffisance, prenôient l'impoliteâse pour de la di-
gnité ; les mots respect^ honneur^ n'entroient jamais
dans leurs formules, même avec les vieillards et les
femmes ; et substituant à ces mots d'usage parmi les
gens bien élevés, les mots avantage etcivilité^ comp-
tant leurs pas en reconduisant chez eux, s'inclinant
à peine pour saluer, parlant toujours à haute voix,
ils croyoieiTt avoir les manières des grands seigneurs
et un ton parfait.
Je revis avec plaisir le fils d'un de mes anciens
gardcrchasses, devenu capitaine, qui avoit servi dans
nos brillantes armées avec la plus grande distinction;
sa belle tournure et son bon air me rappelèrent ce
mot de la Rochefoucault : L'air bourgeois se perd
rarement à la cour^ il se perd toujours^ h V armée.
Je vis des femmes qui haïssoient naturellement
toute, conversation intéressante ou spirituelle, parce
qu'elles n'y pouvoient prendre part ; du comniérage
DB MADAMB DB OBKLIS.
73'
OU de la médisance fdrmoient tout leur entretien ;:
^les avoient refroidi tous les amis de leurs maris par
leur insipidité^ leur sécheresse et leur susceptibilité,
défaut de toutes les femmes qui manquent d'esprit
et d'éducation. La plupart de ces personnes, ridi*
culement vaines, comptoient les visites et màr-
chandoient une révérence, elles étoienît toujours sur
le qui vive? toujours inquiètes, de là manière dont
on les traitoit, sans savoir positivement comment on
doit être traité; de sorte qu^elles s'irritoient con-
tinuellement de manques d'égards imaginaires et
d'impertinences idéales* Elles se plaignoient sans
cesse à leurs maris, qui d'abord n'y faisoient nulle
attention, mais qui, peu à peu, s'accoutumbient à ce
Çenre d'entretien, car on n'en pou voit avoir d'autre
avec elles. Je ne retrouvai plus de bureaux d'esprit, et,
quoique je n'en eusse jamais tenu, je les regrettai.
On appeloit ainsi jadis, en dérision, les maisons dont
la société étoit principalement-composée: de gens de
lettres, de savans et d'artistes célèbres, .et dont les
conversations n'avoient pour objet que les sciences,
la littérature et les beaux-arts: voilà ce que les
ignorans et les sots tâchèrent toujours de tourner en
ridicule.* . Cependant ces réunions seroîent aussi
* Il y eut sans doute quelquefois c^e la pédanterie à Thôtel de
Rambouillet, mais, en g^énéralj ces réunions de. gens d'esprit, de
sarans et .^'artistes, durent, par leur éclat,' exciter la jalousie de
tons les sots, qui ne manquent jamais de généraliser les moqueries
TOME V. ^4
sigréflUQs. qu.'inslaructiT«s si efloa éloûttt eacempte»
de toute péâmtene^ el lud. ftatxe g^iue de société m
jjaénttvfÀt d'être Mafli ledMOird^ié ; et il sraftroift pamr
cela que 1» mattra^de: de 1» «e^isan fftt aiis».bte et
naJtureUe, cttr aioc» oa don»ie aiaévient & K sociétié
qu'en tafisttntde. le toa fu'on a& sol-^antee. IH|mb
Khôt(rii de BaartMoilto» les idu» femeiur ânrema*.
d'espné£^cattt^ dans le dfsrmér «àde^ eeu» d« neft^
dame&i diiJL Deff&Bt, Geoffifiu^ d'EspÔMfiae cA d'Hou-
detot. De tontes, cm femmes efânturika^ cdts qm,
malgré h viexUestie, frùoit Isè oûeinc kai hottueoea de
l'un à» ces salons aeadémû|QeSy étoit madame da
De&nl*-
J*eus hiesa diMtcet aiçets . de mécoBtetÉtemens^ je^
trouvoiè toulï changé^ totttt jusqu'au, loBgagff^* Vowi
çtrtiicnUèFet, Ijooqa^elles taiiibeiit ^uv lefipeffK>Biie9 d'un fgawà vtèr
rite. Il seroit curieivc de recueillir tout^ lea seines intéressant^^
qui se sont passées^ et tous les bons mots qui se sont dits d^ns le
ikmenx b6tet de RambonfHet; Ceci me rappeHè un trait qui mérite
^ôtre cité. BiCMBuet, âgé db seîxft ans^ sy fiouffant nasoiir^ j
débita^ 4 wnnik, le^ pre^iisr setm^tk qfi'ii» eCU. cfi«n[^3 il £aè a|h
plaudi avec transport, et Voiture dit â «e sujet. quMl.n^avqit j^aia
entendu prêcher si tôt et si tard.-^^'Hote de VAuteur.J
• Ai^ourd^ui les bureaux d^esprit manquent essentiellement à
Fans, et U focrvemeoMiift sartovt doit Ib» regretter. La. paix-
universelle seroit assurée, s'ils remplaçoient les bureaux politiques,
f Ce^qiii anâse tunjspm« daoa. Ick pH»iuti«M>qiiii se pvolpageiit.
Jt*ai déjà citéy à ce-soje^ rcKmple>d^ kt Dévolution anglaiaa. et. les
9Hn» que> prit Charlss I( pour célbrraqr. le lengïige tout^-isi^ «M-
nalaté sous Cï-ommcH,
DB MADAME DB GBNLIS. 7^
lés phmses qui me frappèrent le ptasy tt je. pense
qti'il n'est pas inutile pour la jeuneide et pour les
étrangers de les citet ici : ce n^ est pas Fembiarrasy se
domiêr des tonsy des gens de même farine^ tne pstroid-
soient aussi vider de sens qu'^nobles) j^aTtrois {Mine
à cofiïeevo» qitf die» possent passer dans le lafigage
des petiomiesi bkts élevées. Cela est fatce^ ^éla
(Xrttte grei^ ou le Pétfm, un objet c(mséquei$t, pour
Attt un obj^ d'tni gvsaté prix, n'étdient pas d'un
pins mauvais toii# Pour bien parler, il faut ne rien
<Kre de tropy et en même temps dire tout ce qui est
néeessaiitô à te clarté du discours; L'ellipse ne vaut
jamais rien dans la eonversation, parce que les mots
sous-entendus peuvent y jeter quelque chose d'êqui-
vo^e.cfl àe l'obscurité : c'est pourquoi on parle mal
en £saiif;f la Capitale, pour dire Paris; du Chamt--
pûgMy dvf Bordeaux j au fieu de vin de Qiampagne \
ou les FranqaiSy au lieu de la Comédie Française.
EUe a de Vusage, de quoi ? • • • «On doit dire : eUe a
de l'usage du monde» Lorsqu'on dit^ un lotiis d'or^
Quoique parmi nous, plusieurs personne» emploient encore quel-
qntfin» de majorfmaim locutionsy on parle infiniment mieux qu*à Tépo-
que de mon^'retonr en France.*— (jVb#e de V Auteur^
* Bans ce temps^ on cita beaucoup^ de'M. le prince de T. . . . ^
uiA gégoBse charmante dans son genre» parce qu'elle prouve autant
da préKnœ d*espnt que de facilité à prendre tous les tons quand
il le fiHit. U doBBoit une fête OMignifique. Une dame très-parée, qui
k» étoii ineonnuey s^apprôoha de lui en- disant : Cda doit vouê coûter
Sremi^^h! réfonditai^ «c iCeUjftu U Ptfrou.— (^e#e fis VAut,)
4*
76 MEMOIRES
i
on parle mal dans le sens opposé. Éduquer; il reste,
pour, il demeure; Fon équipagey^M lieu de sa voiture;.
venez manger ma soupe; un castor^ pour un cha-;
peau; ^ vous^ fais excuse, il roule carrosse; une
bonne trotte, pour une. bonne course; son cW, pour
son salaire; le beau monde; un beau râtelier ou une
* superbe denture, pour louer de belles dents^ sont des
façons de parler si basses**, ainsi que ces mauvaises,
expressions, elle est puissante, c'est-à-dire . grosse ; >
un muscadin, un fat; Jlaner, poi;r muser; et les
vérbeé embêter, endéver, etc. ; je suis mortifié, pour
je suis fâché. JVorti/ié veut dire humilié ; il est jbrès- ,
ridicule de dire qu'on est humilié de n'avoir pas ,
trouvé quelqu'un chez lui.
Je ne fus pas moins surprise en entendant dire
votre demoiselle, pour mademoiselle votre .fillef. Ma-
dame, tout court, en parlant à un mari de sa femme ;
* Ce qui n^est pas inutile, car les étranglera, n^apprenant com-
munément le langage familier qu^en parlant avec des domestiques,
emploient souvent des expressions ridicules. On a entendu plu-
sieurs grandes dames anglaises dire qu^elles avoient froid 1[>a chaud
comme Vote*»— (2Vbfe de F Auteur.)
f Ou a remarqué comme une inconséquence de la langue que le«
mots mari et femme soient proscrits dans le g^nre héroïque, et que'
les mots époux et épouse, consacrés à ce genre, soient de mauvais
ton dans le langage fapilier; mais ce n^est point uiie inconséquence,
c*est précisément parce que ces mots sVmployoient seuls dans le
genre héroïque, qu'on les a exclus de la conyersation, non comme ,
'ignobîeSf mais comme emphatiques. Le peu^ile ne s'en sert que par'
analogie Le mot épousaUUey le verbe épouêer, lui ont fait prepdre.
DE MADAME DE GENLIS. 77
en usez^vous ? (du tabac) pour en prenez- vous ; j*y
vais de suite, pour j'y vais tout de suite } il a des
éctis^ pour il est riche. // lui fait la cour, c'est-à-
dire il en est amoureux y ce qu'on exprimoit jadis plus
délicatement en disant : il est occupé {Telle.
Voici quelques manières de parler que l'on trouvoit
très-niàuvaises autrefois^ et qui sont assez usitées,
aujourd'hui: fai pris une glace ; on disoit bien
prendre des glacçs^ mais il falloit dire : j'ai pris une
ou plusieurs tasses de glaces^ et c'est en effet par-
ler plus régulièrement. Des manières engageantes
étoient une phrase ridicule 3 on le trouvoit, et avec
raison : d'un homme c'est trop dire } d'une femme
c'est presque une injure, ou du moins un éloge
peu convenable. Les étrangers disent souvent qu'ils
ont bu du café, du thé, c'est mal parler; boire ne èe
m
dit que de^ liqueurs faites pour servir de boisson,
pour désaltérer, l'eau, le vin, la bière, le cidre, etc.,
et on dit : prendre du café, du thé, du chocolat.
Ce qui me choqua surtout, c'étoit d'entendre des
■
femmes appeler leur cabinet un boudoir y car ce mot
natarellement Thabltude de dire épouse^ et par analogie encore
quand un onvriel* dit ma femmey celle-ci dit mon homme.
Le people, pour dire quMl a donné un bouquet à quelqu^un, di
qu'il Ta fiewri. ' Il appelle toujours une servante wm 6ontie, et ma
hornuke est aussi son nom <l'amitié favori, ce qui rend cette expression
triviale et de mauvais goût. Par la même raison, la formulé antique
je vous saluey n'est pas de meilleur ton. — (Note de V Auteur. -
7^
M^MOim^S
bigarre n'étoit employé jadis quf^ par 1^ courljeanea*
Je trouvoîs encore que, lorsqu'on faboit h» bonneu»
d'une maison, il ne falloit pas offirir d'unie manière
vague, comme le faisoient beaucoup de personnes
qui avoieut l'air de ne pa3 savoir les noms, de ce
qu'elles proposoient, disant seulement^ vQulez'-v4)us
fïU poisson, ou de la volaille f On appeloijt lés mar*
chaudes de modes de9 modi9te$^ et un livre de souvc^
njr un album ; en parlant de rhabUlement de quel*
qu'un, $a ndse^ une mise décente j etc. Vwcî encore
des phrases du langage révolutionnaire, qui ne me
déplurent pas moinç : ^iborder la question, en der^
Trière q^iialyse, traverser la vie» On ne traverse un
qh^iin que dans sa largeur, car y marcher dans sa
longueur, c'est le suivre» Ainsi, traverser est toujours
flaire un petit t^f^et , qua^d on vit d'âge d'homme,
G» n'a point traversé la vie, on J'n parcourue, l'expres-
sion étoit donc impropres on' ne pourroit dire que
d'un en&nt mort au berceau, qu'il a trwuer^ la vie.
On avoit inventé une phrase mev^^eiUeuse, car elle
r^pondoit à tout, elle e;xcu8oit tout* Quelqu'un fai*^
soit-il une sottise, ses amis disoient : c'est Qu'il était
dans une fausse position ^ on n'avoit plus rien à ob»-
jçcter. Cependant cette phrase, traduite littérale-
ment, signifie qu'&n étdit dans une situation embetr^
rayante} et à cela on répondoit jadis que l'esprit de
conduite, le courage et Thabileté dévoient servir k en
DE MABAMB D% GENLIS. 79
tirer. Mai« ces mots^ une fausse 'posUkan^ coûune on
l'a dit^ justifioieat toiit»
Jedoisdh-e^ à l'hoimair de la sociâé actuelle^
qu'on y entend beaucoup moiûs de ces phrases mbor^-
rectes que je vien& de citer^ et même de ces phrases
banales et à la mode qui répandoient autrefois^ avant
la révolution^ beaucoup de monotonie et d'insipidité
sur la conversation. Dans l'ancienne société^ éteinte
ou dispersée, on entendoit partout des exclamations
qui exprimoient i'étonnement^ ladésolation, Thorreur
ou l'enchantement et l'enthousiasme : tout étoit m •
concevable, inouï, monstnteux, horrible^ on charmant
et céleste. Lorsqu'on reucontroit quelqu'un auquel
on avoit fait fermer sa porte, on ne mauquoit jamais
de lui protester qu'on étoit désespéré de ne s'être pas
trouvé chez soi. Les gens d'un ton plus raffiné se
contentoient de dire qu'ils étoient bien qj^igés»
Après avoir fait sept ou huit visites, on rentroit dans
sa maison avec le remords d'avoir plongé dans VtS*
flictiôn et réduit au désespoir une douzaine de per-»
àonnes, mais aussi avec la consolation d'en avoir
charmé et rendu heureuses un pareil nombre. Au-
jourd'hui, ces exagérations sont font âffoiblies ) les
femmes surtout sont beaucoup plus froides, moins
affectueuses, moins accueillantes; mais son t^elles plus
sincères ? c'est une question que je ne me permet-
trois pas de décider.
On ne soupoit plus, parce que les usages n'étoient
80 MÉMOIRES
pas nfoins changés que la langue *■ 3 leis spectacles né
finissoient qu'à onze heures du soir, et cela seul pro-
duisoit un grand changement dans la société. Après
le dîner, on vouloit ou faire des visites, ou aller au
spectacle; on étoit distrait, préoccupé; on regardoit
à sa montre : toutes ces choses ne donnoient ni un
m^ntien ni une conversation aimables. Le souper
jadis terminoit la journée ; on n'avqit plus rien à
faire ; on ne craighoit plus le mouvement çt Finter-
ruption causée parles visites qui surviennent toujours,
après le dîner ; on étoit tout entier à la société : au
lieu de compter les heures^ on les oublioit, et l'on
causoit avec une parfaite liberté d'esprit, et par con<^
sëquent avec agrénlent.
^ Autrefois les soupers dé Paris étoieht renommés
pour leur gaieté ; on s'amusoit, on causoit sans in-
terruption même à table, parce qu'on y étoit toujours
j)lacé par son choix, à côté des personnes qui coh-
venoient le mieux. •• «Chez les princes du sang, le
prince appeloit auprès dé lui deux personnesy et tou-
jours deux femmes ; la princesse aussi, et de même
toujours deux femmes y à nK)ihs qu'il n'y eût un' prince
étranger de maison souveraine et sur lé trône;
d'ailleurs on pensoit que ni une princesse ni une
femme de la société ne^ poiivoient, avec bienséance,
* Quelques-uns des usages anglo-révolutionnaires subsistent tQU«
jours, par exemple ceux qu^on Ta hire.^Nôte de Z* Éditeur,)
DE MADAME DE 6ENLIS. 81
inviter un homme à venir s^asseoir à côté d'elles
pendant une heure et demie ; on pensoit qu'à moins
des privilèges du rang le plus élevé, il n'y a point de
cas 0Ù3 dans le cours ordinaire des choses, une femme
puisse faire des avances à un homme. La politesse
étôit parfaite, et par conséquent toujours aimable ;
elle ne dégénéroit jamais en froid cérémonial, et l'on
évitôit avec soin, dans la société, tout ce qui pouvoit
ressembler à V étiquette et rappeler l'idée de quelque
inégalité dans les rangs/ On trouvoit que chez soi il
falloit savoir accorder des distinctions à ceux qui le
méritoient, ou par laréputation, l'esprit, la considéra-
tion personnelle, bu par leur place et leurs emplois 5
mais sans jamai§ blesser ou désobliger les autres, ce
qui se faisoit fort naturellement, en js'occupant un
peu plus de ces personnes, et non en leur donnant
solennellement des préférences qui faisaient jouer un
rôle subalterne à ceux qui ne les obtenoient pas. Le
grand seigneur, quj invitoit à un grand souper la
femme d'un fermier général et celle d'un duc et pair,
les traitoit avec les mêmes égards, le même respect*
La financière établie dans le cerclé n'auroit point cédé
sa place à la duchesse ; et, si par hasard elle la lui
eût offerte, la duchesse, sous peine de passer pour
impertinente, ne l'auroit point acceptée. Lorsqu'on
alloit se mettre à table, le maître de la maison ne
s'élancoit point vers là. personne la plus considérable
pour l'entraîner, du fond de la chambre, la faire
]^^tv ep triomphe devjant tputçs leç wtïreg fepimçfi,
et 1^. placer av^c ppmpe à table à çôt^ 4e luit I^Qf^
autres hommes ne s^e préçipi^iQ^t ppipt pour-i^?»^
/a Tnatn (i^^a: Jlmnes,^ coq^^p^Q j^ Iç royols^ et çog^me
on le foit encore )|Q\^vent auJQi;^râ'hui., Cetups^ejie
se pi-aitiquoit ftlw^ q^^ 4^nft le«| vUlçs 4e proviriçç,
J^es fppamçiç Ô'^-bQrd ^pvtoient tQUtef 4tt «ftlpn ; çelleg
qui étcûent le plqi^ près de la pQçte p^f^o^ent left pï^i
mièreg ; elles se fj^ispiç^t entre ftUe« qwlquea petite
çompUm^P!^ ^iws très-QQurts, ^t qui nç fôtwdeitst
i^uUçmept la î^iarçhe, Tout çel% sç feipqit ft^ni» çm^
b^iT^s, ayeo ca^l^iç, pansi e.i^pr^.§en3^^nt et gôR» lon^
teui: ] l^^. homfnes p^^soient epi^uite. Tout le mo;^Q
an'ivé dans la salle à manger, on ^e ptegpit k t&bte à
^Qti g\*é, et le maître et Is^ mattreisse de \^ piaiâQii
troiivoîent faoil^me^t le n^oyen, isf^ji^/é^iVif cfe «f^^j^
d'engager le^ quatre fçmme^i les plii^ distii\guéç^ dç
rassemblée ^. se piettre à côté d'eux, Qpm¥^>u|^
ment cet arrangement, ainsi^ que. ^esque tous |es
autres, ^yoit ^té décidé en particulier^ daAs le salo?^..
Yoil^ Açs. p>iœurs SQçis^les et de^ n^anièFeg. yérit^bli^
m^ent pqlles, p^çce qu'eUes phlig^^^t cell^ft qi^ Vç«3l
veut part^QuUèrççnent boiuqyerj^ et qW'eJUeiS n^ blçsaç iit
pçri^oi^u^ ; nq^s Qvqns changé tml; cela. Npi|»#^i({^
ifle^t, % i^qn retjçsur ^» France, ç^çncpre^niour^'hui,
le m^îtçe de fe lu^api^ s'çmpar^it dç.l^. 4ïMWe Ifi plm
cm^mW W'tt ^^hliçs^it H côté 4e lu^, in^i^ iUw
falloit un sççw4, Çt ^ nppaçw¥i^ un autçe: bp^me, ^
D» BtADAMI» DB GSNtlS. 83
ph» étevé en grade^ qu'il faisoit placer près d'elle |
et si cette femme^ comblée de tant d'hoiaineursy aimoit
inieux Tamuseinent que la gloire, et que par malheur
(ce qui n'est pas absolument impossible) le maître de
la maison, et même le général d'armée, ou le maréchal
de France, fût ^ennuyeux, die passoil une triste
s(»rée».Les autres femmes n'étaient pas plus heu*
reusea; car l'impérieux despote qni les rassembloit
chez lui avoit nommé à haute voix les voisins qu'elles
deroient avoir» Il Csdloit avohr une gaieté â toute
épreuve pour en conserver un peu à de tels repas.
Autrefois les femmes, iq>rès le dîner ou le souper^
se levoient et sortoient de table pour se rincer la
boiydie j les hommes, et même tes princes du sang,
par respect pour elles, ne se permettoient pas, pour
faire laméme choses de rester dans là salle à manger ;
ils passoient dans une antichambre. Aujourd'hui
cette espèce de toilette se fait à table dans beaucoup
demaisons% Là, on voit des Français, assis à côté
des femmes,, se laver les mains et cracher dans un
vase, • • » C'est un spectacle bien étonnant pour leurs
granda*pères et leurs gnind^s-^nères : cet usage vient
d^Angkterre. Il est certain que cette coutume n'est
pas française : mais au moins cette coutume est plus
excusable en Angleterre, puisque .les femmes se
lèvent toujours au dessert^ et laissent les hommes à
table.
Dans la bonne compagnie jadii^ kv femmes étoîent
48 MÉMOIES8
I
■
traitées par les hommes avec presque tous les usages
respectueux prescrits pour les princiesses du sang;
ils ne leur parloient en général qu'à la tierce per*
sonne ; ils ne se tutoyoient jamais entre eux devant
elles ; et méme^ quelque liés qu'ils fussent avec leurs
mafis^ leurs frères^ etc.^ ils n'auroient jamais, en leur
prébênce, désigné ces personnes par leurs noms tout
court • Jamais alors les gens bien élevés ne;^ louoient
en face une femme sur sa figure ; ils lui supposoient
toute la modestie de .son sexe, l'éloge leplus'flatteiur
que l'on'puisse donner. - Lorsqu'on leur adressoit la .
parole, c'étoit toujours avec un son de voix moins
élevé que celui qu'on avoit avec des hommes.' Cette
nuance de respect avoit une grâce qui ne peut se
décrire,* Toutes ces choses n'étoient plus d'usage à
mon retour ; chaque honmie pouyoit dire :
De soins plus importans mon âme est agitée.
De leur côté, les femmes, n'étant plus traitées avec
respect, avoient perdu la retenue qui doit les carac-
tériser ; par exemple, elles appeloient dans un cercle
les jeunes gens par leur seul nom de baptême; et
l'habitude d'entendre tutoyer continuellement en leur
présence leur avoit fait prendre celle de se tutoyer
* * joutons qne^ peu d'années avant la révolution, on n*aaroK osé
paroitre en bottes devant elles à Paris. Il est vrai qu'alors, excepté
à la campagne, elles ne. recevoient communénient les hommes qa*à
dinér et le woxtj^^diede V Auteur. J
DE MADAME DE GENLIS. 85
entre elles devant du monde^ chose qu'on n'a jamais-
vue dans l'ancien- temps.^
J'observai un ridicule plus amusant^ je m'aperçus
que, malgré le dénigrement aifecté de l'ancien temps^
plusieurs parvenxis avoient fait, une étude sérieuse de
Tart de contrefaire les grands seigneurs de l'ancienne
cour. MM. de Talleyrand, de Valence, de Narbonne
et de Vaudreuil étoient surtout leurs . modèles. Il
faut avouer qu'ils les choisissoient bien.
Une chose qui me déplut particulièrement, fut la
suppression des couyre-pieds.de chaises longues. • Je
^ vis les dames les plus qualifiées et les plus à la mode
de cette époque recevoir parées et couchées sur un
canapé, et sans couvre-pied. Il eh résultoit que le
plus léger mouvement découvrpit souvent leurs pieds
et une pai*tie de leurs jambes. Le manque de dé-
cence qui ôte toujours du charme, surtout aux fem-
mes, donnoit à leur maintien et à leur tournure une
véritable disgrâce.
Mes visites, danS'quel(][ues maisons, me firent con-
naître l'inexpérience et le mauvais go^t de . ceux qui
remeublèrent les hôtels et les palais abandonnés et
• Cette remarque sur le tutoiement rappelle un mot très^laisant de
madame de Bussy, femme du gouverneur de Saint-Domingue, étant
seule avec son mari' qu^elle n^oimo^ pas. M. de Bussy la conjuroit,,
ce qui étoit tjprt simple, étant téte-À-téte, de le tutoyer, ce qu^elIe
n^avoit Jamais fait. Après beaucoup dMnstaftces passionnées, elle y
consentit enfin, et lu dit : Eh bien ! va-fen^^Note de f Auteur J
86 MÂBIOIRBS
dévastés. J'y remarquai mille bizarreries. On
plissoit sur les murs les étoffes^ an lieu de les étendre;
on calculait sans doute que de cette manière Vminetge
étolt infiniment plus conéidérable^ et que cela étolt
beaucoup plus magnifique. Afin d^éi^ter Tair mesquin
qui auroit pu rappeler certaines origines^ on donnoit
a tQua les meubles les formes les plus lourdes et les
plus massives. Comme on savoit en général que la
symétrie étoit bannie des jardins^ on en avoit conclu
'queVou devoit aussi l'exclure des appartemens^ et
l'on posent toutes les draperies au hasard. Ce dé-
sordre aflfec^é donnoit à tous leasalœns l'aspect le plus
ridicule; oax eroyoit être dans despîèces que les
tspis^rs n^&voient pas encore eu le temps d'ar-
' ranger» Enfin, pour montrer que les noureHe^ idées
n'excluoieht ni tagràee m Im gatemterie^ les honnnes
et les femmes rattacboient ks rideaux de leurs lits
avec les atiaùbuts de ramour^ et transformoient en
autels leurs tables de nuit. On vit dçs conspirateurs
qui s'étoient baignés 'dans le sang, se coucher sur des
lits sconptueux, ornés de camées représentant Vénus
et k» Grâces \ et Fon voyoît suspendue sur leurs
têtes, non l'épée de Damoclès, mais une flèche
l^ère ou de» couronnes: de roses* t. . •
I
* Ceci ne se rapporte qu'à l'an mil Uuit centj nmia depui% gjrâce»
aux charmans dessins et an talent de MAC Fontaine et Perci^^ itos
meubles ont toute réJégrance désirab.le.r-.f iVbte: d^ rJEdUiBur.J
DR MAOÂMK DB GENLIS. 87*
No9 voitures ne farcit pas même à Tabri de cet
esprit général d'innovation. Avant la révolution» il
n'y Skvoit point de cabriolets de place^* et c'étoit un
bien ; car cQt établissement a causé une multitude
d^accidens» On a supprimé les chaises à porteurs et
les brouettes^ voitui'es très^insgrettahles pour la classe
qui' n'était pas en état de payer des fiacres. 11 est
étonnant qu'cm n'ait pas imaginé des litières publi-
ques» menées par' des mulets^ pour le service des
malades» des eonvalescens et des femmes grosseï^
auxqneUea les voitures ordint^res sont défendue^.
Ces litières seroient employées k Paris» dans les
environs» et pour les voyages.
La forme des voiturea itoit beaucoup plus agréable
jadis que celle d;s voitures rondes cc»nme des boules»
qui #oient à», plus mauvais go&t. La ferme' des
berliiiea tt des calèches anciennes!» et ceUe des vi^
ànvis,f étûàx d'un fort bon dessb dans kuîr genre et
d'une grande élégance.
Le j&oobinismie avoife supprimé toute espèce de
cfHnpUmeas en proscrivant toutes les bii^naéanees*.
On commençoit à les Tf^rendre à mon retour ; etg^
apparemment pour réparer le temps perdu» on ka
multiplioit et on lea SiQongéoit. IW exemple» en
entrant, et en a^rtant d'un aalos^ ehafiun se croyait
• Il y eft av>ijt 4 N»plw^tr$^lQiigf-te9M?8 9,ym% Ift ïéyQÏuUc».
(Note de V Auteur )
88 MBMOiAES
obligé d'aller faire ^ un eompliment d'arrivée, ou
d'adieu -à la maîtresse de la maison. Autrefois^ au
lieu de ces. entrées bruyantes et triomphales^ ou se
préseiïtoit modestement et sans éclat ; on n'alloit
point attaquer avec intrépidité la maltresse de la
maison, et souvent une profonde révérence formoit'
tout le cérémonial* Lors:qu'on sortoit, on n'alloit
point prendre un congé solennel, on saisissoit le mo-^'
ment où d'autres personnes entroient, on profitoit -
de ce mouvement pour > s'évader sans être. aperçu,
afin d'éviter l'importunité réciproque des complimens
et des reconduites. L'esprit de tous ces usages étoit
bon ; on feroit bien d'y revenir entièrement.*
Après avoir passé quelque temps à Paris, je fis une
infinité de courses à la campagne et. dans les châ-'
teaux 3 j'en fis même plusieurs en simple voyageuse
et par pure cuHosité, et j'avoue que je pensai.qu'en-
général on trouvoit beaucoup plus de popularité, et de
libéralité dans nos anciens châteaux. Je ne trouvai
plus ces chapelles qui étoient jadis d'un si bon
exemple pour les paysans. Je ne vis aller à l'église,
paroissiale que les dames y les hommes n'ymettœent'
presque pas le pied 5 et les paysans, pour les imiter,,
n'y alloient jamais. Je fus aussi scandalisée des fêtes
qu'on leur donnoit: le maître du château leur
ouvroit ses jardins, avec ]a permission d'y inviter des "
* £t c*e6t ce qu^on a fait. Ce qu^on vient de lire fat écrit en iSoo.
CNate deVAuteurJ
DE MADAME DB GENLIS. 89
cabaretiers^ des traiteurs, auxquels ils achetoient les
vins et les repas que nous leur donnions jadis, avec
tant de générosité, mais qui, distribués avec sagesse,
pr^venoient l'ivresse, les quereUes, les scènes scanda-
leuses et souvent Sanglantes qui en résultoient. Une
chose encore qui me parut du plus grand ridicule, fut
la morgue des dames dé châteaux, qui, dans ces
réjouissances, ne vouloient point danser avec les
paysans. Je me rappelai qu'autrefois, à ces. bals
champêtres, nous ne voulions danser qu'avec eux, et
que nous /défendions aux hommes de notre société de
nous inviter, ea leur prescrivant de ne danser qu'avec
des paysannes. . Tout ceci n'est assurénient point
sans exception ; j'ai vu dès lors, dans les campagnes
et dans les châteaux, exercer dans toute son étendue
la charité de tout genre que j'admirois jadis.
J'ai été plus d'un an sans voulofar passer sur la
place Louis XV, appelée alors place de la Révolution,
et devant le Palais-Royal*. . /.Je, logeai d'abord à la
Chaussée-d'Antin, rue Papillon, dans un charmant
appartement tout meublé, appartenant à une jeune
personne qui me le loua pour six mois. Madame de
M ontesson, ma tante, ne m'avoit pas donné signe
de vie dans \es pays étrangers, quoique je fusse
* Une, chose singulière et qui prouve le pouvoir de rimaf^ination»
c'est que lorsqu'on eut doré la pointe des grilles de la grande cour>
Tensemble de l'édifice ne me fit plus d'impression.— Y'iVbfo de VAnt^
ieur,J
90
MBMOIRBS
p«rtie en fort bonne intelligence a?ec elle^ car, de*
puis la mort du vieux duo d'Orléans, elle convenoit
qu'elle avoit fort à ee louer de moi. Je la trourai
dans la plus grande faveur, par sa liaison avec ma*
dame Bonaparte, femme du premier ^consid, qui lui*
avoit tsÀt rendre toute sa fortune. Cependant j^allai
la voir le surlendemwi de mon arrivée ; je trouvai du
monde chez elle; elle me reçut avec une sécheresse
qui alla jusqu'à Timperliuence, et elle affecta de faire .
devant moi une grande parade de son crédit | elle
parla beaucoup de madame Bonaparte et des déjeu-
ners qu'elle lui donnoit. Ma visite fut courte et si-
l^icieuse; M. de Valence me reconduisit. Je lui
dis, en m'en allant, que j'étois beaucoup trop vieille
pour me laisser traiter ainsi, et que je ne reviendrois
plus ; il excusa madame de Montesson d'une drôle
de manière : il me dit qu'elle seroit mieux une autre
fois 5 qu'elle avoit pria de l'humeur en voyant que je
n'étois pas du tout vieillie ; que c'étoit lin petit
tort defemnie qu'il falloit pardonner.
M« de Valence me parla de mes afl^ires. Il me dit que
je n'y entendois rien, qu'il me demandoit de ne les
confier à personne, et qu'il s'en chargeoit. Je répondis
que je ne redemanderois rien à mes enf ans, quoique
j'en eusse les droits les mieux assurés, puisque j'avoîs
mon recours sur la terre de Siliery, mais que j'allois
demander mon douaire à M* le marquis de Noaill^,
qui, par des actes solennels, s'étoit engagé à le
DE MAOAMS Dfi GBNLIS. 91
payer 3 à défunt de quoi^ comiBe, par exemple, s'il
eût été insolvable, j'ayok, comiué je Tai dit, mon re-
cours sur la terre de Sillery, qui étoit toujours dfuis
ma famille, et que je ne férôis la réclamation à M. dé
Noailles que pour conserver le fonds de mon douaire
à ma famille, et dont je n'emploierois l'usufruit que
pour faire de bonnes actions publiques.
Je dis publiques, parce que je m'étois engagée à
n'en rien garder pour moi.* J'ajoutai que, n'ayant
* Par mon éontratde marîag^e, la moitié de tout le mobilier m^ap-
partenoît, la moitié des vins en cave, et après la terreur, ma fille re-
çut évL ^nvernement une somme considérable, en dédommagement
des pitiages faits ft Siliery et dans la maison de Paris, de son père ; et
je n^ai rien revendiqué de cette somme, dont la moitié m^appartenoit.
n restoH beau<îoup de meubles et la^ bibliothèque de Sillery toute
entière ; je n'en ai rien demandé ; enfin j*ai abandonné sans restric-
tion tout ce qui étoit bten de famille, J*ai poussé la délicatesse
J|nqii*â tie pas Touloir garder pour moi une trè»>be1Ié sculpture en
rainrbrey où je suis représentée de* la tète aux pieds, et qui faîsoit un^
des omemens du tombeau de fen madame la maréchale d*£st|*ée.
Cette sculpture, pour laquelle j*avois donné un g^nd nombre de
séanees ft M. Monot, sculpteur de l*Académie, et qui faisoit partie, â
mon retour en France, des collections de M. Lcnoir,* me fut resti-
tuée par les soins généreux de mon ami, M. le comte de Kosakoski
(un Polonois) 3 je saTois que cette sculpture avoit coûté quatre mille
francs à M. de Genlis, et je la donnai à M. de Valeuce. Oa ne l'a
point trouvée à sii mort, on ignore co qu'il en a fait, car tont le monde
Ta vue chc; lui pendant quelques jours. Quant è mon douaire, M.
de Nouilles, qui s'en étoit libéré «vec KX ncUion^ pour deux mille
* La France doit à M. Alex. Lenoir la conservation d'un grand
nombre d'ouvrages précieux, soit par leur antiquité, soit par la beauté
92 MÉMOIRES
rien dans ce moment^ je réclamois la partie qui me
revenoit de la succession de mon grand-oncle Désal-
leux^ que madame de Montesson avoit recueillie toute
entière, et dont il me revenoit un tiers ; il avoit laissé
entre autres, sans compter son mobilier, son argente-
rie et son ai'gent comptant, la terre des Pannats au^
près d'Avallon; cette terre, étoit estimée cinq mille
livres 'de rentre, et elle avoit ud joli château. Ma-
franes en assignats, fout^fait tombés et une fols payés, et en
dénonçant à la n^ion oe douaire, contre toute règle, même de ce
temps, et en manquant à une infinité de formalités ; M. de Noailles
refusa nettement d'entrer en arrangement avec moi, ce qui fit nn
procès qui naturellement devoit être jugé à un grand tribunal, lors-
que M. de Noailles me fit demander de permettre que la cause fût
portée à un petit tribunal, que je m^abstiens de nommer, et qui n^étoit
Composé que de cinq personnes: j'eus la simplicité d'y consentir,
malgré les fortes oppositions de M. Fournel, avocat aussi habile
qu'il est honnête. Sur les cinq juges, M. de Noailles en csut troîf
qui jugèrent en pa faveur,' et qui donnèrent pour motif de leur cour.
damnation, ce qui est exprimé dans l'arrêt, que j'avois mon recpurs
sur la terre de Sillery . Je l'avois en effet j mais, comme je l'ai dit, je
n'ai point voulu en profiter, et j'ai abandonné ce douaire tout .entier
^me^ QVkÏ9X»,-'-^( Note de V Auteur J
du travail. 11 fut à la fois* le créateur et le conservateur du Musée
des Monumens français, et parvint, en les réunissant en un même
lieu, à les soustraire au' marteau des barbares. M. Alex. Lenoir fut
blessé d'un coup de baïonnette, en s'opposant à la destruction du
beau mausolée du cardinal de Richelieu. Ces monumens, qu'il avoit
classés par siècles, ont été dispersés de nouveau, et rendus, en.
grande partie, à leur destination première. — {NotedePEdHeur.J
DE MADAME DE OENLIS. 93
dame de Montesson ne rougit pas de me faire offrir
dix mille francs une fois payés pour ma part. Je
n'avois rien, j'étois dans le plus grand embarras pour
exister : il fallut bien accepter. Elle me fit signer
un acte par lequel je m'engageois à ne jamais rien
réclamer de plus. Si du moins on m*eût donné cet
argent comptant, j'auroîs été tirée de tout^embarras,
parce que j'aurois eu le temps de faire un ouvrage et
de le vendre avantageusement ; inais je n'avois pas
pris la précaution de mettre cette clause dans mon
^ marché, et je n*ai eu ces dix mille francs que par pe-
tites parcelles et sans termes fixes, et j'étois obligée
d'acheter tout ce qu'il faut pour meubler un apparte-
ment, tout ce qui est nécessaire à une petite cuisine,
le linge de table et de ménage, et une petite argen-
terie. Dans cet embarras, je m'imaginai de faire une
nouvelle édition des Mères rivales en y ajoutant un
volume de plus. On me proposa de le vendre au li-
braire Henrichs, qui m'en offrit quatre mille francs;
ce que j'acceptai. ^ Mais j'eus la simplicité de ne pas
faire d'engagement par écrit : cette édition fut épui-
sée en quinze jours, et M. Henrichs, n'a jamais voulu
m'en donner une obole. Maradan vint m'offrir de
travailler à la Bibliothèque des Romans^ qui n'avoit
pas quarante souscripteurs; j'étois dans une telle
pénurie, que je consentis à y travailler pour douze
cents francs, par an. J'y donnai mon premier conte,
le Malencontreux y qui eut tant de succès, que le nom-
96 MémoiREs *
au moment de la crise de fructidor. Obligé de fuir
et de me cacher, je regardpis comme une -précaution
nécessaire que mon écriture qui étoit connue ne
parût pas à la poste, de quelque manière que ce fût,
surtout dans yne lettre pour le pays étranger. Vous
n'ignorez pas que toutes les lettres étoient ouvertes
sans. exception: la mienne eût été assurément fort
indifférente à la chose publique. Mais vous savez ce
que c'étoit que le directoire, et ce dont il étoit ca-
pable, ayant en main une lettre de nioi, quelle qu'elle
fût. J'étois poursuivi avec rage, et je ne voulois
pas lui donner cette arme de plus.
'^ Au reste, madame, les sentimens qui dictèrent
alors cette lettre, dont j'ai été touché juéqu'au fond
du cjDBur, vous répondoient d'avance des miens, parce
que de part et d'autre ils tenoient à des principes qui
nous étoient communs ; la profession publique que
j'en faisois et que j'en ferai toute ma. vie ne me
permettoit de ressentiment personnel contre qui que
ce fût, à plus forte raison contre vous, madame, à
qui je devois de la reconnoissance pour toutes les
bontés dont vous m'avez comblé pendant le temps
tro|) court de notre liaison. Heureusement fondée
sur le seul amour des lettres et le charme de vos
talens, elle n'eut jamais rien qui pût laisser à l'un ni
à l'autre ni regret ni repentir, et vous saviez vous-
même me défendre de la séduction qu'une autre
DE MADAME DE GENLIS. 97
espèce de charme auroit pu rendre dangereuse pour
moi. C'est une justice que j'aime à vous rendre ; et
quant à celle qui est due à vos ouvrages, vous la
trouverez à sa place dans celui que je m'occupe ac<-
tuellement d'achever.
^^ Si des défiances ou des picoteries d'amour-
propre ont fait cesser cette liaison dont le souvenir
me sera toujours cher, vous êtes aujourd'hui aussi
capable que personne d'apprécier ces vanités litté-
raires. Votre lettre m'en donne l'assurance, et, pour
ce qui me regarde, je ne puis que vous prier de
vouloir bien ajouter à vos anciennes bontés celle d'ex-
cuser les torts que j'ai pu avoir avec vous. Pour vous,
madame, si vous croyez en avoir eu, assurément la
démarche que vous avez daigné faire les ef&ceroit;
de reste, elle vous honore encore plus que moi, . ou
plutôt elle honore celui qui est l'auteur de tout bien.
^'Agréez, madame, le respectueux hommage de
ma reconnoissance. La Harpe.
" P. s. Dans la retraite où Je vii, je n^ai su que depuis deux jours
votre retour à Paris et votre demeure.'*
Peu de temps après j'en reçus une autre qui con-
tient un paragraphe si curieux, que je l'ai gardée.
Lfa sainteté change entièrement et tout à coup le
♦ caractère ; une âme, subitement éclairée par toutes
les lumières de la religion, et se donnant à Dieu sans
TOME V. 5
98 MÉMOIRES
lléserve^ prend arec rapidité toutes les vertus et
toute la jperfection que souvent ne donne pas une
longue mais indolente pénitence, soutenue néan-
moins par une foi sincère, mais sans ardeur et sans
enthousiasme. Ainsi, une simple conversion ne
détruit qu à la longue un dé&ut d<^inant,- et celui
de M. dé La Harpe étoit la fatuité. Dans la lettré
dont je viens de ^parler, après quelques phrases sur
nos querelles passées, il ajoute : ^' Que, dans tous les
'^ temps cependant, il a rendu justice à mon cârac-
^^ tère, et que même il m'avoit justifiée de plusieurs
^^ calomnies en disant hautement qu'il m' éti/àii aimée ,
^ et que je lui avoisioujours résisté!» • . ./'
Je répondis de mon mieux à cette smgulièré
lettre. H vint me voir. Je le félicitai du fond de
l'âme sur sa conversion ; je lui rappelai que jïtdis,
avant la révolution, je la lui avois preste. Il me
répondit qu'en effet son esprit avoit toujours été
frappé des preuves de la religion, de sa grandeur ^t
de sa morale, et qu'il ne s'étoit éloigné de cet unique
but de la vie que par orgueil et par V attrait de la
voluptés Ce furent ses propres expressions. Il m'ap-
prit qu'il dbnnoit à ses amis un jour par semaine;
que ce jour ils se rassembloient tous chez lui pour y
passer toute la soirée, seulement pour causer» 11
me pressa vivement d'y aller, et je le promis vague-
ment. Mais^en prenant des informations à ce sujet.
DE MADAME DE GENLIS. 39
j'appris que ces assemblées, toujours de vingt ou
' viogt-einq personnes, formoient à la fois un bureau
d'esprit et un conciliabule mystique et politique; et,
n'ayant nul goût poior les associations secrètes, qui
n'ont ptô pour seul bot la charité po«r les pauvres.
Je me décidai à n'y point aller. M. de La Harpe
cn'ëcrivit deux billets pour cne renouveler son in-
vitation. U y avoit cette phrase dans le premier :
Fàtts devez naturellement être des nôtres. Cette
expression^ des nôtres, me confirma ce qu'on m'avoit
dit. Je persistai à ne pas mettre le pied chez lui.
Je m'excusai sur mes occupations, ma sauvagericy
et je le refroidis tout-à-feit pour moi. Il ne revint
plus chez moiy et^notre réconciliation en resta là.
Par la suite, ces asseniblées furent regardées comme
séditieuses, et M. de La Harpe fut exilé aux environs
de Paris. Comme il est certain qu'on se bornoit,
dans cette société, à parler librement du gouverne-
ment, sans former de complots contre lui, cette
rigtteur contre M. de La Harpe fut une injustice
et tme maladresse : les talens et l'âge de M. de La
Harpe auroient mérité non-seulement des égards
particuliers, mais toutes les faveurs et toutes les
distinctions littéraires. Il n'en eut aucune sous le
gouvernement impérial, et on les vit prodiguer à des
littérateurs qui lui étoient inférieurs à tous égards^
Sa santé, déjà altérée lorsqu'il fut exilé, acheva
promptement de se détruire^t(»it*à*foit ; il sentit sa
5*
100 MEMOIRES
fia approcher, et il la vit avec toute la fermeté d'un
chrétien. Lorsqu'il connut qu'il n'avoît plus que
peu de jours à vivre, il demanda et reçut tous ses
sacremens. £a même temps il écrivit à M. de
Fontanes*, çon ami, qu'il désiroit le voir avant de
mourir. M. de Fontanes se rendit aussitôt chez lui,
et il trouva M. de La Harpe avec toute sa connois-
sance et toute sa tête, et dans les sentimens de la
plus haute piété. Deux heures avant de mourir, il
se fit dire tout haut la prière des agonisans, et
il y répondit lui-même d'un ton pénétré, mais
ferme. Ainsi mourut, exilé dans un village, le. pre-
mier littérateur de ce temps, et l'un des meilleurs
<;ritiques du siècle. Je tiens tous les détails relatifs
à sa mort de M. de Fontanes, auquel je les ai
entendu raconter peu de jours après chez madame de
Moïitesson, ma tante.
«' T^ vie littéraire de M. de Fontanes n^est guère moins connue que
sa vie politique. Il débuta par la traduction de V Essai sur V Homme
de Pope. Le Jour des Morts, imitation du Cimeti^e de Gray,
le Verger, le Cloître des Chartreux, et d^autres petits poèmes, le fi-
rent distinguer de la foule des écrivains froids et maniérés des temps
qui précédèrent la révolution, et lui valurent de bonne heure une ré-
putation' honorable, que les vers quMl a écrits depuis n^ont ni accrue
ni affoiblie. Il réussissoit mieux encore dans Péloge, personne mieux
que lui ne sut assaisonner-la louange et Texagérer sans Tavilir. La
mort du marquis de Fonfanes, arrivée en 1821, fut une perte pour
les Ibelles-lettres ', les circonstances qui bâtèrent le ferme de sa vie
ont excité la compassion des hommes de toutes les opinions. Il étoit
né à Niort, en 1757.— <2Vb*e de r Editeur J
DE MADAMB DE GENLIS. 101
M. de La Harpe, comme poëte, eut beaucoup de
talent ; on trouve des choses charmantes dans ses
poésies fugitives, et la. versification de ses pièces de
théâtre est belle en général. Cependant on peut lui
reprocher quelques faux brillans et plusieurs gali-
matias. M. de Voltaire se préserva de ce mauvais
goût, devenu presque général vers le milieu du siècle
"de Louis XV. M. de La Harpe eût été, dans tous les
temps, un excellent moraliste si la fausse philosophie
n'eût pas altéré, pendant sa jeunesse et son âge mûr,
ses principes et sa raison; Il eût été le premier des
critiques, et dans tous les temps, si Tamour-propre
et l'ambition littéraires n'eussent pas prodigieusement
influé sur ses jugemens. Son Cours de Littérature
est en général un excellent ouvrage; mais il y manque
l'impartialité. Pour y "soutenir ses premiers juge-
mens, et surtout les flatteries sans bornes qu'il avoit
jadis prodiguées à Voltaire, il y dissimule beaucoup
trop les défauts des pièces de théâtre de cet auteur,
.et surtout la défectuosité de tous ses plans. Il y
loue beaucoup trop Zaïre^ qu'il préfère à toutes ses
pièces, à laquelle certainement tous les connoisseurs
préféreront toujours BrutuSy Alzire etMahomet. 11
ne loue point assez Racine; il est injuste pour Cré-
billon, et il l'est encore d'une manière choquante
pour du Belloi; enfin, il excuse en général une
quantité de fautes, uniquement parce qu'elles se
trouvent dans ses propres ouvrage». On peut lui
102 MÉMOIRES
reprocher encore de n'avoir point assez connu les
poètes gaulois : il n'avoit point étudié cette partie de
notre littérature. Il est fâcheux aussi qu'il n'ait eu
qu'une très^superficielle idée des littératures étran-
gères^ surtout de la littérature anglaise, quoiqu'il ait
fait des dissertations séparées sur Shakspeare. Il eu
a fort mal parlé, parce qu'il ne le jugeoit que sur les
moqueries de Voltaire et sûr quelques traductions :
il ne savoit pas un mot d'anglais. La c<Hinoissaace
des langues modernes a totalement manqué aux lit-
térateurs du dernier siècle. Malgré tout ce que je
viens de dire, le Cours de Littérature de M. de La
Harpe est un ouvrage fait pour rester et qui sera
toujours très-utile. On y trouve une admirable ré-
futation des principes philosophiques^ et, dans tout
le cours de l'ouvrage, une raison supérieure et pn
esprit infini. L'époque à laquelle M. de La Harpe
publia ce Cours pourroit seule immortaliser sa mé-
moire. Ce fut au milieu de l'impiété triomphante
qu'il eut le courage de débiter lui-même ces grandes
et belles leçons. Il essuya beaucoup d'insultes, il
fut poursuivi, persécuté, se fit de nouveaux ennemis;
il brava tout, supporta tout pour soutenir la cause de
la religion et de la vérité. Sa conversion donna à
son caractère et à son esprit une énergie, une chaleur,
une verve qu'il n'avoit jamais eues ; cependant, dix
ans après, ses ennemis ont osé dire qu'il- n'étoit
qu'un hypocrite. L'époque de sa conversion, et les
D£ MADAME JDS GENLIS 1 03
années qui se sont écoulées depuis jusqu'à sa içort^
répondent assez à cette absurde accusation.
Je repreuds la suite de mon récit, ^
J'étois à peine établie dans la rue d'Enfer^ lorsque
Maradan vint me trouver^ pour me prier de m'iu*
téresser en faveur d'un jeune homme nommé M.
Flévée^^ auteur de deux romans intitulés^ l'un, Fré^
déricy et l'autre la Dot de Suzette, et qui étoit en
prison pour ses opinions politiquesf; je m'occupai
avec ardeur du soin de lui faire rendre sa liberté^ et
j'eus le bonheur d'y réussir. Pendant qu'il étoit en»
core privé de s» liberté^ il m'envoya son jeune ami
pour me remercier des démarches que je faisois en
sa faveur ; ce jeune homme étoit idmable et spiri»
M. Fiévée, Qé en 1770> à Soissons, vint de bonne heure à Paris,
er s'associa, en 1791» à Millin et à Condorcet, pour la rédaction d*iine
Chronique de ParU. II publia, en 1792, une comédie intitulée les
Rigueurs du CMtre, et trois ans après il fit parottre une brochure
êtir la Nécessité d*une Religion: Forcé de s^éloigner de Paris,
en 1797, il composa dans sa retraite deux romans, la Dot de SuzeHe
et Frédéric, Ses Lettres sur V Angleterre^ et ses Réflexions sur la
PkHosophie du dix-huitihne siècle^ parurent en 1S12. Depuis la
restauration, M. Fié?ée a publié un grand nombre de brochures
|X>litique8, des Nouvelles, et V Histoire des Sessions législatives.
lia concouru à la rédaction du Mercure et du Journal des Débats^
de la Bibliothèque des Romans et du Conservateur. '^Noie de
PEditeur.J
f Cette persécution doit lui faire honneur aujourd'hui, puisqu'elle
«ut pour cause une correspondance avec Louis XVIII^— (iVofe de
r Auteur.)
104 MÉMOIRES
tuel; j'eus un grand plaisir à m'entretenir avec lui,
et je le chargeai d'une lettre pour M, Fiévée, dont
voici la réponse :
" Madame, vous voulez que je vous écrive. Après
vos ouvrages qui prouvent votre esprit, vos con*
noissances et vos principes ; après l'intérêt que vous
m'avez témoigné sans me connoitre, intérêt dont Je
m'honore et qui prouve votre amour pour la justice,
il est donc encore des qualités qu'il faut deviner l
J'en serois là en effet sans les visites de Théodore ;
mais, après l'avoir vu plusieurs fois, croyez-vous que
je puisse ignorer cette bonhomie qui rend votre
société si douce, et cette attention de faire remarquer
dans les autres tout ce qui peut les faire valoir ? Il
parle de vous tant et si bien, que je vous conipois à
coup sûr beaucoup plus que biei^ des personnes qui
ont eyx le plaisir de se trouver souvent ^vec vous.
" Je ris quelquefois de l'idée de notre première-
entrevue, et peut-être upiquement parce qu'il est im-
possible de m'en faire une idée.
^^ 11 ne seroit pas étonnant que d^emblée nous
nous parlassions comme de vieilles connoissances,
qui s'entretiennent d'elles sans amour-propre, parce
que l'intimité l'exclut, et sans scrupule, parce que
lorsqu'on peut intérieurement s'avouer quelques
qualités, on n'est pas fâché de s'entendre repro-
cher quelques défauts. Cela donne tant de prix
aux éloges ! nous parviendrons à oublier que nous
avons eu de l'esprit pour le public, et alors ce sera
D£ MADAMB ÙB GBNLIS, 105
la dernière, chose dont nous ferons usage pour nous.
Je vous gronderai de votre amitié pour Théodore^
parcequ'ellé le rend trop fier ; vous ne manquerez pas
de motifs pour me gronder à votre tour, et je vous
réponda qu'il jouira de voir enfin son mentor sou3
le joug. Tout bien calculé, je suis convaincu que
vous serez toujours deux contre moi.
" Bonsoir, madame ; vous vous apercevrez qu'a-
près avoir commencé par moraliser, je finis par
l>avarder, n'est-ce pas un peu l'usage?"
Il vint me voir pour me remercier, et nous for-
mâmes ensemble une liaison intime qui a duré ainsi
jusqu'à la restauration. A cette époque, M. Fiévée,
sans querelles, sans discussions, sans mauvais pro-
cédés, cessa de me voir et de m'écrire. Je le re^!-
grettai, parce que j'avois une véritable amitié pour
lui, et que je savois apprécier son esprit et ses talens.
Je puis me plaindre à cet égard de son injustice en
amitié^ mais je n'ai pas le droit de l'accuser d'in-
' gratitude; je lui ai rendu un grand service : il s'en
est acquitté, en m'en rendant un autre très-impor-
tant, que je - ne demandois pas, et qui pouvoit l'ex-
poser, comme on le verra dans la suite de ces mé-
moires.
Je ne restai que neuf mois dans la rue d'Enfer.
Trouvant la vie de Paris trop chère, j'allai m'établlr
à Versailles, où je louai une petite maison dans,
6*» .
106 MIBMOIRBS
l'avenue de.Paris.* J'avofs augmenté mon ménagé
de denit personnes : Tune nia fiUeiile, âgéede quatorze
an6^ fille de M. Aljron^ qui ayoit été attaché à l'éduca*
tk>n de Belle-Chasse ; l'autre une jeune Allemande
de dix-sept ans, fort jolie, très-^irituelle, dessinaixt
fort agréablement et faisant dans sa langue des vers
qui annônçoient le phis gran^ talent. Il y avoit de
la poésie dans son sang; sa grand^mère, nommée
Karschin, avoit eu la plus grande ri^nitation dan» ce
genre ; son histoire est singulière, la voici :
Elle étoit gardeuse de moutons en Silésie ; la nature
l'avoit tellement faite poète que, tout en filant dans
sa diaumière et dans les champs, elle laisoit de beaux
m
vers; elle composa une ode à la louange du grand
Frédéric, qui vivoît encore ; un voyagmir rapporta de
Silésie à Berlin cette pièce de vers, qui produisit ui»
grande sensation ; le roi voulut en connoltre Tautear,
et ne pouvant croire qu'une bergère eût un tel bdent,
il la fit venir de Silésie. On la lui présenta sous ses
* J^étois- depuis treize mois en France, et outre les ouTrages dont
j*ai parlé, j^avois donné un Yolnme de plus des Annales de la Vertu^
presque entièrement fait en Allemaipae, ainsi que ma nonrelle M-
ikode d^SneeipnèmêHi. Je d^mmi aussi' mes Heurte poar les enAuis,
onvrage qui manquoit, et qui a eu un nombre infini d'éditions ^ et
enfin Je donnai ma nouvelle édition du Petit La Brujfère, à laquelle
j'ajoutai à la fin du volume beaucoup de pensées nouvelles, qui, à
mon avis, sont au-dessus de radolescence, et même de la première
^vaame^^NêtèdeCAMieur,)
DE MADAME DS GENLISr 107
Jhabits de paysanne : le roi fiit charmé de son esprit;
diléfit de jolis vers en sa présence sur de petits sujets
que le roi lui donna; ce prince lui assura une pen-
sion ; elle s'établit à Berlin et s'y maria. Sa petite-
fille Helmina avoit tout son talent pour la poésie.
Je fus assez malade à Versailles^ et cependant je
travaillai toujours: ma situation m'y forçoit^ et^
comme je n'en convenôis avec penK)nne, on me fsdsoit
sans cesse des remontrances sur ma déraison ; ce qui
m'inspira un jour des vers que je n'ai jamais ni
publiés, ni montrés, mais que je retrouve dans un
vieux livre manuscrit : les voici :
£t malade et sonffirant, un matheareux auteur,
' Languifisamment assiB à son pupitre,
£d g^mifiNaaat compowHt uueépltre
Sur la gpaieté, nir le bonheur.
Bans ce moment arrive son docteur,
Qui, mécontent de le voir à Touvrag^,
^exhorte à devenir plus sag^
Si de ses maux il veut guérir.
** Hélas ! répond Fauteur, en poussant un soupir,
Ce conseil est très-bon, que ne puis-je le suivre !
Je ne travaille pas, ami, pour mon plaisir ;
Cr^ez-moi, ce n'est pas la gloire qui m'enivre;
Qui mieux que moi sauroit Jouir
Des -charmes d*un heureux loisir ! . • . .
Mais je suis obligé de me tuer pour vivre."
Un chagrin affreux que j'éprouvai à Versailles m'en
rendit le séjour odieux ; mon neveu César et num
élève, après avoir montré tant de valeur et de témé-
108 MÉMOIRES
rite à. la guerre, après avoir eu plus d'une foid' setf"
habits percés de balles^ sans recevoir une seule bles-^
sure, fut tué dans une fête nationale par une baguette
de feu d'artifice ; ainsi périt à vingt-huit ans ce jeune
homme le plus accompli par ses vertus, son caractère,
son esprit, ses talens, et par une perfection de con-
duite et de sagesse qui ne s'est jamais démentie ; j'»
vu bien rarement réuni autant de gatté et de grâces à
tant de raison ; je fus très-sérieusement malade pen-
dant deux mois; décidée à retourner à Paris, je sol-
licitai du gouvernement un logement ; on m'offrit de
me donner celui de mademoiselle Amoult, l'ancienne
actrice de l'Opéra, qui, mourante, n'avoit pas deux
mois à vivre, elle logeoit à Thôtel d'Angevillers. Ce
nom étoit celui d'un émigré, * parent de M. de Gen-
lis ; il avoit occupé cet hôtel comme surintendant des
arts. Cette maison appartenoit au gouvernement;
mais comme elle portoit le nom à^ AngevillerSy je
craignis qu'on ne la regardât tiomme un bien de
famille, et qu'on ne m'accusât d'avoir profité d'une
confiscation ; c'étoit pousser beaucoup trop loin la
délicatesse, néanmoins je ne crus faire qu'une chose
fort simple en refusant ce logemenf ; on m'en donna
un à l'Arsenal ; il étoit très-beau et contigu à la bi-
bliothèque ; le ministre, M. Chaptal, donna l'ordre de
me, prêter tous les livres que- je demandérois, -ce qui
fut exécuté. ,
• Frère de M; de Flahaut.
DK MADAME DB 6BNLIS. 100
Pendant les deux premières années de mon séjour à
l'Arsenal^ je continuai de travailler à la Bibliothèque
des Romans ; ensuite^ voulant finir sans distraction,
le roman de la Duchesse de La Fallière, que j'avois
commencé et qui étoit déjà fort avancé, je cessai de
travailler à la Bibliothèque des Romans, qui perdit
alors ses souscripteurs. Un peu avant la publication
de Madaine de La Fallière, M. Fiévée, qui étoit en
correspondance avec le premier consul, sachant que
ni moi ni aucune personne de ma famille n'avoit £ût
pour moi la moindre démarche auprès du chef du
goùvern.ement, dit qu'il étoit décidé à lui écrire
que je n'avois rien retrouvé en France et que je
vivois absolument de mon travail ; je remerciai M.
Fiévée, en le conjurant de ne point faire une démarche
qui le compromettroit sûrement, puisque le premier
consul ne lui permettoit de lui écrire que sur la poli-
tique ; M. Fiévée persista généreusement, et le fruit
de sa lettre fut que le premier consul m'envoya M.
de Rémusat,* préfet du palais, pour me dire en
* M. de Rémusat fat fiaccessiveineiit homme du moude, homme de
cour et adminintrateur rerêta d^iine assez haute fonction dans le
palais impérial (il étoit premier chambellan de Temperear Napoléon
et surintendant des théâtres) ; il se montra tot^jours poli, sincère,
amateur éclairé des arts et plein d'une estime bienveillante pour
ceux qui les cultivent. La restauration, en lui enlevant ses charges
de cour, lui ouvrit une carrière plus sérieusement utile, qu'il remplit
avec une rare distinction. Préfet, d'abord à Toulouse, puis à Lille,
U tempéra les passions d'une époque diflScile avec beaucoup de
sagesse et de dextérité 5 il fit servir sa prudence de cour à com-
1 IP MBB10IRB8
propres termes que le premier consul venoit d'ap-
prendre ma siCUiBtion ; que, s'il ravoU site à moh
arrivée en France, Je n'y se^wjamms restée une mi*
nute, et qu'il me faisait demander ce qui pouvait me
refidre heureuse; comme mes premiers mouvemens
sont toujours rom^tnesques^ je répondis que je vivois
fort bien de mon travfdl, et que je ne demandefois
jamais rien.
Ce fut, comme je Tsd dit, à l'Arsenal que je don-
nai )e roman de Madame de la VaUière; j'avois
besoin d'argent, je vendis cent louis, pour trois ans,
cek ouvrage qui eut, dans l'espace de deux ans, huit
éditions in-8°<*, et dix in- 12. Il mit le siècle, de
Iiouis XIV extrêmen^ent à la mode.
Le^ journaux même traitèrent fort bien cet ou-
vrage; on ne-paiioit dans la société que de madame
dé La ValUère ; on ne me rencontroit point dans le
mon de sansprononcer ce nom avec les épithètes de
cbarmanty ravissant, et à tel point, que j'en étois
véritablement ennuyée, et que je n'écoutois qu'avec
une extrême distraction^ comme je le prouvai un soir
chez madame de Lascours. Il y avoit beaucoup ^e
monde; j'étdis seule assise sur un canapé^ une
primer les partis, et il favorisa l^indostrie, le commerce et tons les
travaux utiles, avec beaucoup dliabileté. Le département du
Nord, surtout, Tan des plus riches et des plus laborieux de France,
dut beaucoup à son zèle et à ses lumières; il y laissa lès plus vifk
regrets et les plus honorables souveninC Après la plus injuste des
destitutions, M. de Rémusat succomba, en 1823, â une longue et
douloureuse ma1adie.F-^2Vo#e de V Editeur,)
D£ MADAME DE GBNLIS.
111
dame aussi spirituelle qu'aimable (madame de Rému-
sat*) vint se placer à côté de moi^ et, suivant la cou-
tuixie« me parla de madame de I^i Vallière. Comme
dans cette soirée j'avdis déjà entendu plus de trente '
fois ce compliment, j'étois dans une parfaite distrac-
tion, et je répondis machinalement^ oui, c'est char-
numt, ravissant. La* surprise qui se peignit sur le
visage de madame Rémusat me fit connoltre ma sotr
tise ; je la réparai^ en lui contant bonnement le fait,
qu'elle trouva assez simple, qui la fit beaucoup rire^
et qu'elle conta pendant plusieurs jours. Mais je
n'eus pas cette insouciance pour un suffrage qui me
• Cet hommage rendu à madame la comtesse de Rémasat, par
une personne qui n*a jamais trahi la vérité, est une justice qu'un
auteur, même moins Téridiqae, n'anroit pu refuser à une femme qui
fut aussi distinguée par ses qualités attachantes que par son
esprit. '
Madame de Rémusat, née Vergenne, fut une des femmes le plus
distinguée par la finesse et rélévation de son esprit ; long-temps rete-
nue ^mtê lemonde et à Ja-cour de Penq^ereur, elle écrivit peu, avec
un rare talent pour écrire. L^onvrage qu'elle a laissé {MmU «ur
VEd^caiUm dM Femme»), publié par un fils digne ,d'elle, a frappé
tons les juges éclairés par une supériorité de raison qui se cache sous
les formes les plus ingénieuses et les plus élégantes j ce sont les
vues d'un penseur, et le langage d'une femme pleine de grâces et
de raison. On y sent une droiture de cœur et une- pureté de senti-
ment moral qui formoient son caractère et qui ont mérité tant de re-
grets à sa mémoire. Aucun livre n'est plus honoraire pour les fem-
mes denotre siècle, que cette production demadamede Rémusat, «it
nul éloge ne pourrait surpasser la peinture qu'Ole y iait d'e\le-méne,
sans le savoir.F^AMe.<le VMdUmirJ
<h
112 M£MOIllBS ,
cattsa un véritable enthousiasme ; une de mes ainies^
madame de Bon, m'écrivit le bîUet suivant :
'^ Je vous dirai, mon ange, que le premier consul a
lu Madame de La Fiillière avant-hier, qu'il Ta lue
tout d'un trait, sans pouvoir la quitter, et qu'il a
pleuré. C'est un fait positif, car c'est M. Fontanes
qui me l'a dit et qui le tient de lui-même. M arigné
, prétend que je vous envoie les larmes du consul, et
que cela vaut mieux que des vers ; le fait est que
cela m'a fait un plaisir extrême. Adieu, vous que
j'adore; et pour qui je donnerois ma vie.
Elisabeth."
Ce billet m'enchanta; j^étois fière d'avoir f^t
pleurer celui qui venoit de rétablir, la religion, l'or*
dre et la paix, d'arracher mon pays à l'anarchie, et
qui étoit le plus grand capitaine de son siècle. Dans
le premier enchantement de ce glorieux succès je fis
un impromptu en vers, que j'envoyai sur-le-champ à
madame de Bon. ,Elle donna ces vers à M. de Fon-
tanes, qui les remit sans délai au premier consul. Je
regrette de n'en avoir point conservé de copie, car
-on y trouvoit de la verve^ le sentiment et la vérité en-
donnent toujours*.
• Madame du Broseeron, après aroir lu cet ouvragée, me fit pré«
sent d*an channaDt portrait original deM™^. de la Vallière dans sa
jeunesse, et depuis M. Crawford détacha de sa belle collection de
portraits, celui de M™®, de Maintenons peinte» assise, de la tête aux
DE MADAME DE GETNLIS. 113
Je reçus aussi à cette occasion, d'un excellent
juge littéraire (M, Fiévée), la lettre qu'on va
lire :
^^ Je n'ai point donné de billet à l'homme qui m'a
apporté Madame de La Fallièr'ej parce que je vou-
lois vous envoyer plus que des remercîmens; j'ai lu
jusqu'à la page 109, et il faut que je vous écrive avant
de me coucher.
^ Votre Préface est bien, votre ouvrage mieux que
tout ce que vous avez jamais fait, au-dessus de tout
ce que j'ai jamais lu ; et vous savez que je suis peu
coÉDplimenteur. A la page 109, où je suis forcé de
m'arrêter, je ne puis que vous dire, comme le père
Anselme : Persévérez. Quelle vérité dans tous les
détails ! quelle grâce et queUe ^profondeur dans les
réflexions ! et les portraits ! Vous m'expliquerez
pourquoi cette vérité me fait rire d'un rire qui n'est
pas celui de la gaieté: il me semble que c'est de
satisfaction de voir à découvert tous les mouvemens
du cœur humain. Depuis que je vous connois, voilà
votre premier ouvrage que je lis sans penser à vous ;
il semble que vous n'êtes plus, parce que vou& devez
avoir été témoin de tout cela."
J'obtins encore un sui&age qui me procura unelet^
pieds, et de grandeur naturelle. A l'époque de la restauration je
▼endis ce tableau à feu M"^'. la duchesse douairière d'Orléans. Il
«8t maintenant dans la superbe galerie de S. A. R. monseigneur le
duc d'Orléans.-- (A'o^tf de V Auteur),
114 MÉMOIRES
tre charmante de M. le comte dç Ségur» aine, et
contem^nt, une critique très-judicdeuse d'un mauvais
genre de romans qui^ depuis quelque temps, commefi*
çoit h être à la mode.
^^Mifidame de Valence m'a remis, madame, l'exem-
plaire de M(Hkiine de Lta Fallière, que vous avez eu la
r
* Rien ne peut mieux faire connQÎtre M. le comte de Ség^r <^ue le
portrait que ce personna^ illustre a fait de lui-même dans le premier
volume de ses Mémoires. Lerqici:
** Ma position, ma naissance, mes liaisons d'amitié et de parenté
^ arec tontes les personnes marquantes.de la cour deLonis XV. et de
'< I/H)i» ^YI -y le ministère dQ moji père, mes voyages en Amérique,
<< mef n^^iations en Russie et en Prusse, Tavantage d'avoir connu,
^^sous des rapports d'afiaires et de société, Catherine II, Frédéric le
<< Grand, Potemkin, Jdseph II, Gustave III, Washington, Kosciusko^
** La Fayette, Nassau, Mirabeau, Napoléon, ainsi que le» ehefe des
^ fwrtis aristocnilîqn^ et démocratiqii^ et les plus illustres écri*
^ vains de mon temps; tout ce que j'ai vu, fait, éprouvé, et souffert
<< pendant la révolution, ces alternatives bizarres de bonheur et de
*' malheur, de crédit et de disgrâces, de jouissances et de proscrip-
^tionsy d'opulence et de pauvreté, tous les états différens que le
^ sort m'a forcé de remplir, m'ont persuadé que cette esquisse de ma
<( vie pouvoit être piquante et intéressante, puisque le hasard a voulu
^que je fusse successivement colonel, oflScier général, voyageur,
** navigateur, courtisan, fils de ministre, ambassadeyr, négociateur,
" prisonnier, cultivateur, soldat, électeur, poète, auteur dramatique,
^.csplinJ^oratenr dejoiimaux, publiciste» historien, député, conseiller
** d'état, sénateur, académicien, pair de France.
^' J'ai dû voir les hopunes et les objet^y sous presque toutes 4es
** faces tanitdt à tcuveni le prisme du lH»nhef|r, tantâ) à travers le crêpe
**àe l'infortune, «t tardivement, â laelarté duflambettt d^une-dow^
** p\à\o9ophie:'^[Noie de VEdiUur,)
DB MADAMB J>B GBNLIS* 115
bonté de me destiner. Recevez tous mes remercl-
mens de cette edmable preuve de souvenir. Vous me
rendez justice, si vous croyez que je sens le prix de
cette, pureté de goût et de style que vous conservez
presque seule aujourd'hui^ et qui rend vos ouvrages
dignes des plus beaux jours de nôtre littérature.
Madame de La Fallière est, selon moi, celui dont
vous devez être le plus contente.; vouz avez parfaite*-
ment rajetmi un sujet connu de tout le monde, vous y
avez répandu tout l'intérêt d'un roman sans itérer la
vérité de l'histoire ; la simplicité du sujet étoit un
écueil qui ne vous a point embarrassée ; tout ce qui
est événement pour un cœur passionné vous a tenu
lieu de ces aventures, de ces combats, de ces catas-
trophes, qui sont l'unique ressource de la plupart des
romanciers. Vous avez l'art de créer des situatioâs
si touchantes et si variées, que vous êtes parvenue à
peindre la simplicité et la constance sans uniformité
et sans langueur. I^e triomphe de la piété, après un
long combat entre l'amour et les reiQords, rend ce
roman très-moral, et l'innocence même peut se livrer
sans danger au charme que lui fait éprouver cette
lecture. Recevez, je vous prie, avec bonté, madame,
l'hcMumage de mareconnoissance et de mon respect."
Quelques mois après, je donnai Madame de Maih^
tenon; ce qui acheva de renouveler l'admiration pour
le grand siècle, et ce qui me valut cette lettre de
Mr de Fontanes, que je connoissois à peine.
116 MÉMOIRES
" Madame, j'ai été aussi flatté que surpris de ren-
voi que vous avez bien voulu me faire d'un de vos
derniers ouvrages. Je n'ai jamais eu l'honneur de
vous connoître que par le plaisir que m'a procuré
leur lecture. On a dit que Fénélon étoit le premier
des écrivains dans l'art de rendre la vertu aimable.
Il me semble que vous partagez avec lui cette gloire.
Fénélon eut des ennemis ; il faut bien que vous ayez
les vôtres. Les injustices dont vous semblez vous
plaindre dans vos écrits sont de tous les temps. Je
doute même que, dans un siècle plus digne de vous,
^ mesdames de Sévigné et de La Fayette vous eussent
pardonné de les surpasser. Il est vrai que les Laroche-
foucault, les La Fontaine et les La Bruyère auroient
été à vos pieds ; mais où sont-ils aujourd'hui?
'^ Agréez, madame, ma reconnoissance et mon
respect. Fontanes."
Les estampes de ces ouvrages se trouvoient dans
toutes les boutiques ; le gouvernement finit par pren-
dre quelque ombrage de cette espèce d'enthousiasme,
un ordre de police, sévèrement exécuté, interdit, à
tous les marchands d'étaler ou de vendre les gravures
de ces deux romans. Je fi» dans le même temps la
Fte* pénitente de madame de La ValUère. Toutes
les rigueurs du gouvernement sur ces ouvrages m'é-
tonnèrent d'autant plus, que l'empereur avoit beau-
coup loué toutes ces productions, et même ma nou-
velle intitulée, Un trait de la vie de Henri IV^ dont
DE MADAME DE 6ENLIS. 117
on fit lin vaudeville, mais sous un autre nom» M.
Dupaty fit un joli opéra comique de Mademoiselle
de Clermonty mais sous le mon de Mademoiselle de
^Guise*. On a mis aussi au théâtre presque toutes
mes nouvelles, entre autres, /rfa, ou ie Jupon verl,
les Réunions de famille, les Préventions d'une femme,
où l'on a conservé ma romance: les Amans sans
amour, et le Mari instituteur^. On a pris aussi de
mes nouvelles et de mes romans, Arthur et Sophro»
nie; Clara, tirée du Siège de. La Rochelle; Béli-
saire, de mon roman de ce'nom ; les Chevaliers du
Lion, tirés des Chevaliers du Cygne ; Camille dans
le souterrain, tirée à* Adèle et Théodore ; et on a
même travesti deux de mes comédieô. Tune la
Cloison, dont on a fait Aucassin et Nicolette ; l'autre
la Curieuse, dont M. A. Du val a fait, avec tant de
succès, le drame intéressant à' Edouard en ÉcosseX*
y * Lorsqu'il fit imprimer cette pièce, il me la dédia; cette dédi-
cace, en vers, est charmante et du meillear gott.~^Note de PAuiJ
f Ce fat cette nouTelle qu*an littérateur justement célèbre, M.
Etienne, mit au théâtre, sous le nom de la Jeune Femme Colère,
Un ourrag^ ainsi travesti, lorsqu'il réussit, montre tout le talent
qui peut se trouver dans une bonne traduction ; il fant chausser tant
de choses à ce sujet d'emprunt, que Tanteur qui Ta choisi s*en ap-
proprie tout le mérite, en y cloutant même beaucoup de traits d'ima-
gination. — (Note de VAuteur,)
t Le roi de Suède (celui qui fut assassiné et qui fit pour V Aveugle de
«
Spa des choses si charmantes, d'après ma comédie de ce nom) avoit
fait à ma Curieuse l'honneur de la traduire en suédoi8.«-(2Vb/e de
VAndeur)
118 BléliOIRES
On a pris beaucoup d'autres choses dans mes ou*
vrages, sans compter les plagiats. Je n'ai jamais
relevé que celai du roman de madame Cettifi*, inr
titulé Malvmtij entièrement calqué sfir les Pièus
téméraires. J'^i passé sous silence ceux de nsadatne
Gay, qui a fait un roman de deux de mes contes;
l'un qui se trouve dans les Souvenirs de Félicie, dont
le héros est un muet ; et l'autre intitalé les Menc&9i^
très. Si je voulois revendiquer tout ce qu'on m'a
volé, il faudroit ajouter un volume de plus à ces
Mémoires.
Quelque temps après M. de Lavallette m'écrivit
que le premier consul^ devenu empereur^ désiixnt que
je lui écrivisse tous les quinze jours^ sur la politigtêe^
les finances^ la littérature^ la morale^ sur tout ce ipii
me passermt par la tête. Je ne lui ù jamais écrit
* Madame Cottin, sitôt enlevée aux lettres, avoit, à Tâge de trente-
quatre ans, composé. Claire d*AH>e, MaJMmty Amélie Mmufieldy
JSÊàthiide et MHsedfe^. Le prix qn^eUe retiroit de iKs^mvii^es les
cmisacroit par -qucAque chose de pins doux que -hi gkHre» elle Pepi-
ployoit tout «ntier à des actes de bienâdsance. A« moment où fat
mort vînt la frapper, en ISO?, madame Cottin acheroit le deuxième
volume d\in roman sur Téducation. EUe avoit entrepris -d*éerire un
livre siff la Rtiliffion ^éH0fme,proutéepar ietmiimeKi, La maxime
de cette feteme auteur éioit que les ^personnes de aen sexe ne doi-
vent point fair^ de livres, parce que, disoitHelie, <' On -y met twi^ears
qudqflee chose de son propre coeur, ^ il faut garder cela povi* ses
amis." Celte pensée me parcfit plus tondiante que vraie : les mbi
tiraén» f endres sont inépuisalbleB, surtout dans le «cœur des femmes.
^Note de r Editeur.)
DB MADAME DB 6BNLIS. 119
tous les quinze jonrs^ ni sur la politique, ni sur les
finances; je ne lui al jamais demandé une seule
grâce pour moi; je lui en ai demande beaucoup poqr
d'autres; il me les a presque toutes accordées ssùid
m'écrire une setile ligne. Je ne lui ai jamais dit un
mot contre mes' ennemis, et plus d'une fois je lui ai
parlé en leur feveur; je lui écrivois à peu près tous
les mois, je ne lui parlois que de religion et de
morale, de littérature et des philosophes du' dernier
siècle* ; ce n'est pas ma faute si je ne l'ai pas rendu
dévot. J'ai su par M. de Talleyrand et par quelques
autres personnes qu'il aimoit beaucoup mes lettres,
parce qu'il y trouvoit de la raison, du naturel, et
quelque&is de la gaieté.. Cette espèce de correspon-
dance me fit un nombre prodigieux de nouyeau:^:
enneipis, les uns par envie, et les autres par la per-
' suasion que je ne l'amusois qu'en lui disant du mal
de tout le monde; cette calomnie me fit beaucoup de
peine; j'y répondis indirectement par une note que
je plaçai dans Madame de Maintenons et qui fut une
réfutation complète de cette basse accusation. Je
dis dans cette note, à propos de la correspondance
si pure de Fénélon, trouvée dans les papiers du duc
* Il y avoit une sorte de conrage à lui écrire contre les phiioso-
phes, car tout le monde savoit, et je nMg^orois pas que Tempereur
avoit fait, étant premier consul, une visite à madame Helvétius, en
lui disant quMl avoit voulu voir la veuve d^un g^rand homme.— (IVofe
de VAuteur.)
120 MÉMOIRES
de Bourgogne après sa mort, qu'il faudroit avoir
Tâme la plus vile pour parler contre qui que ce fût
dans une correspondance de ce genre, quand elle
est secrète, et qu'on s'adresse à une personne de ce
rang, et que de plus ce seroit manquer de respect
au prince a/uquel on écrite que de ne pas craindre son
mépris et son indignation en lui montrant des ^en-
timens si bas. Cette note me justifia entièrement*.
Les calomniateurs furent réduits au silence, mais les
ennemis restèrent.
Je n'ai pas gardé de copie de ma correspondance
avec l'empereur, mais j'ai conservé quelques notes
* Voici cette note qui se trouve dans Madame de Maintenan.
** Nous ayons yn publier une cop'espondance d^un homme de
*' lettres avec un prince étranger, mais d^un genre* bien difiirent;
<< celle de M. de La Harpe avec le grand^duc de Russie. On ne
** trouve nullement le talent de M. de La Harpe dans cette frivole
" production ; mais ce qui la rend véritablement odieuse, ce sont les
** impiétés et les méchancetés dont elle est remplie. Cest manquer
** de respect à un prince que de Tentretenir dû ses inimitiés et de
** ses querelles littéraires ^ car, indépendamment de tout principe,
** si Ton estimoit le caractère du prince, on voudroit montrer de la
<< délicatesse et de la générosité, et Ton ne dévoileroit' pas tant d*or-
<< gueil et de petitesse. Je pense même que dans un tel commerce, un
<< homme de lettres devroit sMuterdire de t'endre un compte critique
« des ouvrages de ses ennemis. La correspondance de M. de La Harpe
<' ne contient que le détail faux ou très^xagéré de ses succès, des
<< satires, et par conséquent des mensonges e^ des anecdotes scanda-
<< leuses : quelle opinion avoit-il donc du g^and-duc de Russie ?**—
CNote de r Auteur J
DE MAJ>AM9 PB GENLIS. 121
morales et religieuses qui en imoifint p9^w> Voici
quelques-rUQS de ces fra^^nens t .
^^ Comme je veux qu'en toutes choses ma con-
duite soit claire au^ yeux de sa majçsté, je dois lui
rendre le compte suivant :
'^ J'ai reçu pour la première fois depuis quinzç ans
une lettre de madame de Bourbon^ et datée de Bar-
celonjie. Elle me mande qu'elle a beaucoup écrit sur
la reUgioUj,. <«• qu'elle ne veut pas faire imprimer
ses manuscrits^ mais qu'elle désire que je les voie
et ^ue j'en corrige le style, si j'approuve le fond des
choseie(« Je n'ai pas cru devoir refuser madame de
Bourbon dans la situation où elle est* J'ai toujours
eu de l'inclination pour cette princesse spirituelle,
qui a de l'origini^té dans le caractère et des qualités
attachantes, entre autres, la sincérité la plus parfaite;
d'ailleurs je serois charmée de pouvoir la détourner
d'écrire. Je lui ai répondu que sa confiance m'ho-
noroit et que puisqu'elle m*en jugeoit capable, je
Urpis ses manuscrits pour lui en dire franchement
ipon avis. Sa lettre m'est parvenue par un homme
iftconnu dont j'ignore le nom et l'adresse, et que
je n'ai point vu parce qu'il a été me chercher à
l'Arsenal, où il a remis la lettre à une femme que
j'ai laissée à l'Arsenal pour garder nies meubles^ i^
n'est point revenu.
TOMB T. Ô
122 ' MÉMOIRBS
"\
((
Il y a de cela douze à quinze jours s j'ai donné
ma réponse à un de mes amis qui l'a envoyée par la
poste à Tadresse d'un négociant de Barcelonne.
Depuis que je suis revenue en France je n'ai pas eu
la moindre relation avec les personnes en pays
étrangers qui peuvent, par leur situation ou par
leurs opinions, être mécontentes de notre gouverne-
ment.
*^ Dans les pays étrangers mêmes, proscrite et dé-
pouillée, je me conduisois ainsi. Avant de rentrer
en France je n'écrivois plus à M. d'Orléans, dépuis
le mois d'avril 1794. Je n'ai eu nuls rapports avec
messieurs ses frères depuis 1792. Mademoiselle
d^Orléans sera toujours la plus chère de înes élèves,
elle a pour moi la plus tendre reconnoissance et la
plus vive amitié, elle m'a écrit constamment depuis
notre séparation' tant que j'ai été dans les pays
étrangers, mais elle a entièrement cessé aussitôt que
j'ai été en France, et je sais que c'est uniquement
par discrétion, car j'ai toujours su indirectement de
ses nouvelles. Cependant, après un silence de cinq
ans, elle m'a écrit une longue lettre il y a trois mois,
mais seulement pour me parler de sa tendresse ; je
lui ai répondu et nous en sommes restées là. J'ai
gardé cette lettre et celle de madame de. Bourbon,
voilà toutes mes relations avec >cette famille mal-
heureuse, pour laquelle je me suis sacrifiée jadis
sans autre intérêt, sans autre motif que celui
BB MADAME DB GBNLIS. 123
du plus tendre attachement, qui n'a été bien vé-
ritablement récompensé que par la conduite angé-
Jique, les talens charmans, la raison parfaite et les
sentimens de mademoiselle d'Orléans et de ses
frères.
"Je n'ai vu en Angleterre qu'un attachement
politique à la religion ; la multiplicité des sectes y
produit d'ailleurs un septicisme presque universel,
mais les catholiques de ce pays, faisant de grands
sacrifices à la religion, y sont attachés de cœur. J'ai
vu la même chose en Hollande et je l'ai vu mieux
encore en Allemagne. C'est là que j'ai acquis une
preuve de plus de la profondeur de vues de Bossuet
qui a prédit, dans ses Fàriations, que tous les pro-
testans finirioent par être sociniens^ car il est de la
nature de l'erreur persistante de s'égarer de plus en
plus. Tous les pasteurs protestans en général sont
déistes. A peine prononcent-ils dans leurs sermons
le nom de Jésus-Christ. Rien n'est plus ridicule-
ment profane que leurs discours en chaire. J'ai
entendu à Berlin le pasteur de l'église protestante
fraiiçaise, prédicateur, très-renommé dans cette ville
(M. AnciUon), ne parler en chaire que de la sensi-
M/f/^, de l'amitié, ce sentiment divin, et dans une
exhortation pastorale, pour un mariage, il dit en
parlant des femmes : Ce sexe enchanteur; ce discours,
également fade et ridicule, fut imprimé ; je l'ai
apporté. Ce ton déplacé et de tnauviùs goût prouve
6*
]24 MÉMCH&SS
assez l^étonnante dégéiiération des idées religieuses
psnzit les fcHres et les auditeurs. Le peuple daiis
et pays n'est pas plus attaché à sa religion : il permet
tant qu'on veut que ses enfans soient élevés dans
la religion catholique^ et parmi mes élèves j'en puis
eomptèrdenx exemples^ lady Edward Fitz^Gérald
et reniant que j'ai amené de Berlin»'*
Voici ce que j'écAvois uii jour à l'empereur, sur la
vieillesse :
*^ Dans ma jeunesse, je me suis toujours promis
d'étudier sur' moi-même cet âge si j'y parvenab.
M'y voilà, et je me tiens parole. Je me faisois jadis
tmeidée terrible de cet état, effirayant surtout en
perspective pour ime femme quand elle est leste,
animée, brillante, - et qu'elle se voit entourée d'ad*
mirateiira. . * • Un vieux monarque, qui a régné avec
bonté et avec gloire, pr^nte la vieillesse sous un
aspect divin: on est tenté de lui rendre un culte.
Un vieux guerrier, un vieux magistrat, qui ont
bien rempli leur devoir, inspirent une profonde véné^
ration. Mais, une vieille femme 1* », . cette déno-
ndnation seule est si dure ! . • • . J'ai vu bien peu de
viriflesde mon goût, même parmi ceUes qui passoient
pour être aimables. Les unes avolent une douceur
affectée et un <xm mielleux qui ressembloient à la
funseté; les autres montroient une aieté ou peu
natunSle^ ou qui leur ^toH toute la dignité de leur
âge. 'OeflesH[:i «veôeoft ^ine g^vHé ennuyeuse ; celles-
DE MADAMB DE GBNLIS. 125
là parloient et contoient trop. D'aitteivs^ que fmjb
une vieille femme .duns un cerck? Ptemièremeiiity
elle le dépare ; et puiB, n'est-U pas ridicule que l'art
des brodeurs, des bijoutiers et de^ marchandes de
modes s'épuise suar une figure de soi^^ante ans?
^ Shakspeare a dit qu'un grand emploi qui a été exercé
par un homme de génie et donné ensuite à un . sot
est l'habit dPun géant mis swr- un nain. Que dim-t-
on d'une élégante coiffure faite par Leroi, et posée
sur la tète d'ime vieille femme ? C'est pourtaitt ce
qu'on voit tous les jours ; on voit même souvent ces
reines, depuis si long- temps détrônées, porter eneore
des diadèmes de diamans et de fleurs. Il m'a toujours
semblé qu'il est si difficile, pour ne pas dire impos-
sible, qu'une vieille femme puisse plaire dans le grand
mondé, qu'elle a quelque chose d'un peu moquable
• quand elle y est, à moins qu'elle n'y soit forcée par
un devoir positif. Mais si elle est naturelle et bonne,
si elle a bien connu le monde, sa société intin^
peut être agréable, pourvu toutefois qu'elle n'ait pas
la manie des anecdotes, et qu'elle ne conte jamais
qu'à propos.
^^ Cicéron est celui qui a le mieux parié des vieilr
hurds, c'est lui qui a dit qu'ils sont comme ks vins
^ que k temps à rendus aigres ou qu'il a bonifiés.
^^ Il existe des créatures humaines* qui n'ont point
été vickuses, et qui, dans le cours de la vie, n'ont été
trouvées ni imbéciles ni déraisonnables, et qui, ce*
126 Ml&MOlRBS
pendant, parvenues à Tâge de soixante-dix ans, pe0>'
sent de très-bonne foi qu'elles n'ont été créées que
pour s'habiller, déjeuner, dîner, souper, jouer au
piquet, et dormir.
'^ Si l'on est capable de quelque réflexion, on doit
être bien malheureux dans la vieillesse, lorsqu'en
jetant les yeux sur le pas&é,on n'y voit qu'une longue
suite d'années écoulées dans une insouciante oisiveté }
et que, dans l'espace de plus d'un demi-siècle, on
trouve, non la vie utile, animée d'un être intelligent^
industrieux et sensible, mais la honteuse végétation
d'une brute
^ '^ Lorsqu'un vieillard est exempt d'innrmités, qu'il
a conservé ses facultés inteUectuelles, et qu'il est
religieux, il est dans un état habituel de bonheur
qu'il n'a pu connoitre dans sa jeunesse, il est
naturellement débarrassé de toutes les sujétions so-
ciales; et cet heureux affiranchissement double pour
lui le temps qui lui reste. Il ne sauroit regretter les
aïnusemens qui ne sont plus de son âge 3 s'il a un bon
esprit, il en a été fatigué et même ennuyé long-
temps avant d'y renoncer. Son avenir est court,
mais il en est véritablement le maître : il en peut
disposer sans craindre que ses résolutions soient
anéanties ou traversées par les passions, l'étourderie
et l'imprudence. 11 connoît la juste valeur des
choses ; il ne s'agitera plus pour des misères ; il est
ealme, il juge bien } c'est là tout le secret des con-
DE MADAME DB GENLIS. 12/
duites parfaites. Si sa présence n'excite plus la joie
turbulente et la gaieté, elle inspire le' respect et la
vénération ; la jeunesse bien née ne dispute point
sur les déférences qui lui sont dues ; les avoir toutes
pour cet âge, auquel on désire atteindre un jour,
c'est s'honorer soi-même dans l'avenir ; rien n'est
plus attachant que la conversation d'un vieillard
aimable qui n'abuse pas du privilège d'être écouté
avec intérêt. Enfin la foiblesse physique, la débilité
même de la vieillesse a ses dédommagemens. Cette
légère lassitude, que lui donne sans la faire souffirir
sa pesanteur habituelle, lui rend le repos si doux !
S'asseoir dans un bon fauteuil, surtout en revenant
de la promenade ; goûter te charme d'un calme
parfait, et quelquefois, au milieu d'une agréable
rêverie, et céder pour quelques instans au sommeil,
voilà pour elle de vrais plaisirs, et qui se renouvellent
tous les jours.
^^ On ne conçoit pas comment un vieillard peut se
livrer à l'humeur, à la colère, à l'avarice^ à l'ambition,
et se rendre insupportable à tout ce qui l'entoure.
Prêt à tout quitter, à quoi lui serviront ces honneurs
qu'i^ sollicite, cet argent qu'il amasse, toutes ces
superfluités de luxe qu'il accumule /autour de lui ?
Il n'a plus que le temps de donner et de pardonner.
Quel est l'homme qui, au moment de' s'expatrier
pour toujours, voudroit employer les instans qui lui
restent jusqu'à son départ, à gronder, à bouder, à
maltraite^ sei proches et ses amis^ dont il va se
séparer sans retour ? 11 n'en est point qai, dans
l'ette situation, ne désire laisser des regrets, et qtd
ne cfaerebe à les mériter. Ah I la sagesse véritable^
dans la vieillesse, c'est la doucéuT, l'indulgence sans
hames et la bonté. €es qualités, que la i^lîgion
prescrit à tous les Ages, peuvent-elles coûter à celui^
ci? Elles n^excluent nullement la vigueur de l'esprit
et la force de l'Âme ; elles s'allient parfaitement avec
le courage qui fait condamner sans ménagement les
mauvaises actions, l'impiété publique et les principes
cofYupteurs *, mais le vieillard, tdi qu'il doit être,
parie en faveur des mœurs, sans fiel, sans exagération.
Il est inaccessible à la haine, il met tous ses soins à
rendre heureux ceidc qui l'environnent, il n'en exige
rien | il leur otfte tons les conseils de la raison et de
rexftérience ; il 1èst, pour sa famille et pour ses
amis, une sentinelle attentive, placée là pour quel-
ques jours.*'*
Les récits qu'on me faisoit sans cesse de la cour me
parurent si mesquins, qu'ils m'iûspirèrent ce fragr
meni^ adressé à l'empereur :
'^ Il n'est pas étonnant qu'après un tel début de
cânq^agne et de telles victoires, on soit rempli de
* On a bien youIu citer avec élog^, le chapitre sur la ▼ieiUewèy
que j*ai placé dans VJEmploi du Temps. Je crois devoir dire ici que
dans ce èhapitre j*ai envisagé la vieillesse sous un antre point de yne
(NaU déVAuhur,)
DB MAJDAMJB DS 6BNLIS. Ï29
/
eonfiaace ; mab il est très-miî^ qu'avant ces brillans
succès^ on ne doutoit pas du triomphe des années
commandées par un tel chef. Aujourd'hui l'enthou-
siasme est général , on est fier d'être Français ;
mais le commerce va mal, les marchands ne vendent
rien, surtout les bijoutiers, marchands d'étoffes, de
Inroderies, de modes, etc., tout cela se plaint. Il
seroit à désirer que les princes et tous les gens en
place donnassent de grands dîners, des concerts, et
eussent cbez eux des assemblées à des jours fixes •
Cela seul donneroit bon air à Paris, et feroit vendre
des étoffes et travailler des ouvriers. Toutes les
fortunes acluelles sont des bien&its de l'empereur,
et ceux qui les possèdent doivent désirer concourir
aux vues du gouvernement ; leur représentation dans
ce moment seroit certainement très-utile ; et si les
princes et les ministres donnoient cet exemple, il
seroit facile d'engager les sénateurs et les autres
personnes riches à le suivre par quelques articles niis
dans les journaux, dans lesquels on loueroit adroite-
ment et avec la mesure convenable cette conduite.
Il faut observer que le suffrage des gros marchands,
des grands manufacturiers (et même celui des artistes
distingués) a plus de poids aujourd'hui que jadis,
parce que la société est un composé de toutes les
classes : leurs murmures se perdoient autrefois dans
les comptoirs > maintenant ils pénètrent dans les
salons. J'étois il y à quelques jours dans une
6**
130 . MÉMocass
maison où l'on trouve en général une société
fort brillante; il y avoit dixou douze personnes,
et entre autres, un homme, qui m'étoit inconnu, et
qui se plaignit beaucoup de la misère actuelle, et d<
ce que toutes les maison^ sont fermées \ il prédit
avec amertume que l'hiver seroit (2^$a5^re2<ar, parce
qu'on ne doiineroit pas une fête, pas un grand dîner,
il ajouta d'un ton si plaintif qu'il étoit. persuadé
i^u'on n'allumerait pas un lustre dans les salons des
particuliers, que je dis à mon voisin, que moi je
pariois qu'il vendoit de la bougie ; et en effet il est
intéressé dans une manufacture de bougies. Cet
homme, et mille autres, applaudiront de bien meil-
leur cœur nos exploits, siles princes et lesgens riches
tiennent cet hiver un état brillant. Ajoutez que le
contraire, les maisons fermées, annoncent de la
défiance sur les événemens, sur les finances, etc.
Le bois est d'une cherté prodigieuse, . si l'hiver est
rigoureux les pauvres seront bien à plaindra ; quel-
ques libéralités de ce genre, faites au peuple au nom
de leurs majestés, feroient un bien bon effet. Avant
la révolution tous les princes du sang faisoient
allumer, sur la place de leurs palais, de grands feux ;
j'aimerois à voir ces feux devant les Tuileries en
l'absence de leurs majestés, si elles ne sont pas
encore revenues au mois de décembre^ et eu outre de
l'argent donné aux curés pour du ,bois pour les
pauvres. Cette espèce de libéralité fait toujours un
Bfi MADAME DE 6UNUS. 131
grand eflfet parmi le peuple. Enfin, je voudrois
qu'à chaque victoire, tous les gens qui ont de grandes
places donnassent des espèces de fêtes en réjouis-
sances; la cour de leurs maisons illuminées; grand
dîner d'extraordinaire, un concert, et à leurs portes
une distribution de vivres aux pauvres. Tout cela,
sans avoir Fair d'être fait par ordre et comme de leur
propre mouvement.
^^ Quand il y aura de grandes maisons ouvertes, les
femmes se pareront; les marchands etles ouvriers se-
ront conteus, et de temps en temps quelques libéralités
publiques aux pauvres achèveront de réunir tous les
cœurs, et de faire former à tous les mêmes souhaits.*"
Voilà ce que j'écrivois une autre fois à l'empereur :
. " Enfin, l'Institut s'est ravisé: il a bien voulu
décerner un prix au beau poëme des Tombeattx de
Saint- OeniSy de M. de Treneuil, qui a ajouté à cet
ouvrage un morceau admirable sur les autels expia-
toires, morceau qui tout naturellement ne peut être
qu'à la louange de l'empereur. Je ne l'ai entendu
lire qu'une fois, et je n'en ai retenu que ces deux
oeaux vers :
Et sans veraer le sang d*ane seule victime,
L^hominage expiatoire a surpassé le crime.
^ 'Il y a une belle exhortation de fidélité aux Français,
* Ces conseils furent en grande partie suivis très-promptement, de
sorte que peu de temps après on ne parla plus que du luxe anaiique
delà cour et de la ville.— (/Vole de V Auteur)
183 uiuotmaa
et beaucoop d'âutrês morceaux d'une grande beauté.
M» de Treneuil est à la foid un bon Ftanqms^ un ngei
afifectionné, et un vrai poete« H a un caractère plein
de franchise et de loyauté ; il est aimé et estimé de
tout ce qui le connolt \ cependant il a été l'occasion^
c'est-à-dire le sujet de terribles scènes à l'Institut»
On l'attaqua avec Aireur, avec rage^ on le défendit
vaillamment et avec tout l'avantage que peuvent
donner la justice et la raison. Ces détails sont bien
curieux» Au reste M. de Treneuil a pour lui le public
et tous les honnêtes gens: ses ennemis le savent ;
c'est pourquoi ils ont pris le parti de s'adoucir."
** L'empereur confirme bien ces belles paroles de
Ml^ssillon : foe les princes sont sur la terre une fro-
vids^e visible* Comme il sait récompenser le
mérite e1 la vertu ! Voilà madame de M ontesquiou
nommée gouverûante. C'est un choix qui^ malgré
l'envie, es% bien unirersellement approuvé. Je con-
nois une personne qui a un beau nom et beaucoup de
mérite, qui rempliroit parfaitement l'emploi de sous-
gouvernante ; c'est madame de Liascours : l'âge con-
venable ; trente-deux ans, des manières charmantes,
un ton excellent, une réputation irréprochable, l'es-
prit le plus distingué que je connoisse parmi les
femmes, des talens charmans : elle est musicienne,
joue du piano, et peint en miniature comme un ange ;
mais ce qu'on ne sauroit trop louer en elle, c'est son
caractère et l'agrément de sa société. C'est la seule
D£ maoamb'bb oenlis. 133
femme^ saos exceptioni que j'aie vae aussi raisonnable,
-nusfti {a*udente, aussi parfaite qu'aimable, parce que
toutes ses vertus, toutes ses qualités sont naturelles.
J'avoue que si l'amitié rend suspecte de par^^dité, je
dois en avoir pour eUe; mais cependant je n'ai cette
amitié que^par l'estime que j'ai prise pour ses vertus,
et par l'agrânent infini de sa société* Je sms séparée
d'elle depuis cinq mois, et j'ai tant d'occupations, que
mon commerce de lettres est fort irrégulier. J'i-
gnore entièrement ses sentimens sur cette place ; je
sus seulement que personne n'y conviendroit mieux,
et qu^outre le mérite le plus solide, elle y auroit fort
bon air,<;hose qui ne^meparoit nullement frivole, sur-
tout à la cour, où tout doit avoir de la dignité.
^' Voilà mon ouvrage sur les femmes tout-à-fait
arrêté ! J'ai sollicité vainement qu'il f&t censuré siur
les épreuves ; après un mois d'attente, on me refuse. Il
faut donner le manuscrit, dont je n'ai point de copie,
plein de renvois, très~peu lisible. Il faudra attendre
six semaines d'examen, et subir les chicanés dé-
raisonnables d'un censeur malveillant, et peut-être
mon ennemi personnel. Cela est bien triste, avec des
intentions telles que les miennes, et un cœur aussi
français !
'^ Le cardinal Maury sera un bien bon archevêque :
il a beaucoup d'esprit et un bon esprit^ vif et sage,
ferme et~ conciliant ; il auroit été un très-bon ambas-
sadeur. Il m'a dit que rien ne peut se comparera
134 MÉMOIRES
rémotion qu'il a éprouvée en prêtant serment, et que
l'empereur, dans les choses qu'il accorde, a tant de
grâce et de majesté, qu'on se trouveroit heureux, dans
ces momens-là, de se faire tuer pour lui. Il m'a
conté, qu'il trembloit à ne pouvoir pas se soutenir;
ce n'est pas qu'il soit naturellement timide ; il auroit
pu dire à sa majesté ce qu'un vieil officier, intimidé
par l'éclat de la royauté, disoit à Louis XIV : ^^ Sire,
je ne tremble pas ainsi devant vos ennemis."
^' Les grâces qu'on n'a point Sollicitées, les grâces
qui surprennent, ont un double prix. La reconnois-
sance en est mille. fois plus vive ; elle se propOTtionne
à l'étonnement. Un événement heureux, tout-à-fait
inattendu, fait à jamais une époque dans la vie 3 et
pour le bienfaiteur, le plaisir est beaucoup plus grand,
parce que le bienfait est plus généreux."
Voici un autre fragment de cette correspon-
dance :
^^ La littérature à Paris, dans ce moment, n'offire
point de nouveauté intéressante, à l'exception des
trois excellens articles de M. de Bonald,* qui ont
• Bonald (Louis-Gabriel-Aotoine-Pierre dévissa d'une ancienne
fiumlle de Rouerie, compoea, pendant le temps de son émigration,
un ouTrage intitulé: Théorie du p<mvair poUtigue et r^gieux;
dans lequel il prédisoit le retour, en France, de la famille des Bour-
bons Cet ouvrage fut saisi par ordre du directoire exécutif. En
1808, Napoléon nomma M. de Bonald conseiller de Tuniversité impé-
riale ^ il a été maintenue dans cet emploi depuis la restauration. Le
plus célèbre de ses ouvrages est celui quHl a publié sons ce titre •
DE MADAME DE GENLIS. 135
paru dans le Mercure. Dans le« deux premiers, il
compare Tathéisme à l'anarchie politique, les princi-
pes de la démocratie à ceux du déisme, ceux de la
religion catholique à ceux du gouvernement monar*
chique. Tout cela, admirablement bien exprimé et
prouvé, produira des résultats lumineux et sublimes.
Son troisième article est une belle critique de la tra-
gédie des TemplierSy la seule où, selon moi, on ait eu
à la fois du jugement, de l'esprit, de la politesse et
de l'impartialité. Je ne connois pas du tout M. de
Bonald, je ne suis l'amie d'aucun de ses amis; je
n'ai jamais eu avec lui la moindre relation, même in-
directe; mais je n'en pense pas moins qu'il est un
grand écrivain ; qu'il a un esprit plein de finesse, et
un prodigieux génie. Avec ces talens de la première
force, cet homme vit paisiblement au fond d'une
terre, il est vertueux, il n'intrigue point, il se tient
à l'écart: toutes ces choses sont rares.
'^ Il a paru des lettres imprimées de conscrits^ des
dialogues de conscrits faits avec de bonnes intentions ;
mais, pour réussir, il faut que ces choses-là soient
faites avec un goût parfait 3 si elles ne sont pas ex-
LégiêUUicn primitive. Ses autres ouvrages sont : Du Divorce,
considéré au dix-neuvième êiicle ; Recherches philosophiques sur les
premiers objets des connoissances humaines; des Mélanges litté-
raires, politiques et philosophiques ; plusieurs discours prononcés à
la tribune de la chambre des députés, et des articles insérés au Mer-
cure de France, M. de Bonald est membre de TAcadémie française,
depuis le mois de mars 1816.— -(iVofe de VEditeur )
136 MBMOIRSS
trèmement iigréables, elles mwquent leur but» On
m'a dit qu'dles étoient faites pour le peuple : (puis^
qu'il m'est permis de dire toutes mes pensées^ parce
qu'elles sont sans conséquence)^ il me paroît qu'il ne
faut pas que le peuple croie que l'on travaille pour lui
dans ce genre ; car il en conclut qu'on veut le gagner^
et qu'on le craint. On a beaucoup employé ces petits
moyens dans des temps qu'il faut oublier; mais,
dans nos jours de gloire, ils sont au moins inutiles.
Il faut aimer le peuple, s'occuper de son bonheur,
mais peu penser à son suf&age, dans les opérations
générales ; car sans doute le souverain doit désirer
personnellement son amour, ' Mais le peuple a cela
d'excellent qu'il aime naturellement ce qu'il admire,
et surtout le peuple français, le meilleur de tous les
peuples. Je crois donc que la poUce ne doit faire
composer pour le peuple que des chansons gaies, fai-
tes pour être chantées dans les rues. Cela n'a point
l'importance des brochures, et convient au caractère
national ; la musique anime les paroles, et Ton re-
tient ces chansons. Ce moyen, employé de tou&
temps, est le seul de ce genre qui soit bon, sans
avoir d'inconvénient.
'^J'ai découvert une dépense du gouvernement
tout-à-fait inutile, et même nuisible. Le Conserva-
toire de musique donne des prix de composition, et
celui qui obtient le prix est envoyé en Italie aux frais
du gouvernement, pour achever de se perfectionner
DB MA0AMB J>X GBNLIS. . 137
dans la composition* C'est comme si Ton envoyoit un
géomètre dans uti autre pays pour se perfectionner
dans la géométrie. Les règlei^ de la composition
sont les même» partout ; on les sait aussi bien en
Angleterre on en Hollande^ où Ton n'a pas le génie
musical, qu'en Italie. Il n'est même pas nécessaire
d'envoyer en Italie pour perfectionner le goût. ]La
musique instrumentale concertante y est très-infé-
rieure à la n^tre. Nos cdn^ositeurs sont très-bons :
Le Sueur est très- savant, Chérubini* est l'un des
premiers compositeurs de l'Europe, et beaucoup plus
jeune que Paësiello. Il est peut-être le premier à
présent. D'ailleurs, il n'en est pas de k musique
comme de la peinture : il faut aller voir les tableaux
• Chérubini, né en 1760, à Florence, ayoit, à Tâge de treize ansi
composé et fait exécuter, dans cette ville, une mease et un intermède.
II travailloit à la fois pour PÊfiflise et pour le théâtre, ce qui est aussi
inoonyenant dans un musidien que daas un poète, et de la part d'un
laïc que de celle d'un ecclésiastique. Il fut à la fois relève et Vami
de Parti, sous lequel il étudia pendant quatre années. En 1784^ M.
Chérubini se rendit à Londres, où il fit représenter la Fausse Prin-
cesse, et Sabineau. Il retourna en Italie, en 1788, et donna, à Turin,
son Iphigénie en AuHde^ Peu de temps après il vint en France où
11 est îresté. . Il y a composé la musique d'un grand nombre d'oonra*
ges dramatiques. Les plus célèbres sont Lodoiska, Médée, Us
Deux Journées, Anacréon, et VHétéUerie Portugaise. On lui
doit un grand nombre de messes, de motets, des oratorio, des canta-
tes et des hiterraèdes. H a publié avec Gossec, MéhuI et Lesueur,
des Principes élémeniaireê de tnusique, et des solfèges pour le Con-
s0rvaioir9.-^Note de r Editeur.)
138 MEMOIRES
des grands maîtres ; mais les grands compositeurs
font graver leurs ouvrages. Â cinq cents lieues d'eux
on a leurs chefs-d'œuvre^ qu'on peut étudier tout
comme si l'on étoit près d'eux. Ces jeunes gens
que l'on envoie si loin^ vont perdre en Italie leur
temps, leurs mœurs, et leur santé. Voilà tout ce
qu'ils gagnent à cette magnificence mal placée. Il
vaudroit beaucoup mieux leur donner une gratifica-
tion. Par attachement pour mon souverain et pour
mon pays, je désire qu'on vienne chez nous pour se
former et s'instruire, et que nous n'ayons pas (du
moins inutilement) le mauvais air d'aller chez les
autres chercher des lumières et des talens. Il me
semble encore que l'on pourroit fort bien aussi à pré-
sent se dispense^ d'envoyer les peintres en Italie.
Ce voyage, peut-être, n'est plus utile qu'aux archi-
tectes."
Voici ^encore un autre fragment que j'adressai à
l'empereur:
** Ceux qui ne regrettent le temps passé que pour
fronder et souvent pour 'calomnier le temps présent,
se plaignent sans cesse de la déca;dence de la littéra-
. ture, des arts et des mœurs ; dans tous les siècles de
certains esprits ont eu cette manie de détraction ^
sous tous les règnes on a loué le règne précédent
pour dépriser celui sous lequel on vi voit, à moins
que le dernier souvenôn ne f£tt un tyran sanguinaire,
et alors on prenoit le parti de s'extasier sur le^ roia
DE MADAME DE 6ENLIS. 139
ses contemporains^ ou de comparer les mœurs du
temps actuel avec celles de Vàge cCor. Cet esprit
critique a produit plus d'exagérations ridicules et
plus de mensonges que la flatterie même.
. " Après plusieurs. années d'une anarchie sanglante^
après le règne des scélérats insensés qui voulurent
anéantir la religion^ et par conséquent la.^ morale^
doit-on s'étonner de l'altération que l'on peut remar-
quer dans la politesse, les manières et les mœurs ?
Il faut avouer que be changement est tel parmi le
peuple en général, qu'on ne trouve point d'époque qui
puisse en offrir un plus triste et plus frappant. Le
peuple égaré par les orateurs des tribunes, par les
impiétés publiques qu'on appeloit fêtes, par les pam-
phlets composés pour lui, et enfin maintenant par les
devins et les sorcières, et encore par les libelles à
deux sous, le peuple ne ressepible plus (du moins à
Paris) à ce qu'il étoit jadis, et il a tout perdu à cette
métamorphose. Mais la révolution n'a pas eu à beau-
coup près une si v funeste influence sur les autres
classes de la société : il ne seroit pas difiicile de
prouver que la corruption des mœurs a été plus
grande en France du temps de la régence qu'elle ne
l'est maintenant^ parce que le rigorisme des dernières
années de Louis XIV fit prendre à tous les caractères
une teinte plus ou moins forte de fausseté, et qu'à s^
piort tous les hypocrites levèrent le masque. Qu'on
relise les mémoires de ce temps, et l'on ne niera
140 MÉMOIRBB
point cette vérité* La dépravation fut teUe alors,
que la plume d'une femme n'en pouvoit tracer le ta-
bleau. On conviendra que le temps où nous sommes
fournit un champ très- vaste à la critique ; mais ce
temps si décrié nous offi*e aussi beaucoup de choses
particulières « et générales dignes des plus grands
éloges: sous Tancien régime quelques femmes (en
temps de paix) ont suivi leurs maris dians leurs gar-
nisons^ mais on n'en a point vu traverser les mers
pour ne pas s'en séparer au milieu des horreurs d'une
guerre sanglante et cruelle, et refuser de les quitter
durant la plus terrible contagion. . . «J'en cbnnma
une, qui, à peine convalescente d'une longue et dan-
gereuse maladie, n'hésite pas à suivre son mari par*
tant pour Constantinople.
** Quant à la littérature, il est certain qu'on n'a ja-
mais vu paroitre autant de mauvais ouvrages; mais
c'est un malheur inévitable, quand tout le monde
écrit. Il ne s'agit que de triery et le goût le plus
.délicat peut encore être satisfait.
'^ Il me semble que lorsque l'on peut citer les noms
de MM. de Chateaubriand^ Pontanes, Bonald,
Delille, Michaud, Dussault, Jay, de Barante,
dé Treneuil, Amault, Duval, Kcard, Etienne, te
comte de Ségur, de Choisenl-Gouffier, madame de
Staël, et tant d'autres si justement célèbres, et tant
de talens agréables que là littérature française pos-
sède; il me semble que, telle qu'elle est dans ce mo^
DE MADAME DE GSNLIS. 141
ment^elle tiest^ncore le premi^ raog parmi toutea
celles des nations policées/
^^ Pour les arts, comment croiroit-on dire qu^ilç
sont en décadence^ qu^nd on a vu les ouvrages de Da^
▼id, Gérard^ Guérin, Girodet, Le Thiers^ Robert Le-
fèvre, de Vanspaëndonck^ et ceux de nos sculpteurs
modernes; et enfin le produit des arts dans tous les
genres exposés au Louvre cette année/'
^ Je Toudrois qu'il y eût deux hommes nommés
pour écrire toutes les campagnes de sa majesté;
Louis XIV nomma Racine et Boileau pour ses histo^
riographes ; mais en choisissant des historiens con-
temporains^ ils seront toujours accusés de flatterie.
Il n'en est pas ainsi des campagnes de guerre^ ce sont
des £aits positifs qui ont pour témoins tous les braves
de la nation. On peut £Edre ces récits avec autant
d'intérêt durant la vie du héros qu'après sa mort^ ^
même il vaut mieux les écrire de son vivant, l'ouvrage
gagnera tout à être revu manuscrit par lui ; c'^t au
général vainqueur à éclairer l'écrivain. Cet ouvrage
seroit un admirable monument de la gloire française
portée au comble par le seul génie du héros qui la
gouverne. Il me semble qu.e l'on verroit dans cet ou-
vrage une chose uniqi^e, c'est que l'envie et la mau-
• Ceci fut écrit en 1S06. Nous ayons à déplorer la perte de plv-
•leurs écrivains illustres, cités dans ce passage, depuis dix ans, J!>«.
iitte^ frmeuiiy Ch»iêeuljQû^g^y FimianeSy et I^iwMiiilf .— (^ols de
142 MÉMOIRES
vaise foi des ennemis de la France ont provoqué, ont
nécessité ces exploits inouïs; c'est que la Franpe
étoit démembrée et perdue si l'Europe n'étoit pas sou-
mise. Toutes les puissances jurèrent, depuis la révo-
lution, à l'instant où Louis XVI fut détrôné, elles
jurèrent d'anéantir à peu près la France, pour Vexem.-
ple. .
^^ J'étois en Angleterre à l'époque où la république
fut décrétée. M. Davis et M. Sheridan me dirent
alors que désormais il falloit que la France l'em-
portât sur l'Europe, ou qu'elle fût anéantie ; que son
abaissement ne suffisoit pas aux puissances épou-
vantées, qu'il falloit sa destruction pour assurer les
trônes. En 1793 j'étois en Suisse ; il parut alors
une brochure (je crois de Mallet-du-Pan) qui fit
beaucoup de bruit, je la lus ^vec horreur. Ce bon
Français disoit qu'il falloit tellement, quand on
auroit relevé le trône, anéantir les vestiges de la ré-
volution, qu'il ne restât rien de ce qu'elle avoit pu
produire d'utile; ainsi tout remettre comme jadis,
rendre toutes les conquêtes, et punir tous ceux qui
avoient le plus petit emploi, ou prêté un serment,
ou servi. avec grade d'officier comme militaire, afin
que pour l'exemple de l'univers on pût dire avec
vérité qu'il n'est résulté que du mal et dés calamités
de la révolution. On ne se dissimuloit pas que la
France seroit tout-à-fait déchue, mais le bien du
monde entier le vouïoit. De sorte que cette con-
DB HAlDAMB db obnlis. 143
juration étoit formée et affermie longrtemps avant
les triomphes de Tempereur, de sorte qu'il ne falloit
rien moins qu'une suite de prodiges pour faire échouer
tous ces complots, c'est-à-dire, tout ce qu'a fait
l'empereur. De sorte que jamais victoires et con«
quêtes n'ont été légitimées et ennoblies par d'aussi
puissans intérêts, puisque le salut de la France en dé-
pendoit. Voilà ce qu'il faudroit développer dans le
brillant récit de ces campagnes miraculeuses, et ce
qui donneroit un caractère tout particulier à Fouvrage.
Les mémoires seroient fournis par des militaires, et
deux hommes de lettres les emploieroient^ Il me
semble qu'il n'y en a que trois dignes de travailler
à une telle histoire, M. de Bonald, M. Fiévée, dont
les réflexions politiques seroient si parfaites ; et M.
Dussault, qui écrit avec une pureté et une élégance
très-remarquables aujourd'hui. Tout ceci n'est que
dans ma tête ; non - seulement je n'ai entendu
parler de ceci à personne, mais moi-même, ainsi
que tout ce que j'écris de ces notes, je n'en ai parlé
à qui que ce soit."
Je donnai les Monumens Religietufy à l'époque
oà le pape vint en France ; je lui en ofiris un exem-
j>Iaire, et le saint père eut la bonté de m'en remer-
cier, par une lettre que m'écrivit en son nom M. le
cardinal de Bayane : le pape n'écrit jamais de sa
main à une femme ; sa plus grande marque de con-
sidération est de faire écrire par un cardinal. Voici
144 m£moi»V9
la lettre qu'il a 4aigo^ me hire éerire à ccÉte oc-
casion :
^^ Des deux exemplairefi de TexoeUeiit ouvragé
^^ que TOUS m'avez Mt resiettre par M. de Cabre,
^^ après avoir lu avidement eelni qu^ vous avez eu
^^ la bonté de me destiner^ j'ai donné Tautre au
'' pi^9 en lui rendant compte de ma lecture. S. S.,
^^ qui vous connoissoit déjà beaucoup de réputation,
^^ m'a ordonné de vous en faire mUle remerciemens
*' de sa part, et de vous témoigner la satisfoction
*^ extrême qu'elle éprouve de vous voir employer au
^' bien de la religion Theureux génie dont il a plu à
*^ Dieu de vous douer.
^^ Après avoir exécuté, madame, les ordres du
^^ saint-père, si je ne sentois Timportanoe de mé-
'^ nager vos momens, je remplirois des pages pour
^^ vous témoigner les sentimens d'admiration dmit
" la lecture de vos ouvrages m'a pénétré.
" J^ai l'honneur d'être avec respect,
'^ Madame,
*^ Votre très-humble et très-obéisaant senriteur,
^^ Le Cardinal de Bayane.
<< FàTiUon de Flore, 14 décembre 1804.
^ Je n^ai pas manqué aussi de remettre Totre lettre à Sa Sainteté,
*^ qni m'a ordonné de toqs répondre, pour elle, dans les termes qne
'* J'ai transcrits."
D£ MADAMB DE «ENLIS. 145
Sa Sainteté eut la bonté de m'envoyer un chapelet;
j'allai aux Tuileries recevoir sa bénédiction; j'y
menai Casimir^ à peine entré dans l'adolescence,
mais qui fut si touché de la majesté du pape, qu'il en
fut particulièrement remarqué et caressé.
On trouve dans les Mo7iumens religieux des re-
cherches curieuses et plusieurs morceaux intéressans.
M. l'abbé Frayssinous fit l'honneur à cet ouvrage de
le citer dans ses belles conférences^', et d'engager
ses auditeurs à lire un chapitre sur les tableaux
représentant la Sainte- Vierge. On blâme avec rai-
son dans cet ouvrage l'ordre peu naturel que j'ai
suivi, en décrivant les monumens religieux : j^'aurois
dû les décrire par pays^ et non suivant leurs titres
particuliers; par exemple, je range sous les mots
cathédrale, chapelle, toutes les cathédrales et cha-
pelles de l'Europe ; il auroit fallu, au lieu de cela,
donner les descriptions des églises de chaque pays ;
par exemple, toutes celles d'Italie, ensuite celles de
France, ainsi du reste. J'avois suivi un mauvais
ordre, parce que j'avois fait d'abord, dans les pays
étrangers, de cet ouvrage un dictionnaire de la Bible;
* Dont réloqnence fut si persuasive, qu^elle convertit une infinité
,de jeunes g^s qui n*y étoient allés que pour s^en moquer. L^em-
pereur, contre toute raison, et àans aucun prétexte, même frivole,
défendit ces utiles conférences, et le vertueux abbé Frayssinous n'en
eut qu» plus de célébrité.— ^iVofo de V Auteur,)
TOMB y. 7
146 MéUOfASB
' quand je vis la religion rétaUie enFrance^ je pensai
qu'au milieu d'un clergé qui se fomioit de nouveau,
le titre de mon ouvrage avoit quelque chose de
trop ambitieux pour une femme'; je fis ies Momp*
niens religieux ; mais, pour profiter des articles tout
faits sur ces' monumens je conservai cet^formede
dictionnaire ; j'ai chargé mon éditeur de la changer ;
ce qu'il fera sûrement dans u6e édition générale.
Rien ne peut donner une idée de la figure pater*
nelle de Pie VII, du' calme et de la majesté de son
maintien, de sa belle représentation dans la grande
et magnifique galerie de Diane, remplie dé personnes
des deux sexes les plus distinguées par les talens^ le
mérite, le rang, et la réputation. Toutes ces figures,
sans exception, exprimoient la vénération la -plus
profonde ; je trouvai un tel plaisir à contempler ce
spectacle imposant et religieux, que lorsqu'en^sortant
de la galerie, j'allai avec M. deCabre^re-une visite
au cardinal: de Bayane, il me ftit impossible de parler
d'autres choses; le cardinal me répondit que cette
impression âvoit toujours été si: générale, que le
meilleur observateur n'auroit pu distingueiren^ pré-
sence du pape, les gens éminemment religieux de
ceux qui ne l'étoient pas. Il me conta à ce sujét^que
M. Delalande, l'astronome, étoit venu quelques jours
auparavant à son audience publique ; que. la laideur
de ce fameux athée ayant fpappésle< saint^père^ il
DE MADABiE DB GBNLIS. 147
avoit demandé son nom^ et qu'aussitôt il s'étoit ap^
proche lie M. Delalande et lui aroit dit':^^ Je suis-
" charmé que {Nir votre seule présence ici vôui^dé-^
'^ mentiez d*une manière si authentique^ Fhorrible
^^ calomnie qui vous attribueiin'Evret si indi^a^. à
^^ tous égards d'un personnage tel que vous»'' A
ces motsr M. Delalande tomba aux pieds du souve*
rain pontife, qui lui donna sa bénédiction.
Une autre fois le pape aperçut à l'une des extré^
mités de la galerie un jeune homme qui affeetoit la
moquerie la plus indécente. C'étoit la première fois
qu'il pouvoit remarquer ce maintien insultant ; il se
dirigea de son côté, et, lorsqu'il fut près de lui :
^' Jeune homme, lui dit*il, mettez^-vous à genoux, la
" bénédiction d'un vieillard porte toujours bonheur."
Le jeune homme, touché jusqu'au fond de l'âme, se
prosterna et l'on vit couler ses larmes.
A la fin de cet entretien le cardinal nous congédia,
parce qu'il alloit se mettre à table avec le pape^ et
que le dîner étoit servi; il me. demanda si je dé-,
sircûs passer par la salie à manger^ parée que le
pape n'y arfiveroit certwiement que dans dix ou
douze minutés, j'acceptai avec empressement et
nous passâmes sur-le-champ dans cette salle; je
m'arrêtai un instant, et en voyant un somptueux
* Le ÏHeticnnaire des Athées,
1*
148 MÉMoiaES
I
service, je dis, en souriant, que le pape aimoit sft-
rement la bonne chère. " Non, madame, reprit le
cardinal, car il vit toujours en minime. Ce repas est
pour nous, on ne servira au saint-père que quelques
légumes à Thuile, dans de petites assiettes; et tels
sont constamment tous ses repas/' Il ajouta que le
pape avoit la bonté de rester à table tout le temps du
dîner, quoique le sien ne durât pas le quart du temps
.de celui des cardinaux; qu'il ne se levoit jamais de
table, et qu'il y restoit pour causer avec autant
d'affabilité que d'agrément.
Le pape ne vint à Paris que dans l'unique dessein
de sauver la religion, et il est certain qu'aucun de ses
prédécesseurs ne fit ime démarche aussi utile à cette
cause sacrée ; il refusa avec fermeté tous les avanta-
ges temporels qu'il en auroit pu retirer et qui lui fu-
rent offerts, il voyagea à ses frais et n'accepta rien
pour sa dépense durant son séjour à Paris. Le car-
dinal nous conta même qu'on lui avôit volé en route
une caisse très-précieuse^ qui contenoit ses plus
riches et ses plus beaux chapelets. Le saint-père ne
s'abusa point sur l'effet que produiroit en Europe
cette marque éclatante d'estime et d'admiration que
Charlemagne même, bienfaiteur de l'Eglise, n'avoii
point obtenue. On sait que Pie VII dît publique-
ment qu'il étoit certain que cet acte solennel exci-
teroit un grand mécontentement parmi les princes
DE MADAME DJS GBNLIS. 149
î»es contemporains. ^^ Mais, ajouta-t-il, J'empêche-
rai la France de devenir protestante, et mon désinté-
ressement prouvera que tel est le seul mobile de ma
cpnduite/'
Il falloit en effet des vues aussi religieuses, aussi
profondes de sentimens, aussi pures, pour soutenir
un vieillard, au milieu des dangers d'une route si
longue et si fatigante, entreprise et continuée dans la
saison la plus rigoureuse. Le ciel bénit son courage,
sa seule présence ranima la foi dans tous les cœurs
-et rendit respectables aux yeux même des incrédules
les croyances qui pouvcnent inspirer tant de forcé et
de grandeur d'âme.
Je ne perdis pas une occasion pendant le séjour du
saint-père à Paris, de le voir dans les églises, on seule-
ment de l'entrevoir passer dans les rues: aussi
j'éprouvai le désir le plus vif de juger par moi-même
si son portrait, fait par David, étoit aussi beau et
aussi ressemblant qu'on le disoit ; je fus charmée de
ce portrait, mais la reine (fe Naples (depuis reine
d'Espagne) m'assura que la figure du pape étoit
«ucore plus belle dans le tableau du couronnement,
qu'on ne voyoit alors que dans l'atelier de David*
Je témoignai le regret» de ne pouvoir y aller, parce
que j'avois fort blâmé, dans mon Précis de Conduite^
les actions et les opinions politiques de David, et
que je supposois, avec vraisemblance, qu'il refuseroit
de me recevoir. Alors la reine eut la bonté de me
ïèO . MÊMOIRBS
dire qu'elle ae chargeoit .de m^ mener, ^eqai eut
lieu dès le lendemain. David me reçut sans aucune
rancune ; de mon côté, je louai de bien bon cœur,
non le tableau entier que Ton peut critiquer â quel-
ques ég{u?ds, mais la figure du pape, qm est vérita*
blement .admirable. Quelqu'un disant un Jour à
David que tout. le monde* tcouvoit avec raison qu'il
Bxoit ridiculement rajeuni, l'impératrice Josépiûne :
jdUez^le lui dire, répondit David.
M.> de Cabre, mon ami, qui étoit intimement
lié avec le maréchal Bemadotte, et qui laUoit très-
souvent chez la reine de Naples, lui inspina le désir
de me contioître ; elle me témoigna tant<de bonté,
je découvris en Bile tant de vertus, que je m'y attmchaî
du fond de l'âme. Par une singulaiité qui tenoit à la
noblesse de ses sentimens^^.de ses manières, elle m'a
toujours rappelé le souvenir des princesses de l'an-
cienne cour, elle avoit^ par exemple, tout ie .maintien
et tDute4a représentation delà dernière .princesse. de
Conti^ si le ciel l'eût fait inaitre sur un trône, il
n'auroit pu lui donner une bien&isance plus étendue ;
cÉstte* grande qualité, qui doit caractériser tous. les
princes, fut perfectionnée en elle >par la.piété la plus
sineère^et la plus ennemie de toute ostentation* ■ En
voici 'lin trait, entre mille autres qu'on pourroit citer.
Les prêtres de Saint-Sulpice (paroisse du Luxem-
bourg) remarquèrent que, depuis cinq ou six mois,
la quêteuse pouih les pauvres de la messe de neuf
DB MAPAMB PIS GENLIS. ï&l
heures rapportoit^toua lea jonra^.dans sa bourse^ une
pièce d'or de q.wrante frftncs ; il étc^t évident que
cette ci}iarité partoit de la même main, et Toil connut
bientôt qu'elle venoit d^une dame voilée, placée tou-
jours auprès du même pjiUer, dans un coin de TÉglise.
Qn la fit suivrçi, et'l'pn d^ouvrit que cette. personne^
si charitable, avec si peu d'éclat, étoit .la reine
d'JSspàgne, qui .alloit dap%[Cfitte église régulièrement,
tous lies matins, aans valet de pied, sans aucune suite,
et, comme on l'à^dît, toujours voiliée. Ceux qui
avoient découvert c^tte oçagaificence de charité, eu^
rent Findiscrétion de la divulguer. X>e ce moment
la .reine supprima ce. bienfait ^anonyme,. mais les pau-
.vres^u'y perdirent rien> cette générosité changea seu«
lement de formeretde lieu.
Ce fut à peu près vers ce temps que Je pns la
liberté de recommander à cette princesse une jeune
p^çsonne que je ne connoissois que par ses malheurs,
qui étoit df autant plus intéressante, qu'elle jojgndit à
une jolie' figure une grande jeunesse et la plus déplo-
rable pauvreté. La reine me donna Fadresse d'un
de ses aumâniers chargé de la distribution des secours
qu'elle accordoit aiix infortunés. Cette jeune per*
sonne, après avoir reçu ce qui lui avoit été destiné,
vint me voir et me conta qu'arrivée à la porte de la
maison de l'aumâniér elle n'avoit pu pénétrer chez
lui qu!au bout de deux heures, parce qu'il y avoit. une
152 ^ MÉMOIRES
telle foule dans sa petite cour et sur Tescalier, qu'il
étoit impossible d'y avancer promptement sans dan-
ger. Cette jeune personne fut presque aussitôt
placée dans une communauté, où Ton perfectionna
ses talens pour le dessin d'ornement et pour la bro-
derie, et sa pension a toujours été exactement payée.
J'avois déjà eu l'honneur de recevoir plusieurs fois,
à l'Arsenal, madame la maréchale Bernadotte (sœur
de la reine d'Espagne), qui avoit alors tout le charme
de la plu& jolie figure et les manières les plus agréables.
Je fufr frappée de l'harmonie qui se trouvoit entre son
aimable visage, sa conversation et son esprit. Je la
rencontrai, pour la première fois, chez M. de Cabre,
qui nous donna à dîner; j'étois placée à côté du
maréchal qui ressembloit de la manière la plus éton-
nante à tous les portraits du grand Condé. Sa belle
tournure^ la noblesse de son ton, sa politesse, secon-
doient cette glorieuse ressemblance, qu'il coœplétoit
d'ailleurs par ses grandes qualités guerrières. Je
crdis avoir déjà conté, qu'en sortant de table je dis
tout bas à M. de Cabre que le maréchal avoit des
manières de roi. Je ne croyois pas faire une pro-
phétie. Il est revenu depuis à Paris, étant prince
royal de Suède. J'allai lui faire ma cour et je le re*
trouvai aussi poli, aussi obligeant, qu'avant son im»
mense fortune. Enfin il s'estimoit assez (et il en
avoit le droit) pour n'avoir pa& cru nécessaire de
DB MABàMB db genlis. 153
changer quelque chose â son extérieur. II n'avdit
point substitué l'air affitble et protecteur à sa grftce
naturelle et bienveillante.
Je pris, à l'Arsenal^ un jour pour recevoir du mondé,
mais heureusement les routs n'étoient point encore
introduits en France; je fis une liste qui s'étendit
t>eaucoup par la suite, parce que plusieurs étrangers y
furent inscrits ; mais je n'y plaçai d'abord que des
personnes remarquables par leur esprit, leur caractère
et leurs talens.
Mada^nae d'Harville, mon ancienne et fidèle amief,
madame la baronne de Lascours, dont j'ai déjà fait le
portrait, que tous ceux qui la connoissent ne trouveront
certainement pas flatté. M. de Lascours, son mari,
aussi recommandable par ses nobles sentimens que
par 6a capacité dans les affaires. Mesdames de
Châtenay, J'ai déjà souvent, dans mes ouvrages,
rendu justice au mérite, aux connoissances et aux
talens de madame Victorine de Châtenay, qui a tou-
jours fait le bonheur d'une mère aussi tendre que
vertueuse, et d'un père digne d'être le chef d'une telle
famille. Madame la princesse de Beaiifremont (depuis
comtesse de Choiseul), et dont j'ai déjà parlé; à
laquelle ma famille avoit l'honneur d'être alliée. C'est
une personne dont l'originalité m'a toujours autant
frappée que ses vertus et ses talens m'ont paru dignes
^l'admiration : elle joint, à une extrême vivacité, une
'## *
•1Ô4 MÉMOiRES
raison parfaite. et la plus grande discrétion; elle à
presque l'air de Tétourderie, et nulle femme au monde
n'est plus en état de juger sainement et deda&o^r un
meilleur conseil* On luittrouvpit quelquefois^ dans
sa première jeunesse^ l'apparence de r la coquetterie ;
on setronp^poit, elle n'a jamais eu^enyie de plaire que
par bienveillance ou par sentiment* et eqp^ndaiit sa
modestie est incomparable^ elle n'a nul/désir de. bril-
ler : elle en connott les âangers,t^;«iQn<Àme, forte et
sensible^ en dédaigne la gloire 3 malgré -sa modestie^
elle n'est, point himiUe^ parce qu'Selle secoonoltet se
Juge comme elle jugeroit ^une autre. M adasaè Kéiar-
nens^ dont l'esprit, la douceur^la: sensibilité et le
talent d'écrire rendent .le commerce: si agiréobte^et si
sûr. Madame de Vannoz, rii^ale heureuse de DeUlle,
relativement au poëme de la Converaaiiimy et dont
la réputation littéraire n'a pas be&oin de mea^li^s.
Madame duBrosseron^avec laquelle je.'^fis- coudoîs-
sance. d'une ipanière agréable et singulière, dont je
donnerai par la suite des détails 3 madame Roger
(depuis comtesse de Montholon)^ deux personnes
remplies d'aménité, qui possédaient toutes Jes.quUités
aimables qui font le charme . de ia société. M^tdame
Hainguerloty.que M- de Cabre, à mou arriMée^ft Paris,
me . fit ^connoître, que je tijQUTai^ ce 1 quv'^e. étoit,
remplie d'esprit. Sa conversation éicHtaiiissigiquante
qu'animée; ma liaison fitec eUe a duré.plus&^ors
^ DE MADAME DE «EN LIS 16^
année»; ensuite le .dépérissement de sa santé Ta
forcée de voyager^ d'aller aux eaux; et jeraientièie-
ment perdue de vue. Madame Càbarus (depuis
princesse de Chimay) ; durant mon s^our à Beriin
ma fille me manda qu'elle aroit contribué à lui sauver
la vie. Lorsqu'elle voulut bien me prévenir et venir
me voir, je la reçus avec autant de plaisir que de.re-
connoissance ; son entretien dans l'intimité, rempli
d'anecdotes curieuses, qu'elle seule avoit pu recueillir»
a voit l'intéressante et rare singularité, d'être toujours
exempt de médisance et de déclamation. Elle est
peut'^re la personne du monde qui a rendu le plus de
services, et qui^ par conséquent, a fait le plus d'ingrats.
Elle ét(Ht encore extrêmement belle et sa beauté
devoit plaire généralement ; il y avoit de la noblesse
dans sa taille et dans «on maintien et la plus, agréable
expression dans son sourire. -Mon amie, madame ^de
Bon, auteur de la jolie traduction de la JDame dû Imc,
de Walter Scott, très-passionnée dans son amitié,
avec d'autant plus de charmes, qu'elle . n'est jamais
exigeante ; elle est capable d'une généreuse profiiflion
de soins et d'attenlions, et n'est jamais blessée de. la
négligence et même de l'oubli, pourvu qu'elle. puiipse
compter dans les choses essentielles sui^ le.£ond des
sentimens. Enfin, mesdames deBeltegai^de, que l'on
peut citer comme des modèles de l'union fraternelle
et de l'amabjQité.fspirituelle et bienveillante.
M. Briffimt, fort jeune alors^et quiaoQpnçoit.dé-
156 MÉMOIRISS
jà les talens qu'il a montrés depuis ^^ il avoit un si
bon goût naturel, qu'indépendamment de toute ré-»
flexion, il étoit blessé du mauves ton qui se trou-
voit encore ators quelquefois dans la société ; il ai-
moitles vieilles traditions, il s'attacha d'abord à moi
pour en recueillir* J'avois un plaisir extrême à lui
parler de l'ancien temps: il comprenoit tout, sentoit
tout, il. éeoutoit si bien ! Il avoit besoin de rétro-
grader, il cherchoit un autre siècle y on trouve dans
ses vers celui de Louis XIV.
M. Laborie, aussi obligeant qu^il est spirituel, et
auquel il ne manqueroit, pour être parfaitement ai^
mable, que d'être moins affairé, moins pressé ; on
croit toujours être sa vingtième visite, car il entre
essoufflé en s'essuyant le visage ; on est charmé de
le revoir, à peine est-il assis qu'il regarde à sa mon-
tre et tressaille : il voit qu'un rendez-vous l'appelle,
il se lève et disparolt, il ne s'est montré que pour lais-
ser des regrets.
M. Pieyre, dont j'ai déjà tant parl^ et avec tant de
plaisir» M. Millevoye, jeune poëte, dont la figure,
les verset le caractère sont également aimables. f
• II vient dé donner,^ aa mois de mai de cette année 1895,. un. di»-
Iog»ae channant, dans lequel Tun des interlocuteurs supposés, M. de
Fontanes (qui n'existe plus) s'exprime comme il auyoit pu écrire. Je
reviendrai, avec détail, à la fin de cet ou¥ra£^,ii ir ce dialogue si
digne d'être cité. — Çtfote de V Auteur )
^ 11 a fait des vers cbarmans pour mA QuhrkMde ; je ne les cite
p<^t ici, parée que jie ne veux rien extvaire de cepetH ouvrage ma-
DIfi MADAME D£ GENLIS. 157
M. de Charbonnières^ ami fidèle et sûr, qui, comme
poëte, jouiroit d'une grande réputation, s'il eût
mieux choisi ses sujets. * M. Descheniy, disci-
pie passionné de J.-J. Rousseau et philosophiste
outré, et qui me plàisoit beaucoup, parce qu'il avoît
de Fumage du monde, de l'amabilité, et qu'il n'afii-
choit ses principes et ses opinions que dans ses
écrits y il avoit d'ailleurs un goût très- vrai pour les
beaux-arts et il offiroit le singulier phénomène d'un
homme de soixante-douze ans ayant encore une très-
belle voix et chantant avec la meilleure méthode.f
M. de Cabre, mon ancien ami, qui, sans ^avoir été
engagé dans les ordres, étoit (Abé avant la révolu-
tion. Ce fut lui qui alors dans une société, où quel-
qu'un lui demandoit de faire le portrait d'une femme
attrayante par ses grâces, et même par ses défauts,
fit sur-le-champ cet impromptu :
Pourquoi me demander ce que c'est qu'une femme,
A mot dont le destin est d'ig^norer Pamour !
]>e Tayeugle affligé vous déchirerez l*àroe,
Si vous lui demandez ce que c'est qu'un beau jour !■
M. <le Coriolis, que j'aimerois, quand je ne con-
noitrois de lui que sa Messe de Minuit, Tune des
plus diarmantes pièces fugitives en vers que l'on
iiuscrit. Ce jeune poète intéressant est mort depuis! — {Noie de
TAvieur,)
• Ceci fut écrit peu d'aiméclB avant sa mort.
t U mourut âgé de plas de quatre-vingts ans.
158 m£hota£8
eût .faites depuis longriempa, qciaîs qui d^ailieur^ par
l'égalité de son .caractère^ l'agrément de sa conver^
sation^ et ses vertus, réunit tant de moyens de jdaire
et de droits à Festime générale.
M. de Courcl^amp, qu^ou n'a jamais pu accuser
de pédanterie et de prétentions dans la société^ quoi-
qu'il ait, et depuis ita.plus tendre jeunesse, une éton-
nante instructian, et une foule -de talens agréables ;
ce qui seul est un éloge de la vie entière d'un homme
du monde ou d'un savant, car il est impossible d'a-
voir fûtime telle lecture et d'acquérir des jcqnnois-
sanees si variées et ai approfondies,,S9fis avoir une
grande suite dans le caractère, le goût de l'ordre et
la passion de l'étude. Jamais ,les intrîgans et les
ambitieux n'obtiendront cet heurem; résultat de l'em-
ploi de leur temps. D'ailleurs M. de Courchamp réu-
nit à l'invariabilité .deS] meilleurs principes religieux
et politiques l'esprit le plus juste et le plus piquant
et une parfaite boAté.jde; ç^eur.
M. de Tréneuil, dont ks^ beaux v^prs ont été la plus
noble expiation des vers d'un autre poète.*
• M. Lebran, daos son ode iortitiilée Paitiêtique, Voici Ia«trophe
exécrable qui provoqua les pMâmatioaft des ^mlieç roya1es.de Sjaint-
.P^qis':
Purgeons le sol des patriotes
• I^ardesrois.eneoreinâsté. v
La terre de la liberté . ,
Rejette les os des despotes.
De ces monstres'àiTÎmsés,
DK MADAME D£ GBNLTS. 159
Je vis d'abord chez Taimable et yeftueuge reine
d'Espagne M. Deapréa ; ' il eatimposaible de le ren-^
contrer -sans désirer le connoitre^ et il eat affligeant
d'en être oublié^ quand on Ta eonnu.
M. Radet, auquel Je doisde lareconnoisBance pour
aroir embelli plusieurs de mea nouvelles qu'il a mi-
ses au théâtre avec le plus grand succès.
M. Dussault^ qu'on pouvoit louer sur trois choses
qui ne sont pas communes dai^s œ siècle: il fut jour-
nafiste impartial^ bon écrivain^ et ami fidèle dans
tous* les temps.*
La belle collection des portraits historiques- possé^
dés par M. Crawfurd mefit faire connoissance avec
Que toas les cercueils soient brisés !
Que leur mémoire soit flétrie !
Et qu^avec leurs mânes errant,
Sortent du sein de la patrie
. Les cadavre» de ces tjrrans !
Cette «ipophe {dit M. de Tréseail, ^laiis ses-aotes du^ beaa poâme
întHulé» Xer Tombeau» dt Saini'^DeKtU)^ ea ce qu'elle n>^ilrage du
moins que les rois dans leurs cercueils, est une dçs' plus hufiuiinet de
Tode dite PeUrioiique . , . .Si la poésie ne vit et ne doit vivre que de
religion, d^affections pathétiques et tendres, de sentimens nobles et
▼erfueux, Pauteor de» odes PaârMiqueê a teniblement méconnu la
■|9$ifl(teté de soiL ministère.
Ajoutons que M. Lebrun» malgré son enthousiasme philosophique
et républicain, 8*est fort bien accommodé du gouvernement impérial,
et qu^il en fut grand admirateur.— ^2Vb#e de V Auteur).
* Les lettre* et,. ran|itié./.«iei|neiit de le perdre, i^ao^-cette-'aBnée
160 MÉMOIRES
lui; on ne peut iden voir dans ce genre de plus cu-
rieux, et de plus intéressant ; M. Crawfurd en étoit
un digne appréciateur, ce qui ne se rencontre pas
toujours dans les amateurs de tableaux ; il eut la ga-
lanterie magnifique^ comme je l'ai déjà dit; de me
faire présent d'un très-beau portrait de grandeur na*
turelle de madame de Maintenon ; mais un portrait
qui^ dans cette riche collection, efiaçoit tous les
autres par le dessin, le coloris, l'expression, la compo-
sition, et l'importance du personnage, c'étpit celui
de Bossuet. Quand on n'auroit jamais vu d'iestampes
de l'auteur des Oraisons Funèbres^ de tant d'admira-
bles sermons j des f^r/ariww,etc,U suffiroit d'avoir lu
ces ouvrages et de jeter les yeux sur cette peinture
pour l'y reconnoître et pour s'écrier : Voilà le grand
Bossuet !. . Je n'ai rien vu qui m'ait autant frappée*.
Je voyoïs aussi deux hommes du mondé aussi re-
marquables par leurs talens, la douceur de leur com-
merce que par leur distraction, MM. de Sabran et de
Laborde. J'ai déjà cité de M. de Sabran la réponse
remplie de grâce et de finesse qu'il me fit un jour où
jeluiparlois de sa distraction. Au reste, ces deux per-
sonnes qui n'écoutent guère que par hasard ont tant
de charme dans l'esprit et dans le caractère, que leur
distraction n'a jamais rien de désobligeant, elle n'ins-
pire que le désir de fixer sur soi leur attention; 41s n'ont
^'
* M. Crawfurd n'existe plus. J*ignore ce qu'est devenu Pinconr-
perable portrait dont je viens de parler*— (iVofo êeV Auteur).
JDE MADAME DB GBNLIS. 161
pas besoin d'à-propos pour plaire. Les gens distraits
ont en général un naturel et une franchise qui leur
donnent, lorsqu'ils ont de l'esprit, la plus aimable
originalité* ; on pardonne leurs imprudences, on est
si flatté de leur suffrage ! il n'y a pour eux ni prépa-
rations flatteuses, ni complimens étudiés ; ils se-
roient de mauvais courtisans, ils sontd'excellens amis.
Parmi les gens du monde je rassemblois encore, le
samedi, les hommes les plus distingués de la so-
ciété, entre autres, MM. de Lascoursf; d'Ëstour*
* Voici un trait comiqae et nouveau (et du genre rêveur) des dis.,
tractions de M. de Laborde : il étoitinyitéà une cérémonie nuptiale ;
arrivé à Tég^lis^ il se plaça en face du g^nd autel, vis-à-vis des non-
veaux mariés, et au moment 6ù ils prononçoient le serment irrévocable,
il se pencba vers son voisin et lui dit : Irez^wAU jusqu'au cime-
Hère / .... II croyoit assister à un enterrement !
M. de Laborde, passionné pour tous les arts, véritablement con-
noisseur en musique 3 enthousiaste du talent incomparable de Casimir
Baecker, mon élève, il fit une dissertation aussi lumineuse que
savante sur les découvertes extraordinaires et sur les effets éton-
nans produits sur la harpe, par Casimir, et que lui seul, jusquMci,
peut exécuter. Dans cet écrit, qui fut imprimé et qui a été traduit
e(i angolais, M; de Laborde explique parfaitement, par ces découvertes
et ces effets, plusieurs passages des livres anciens, grecs, sur la lyre
antique qui jusqu^alors a voient paru absolument inexplicables.^JVbfé
de r Auteur,)
t J*ai d^à parlé, dans mes PrUormierSy des actions bienfaisantes
que M. de Lascours a faites à Auch, dont il étoit préfet, et où il a
^ laissé, en quittant cette préfecture, des regrets si unanimes et si bien
fondés. Bon, loyal, religieux et rempli de capacité, il a, dans tous
]es temps, mérité Testime de tons ceux qui ont eu des rapports
avec lui.— Y^'''^ ^ V Auteur J
162 MÉMOIILBS
nfiUe^ ; Cfirionde Nisas^sicouhuparsontalentdmmali-
que; de Choiseul^ auteur du premier et du meUleur
vojcagc pittoresquef ; nulle conversation ne letraçoit
mieux que ceUeide M. de. Choiseul le^bou temps de. la
société fisuipaise : on n'a jamais conté avec plus de ^
grâce^ on n'a jamais eu des manières plus nobkts et
phisî^éables y on peut lui donner justement des
éloges plus aôUdesam* sa loyauté et sur d'excellens
principes qu'il n'a jamais démentis, soit en France>
soit jdans les pays étrangers.
Le cardinal Maury;]:, dont les talens comme ora-
teur ont tant d'éclat, et dont l'entretien, semé d'anec-
dotes piquAUt^, a tant de cbs^rmes.
Mv'de Sennov^*t, l'homme. du monde qvd possède
Finstruction^a |dus variée, etl*un de ceux qui causent
* Qui joint aux agrémens d*un homme du monde une grande
capacité dans les afiàîres, et le talent de la poésie.
f Les dessins de ce voyage sont aussi beaux que ce g^nd ouvrage
est bien écrit.
} Il disoit beaucoup de bons mots et il avoit souvent des réparties
très-saillantes, faites de premier mouvement ; en voici une qui eut le
plus grand succès de ce genre, celui d*être universellement citée : un
jour, en présence de Napoléon et d*un grand nombre de courtisans, il
eut une discussion très-vive avec M. de ••**, qui finit par lui dire
grossièrement :—<< On sait, monsieur le cardinal, que, dans votre
pensée, vous vous élevez au-dessus de tout le monde."»-^* Non, mon-
iieuTy répondit le cardinal, je suis sans orgueil, quasL^ je me juge ;
maisj^avouè que j^en ai quelquefois, quand je me comparé à de cer-
tunes gens.*' Le cardinal est mort à Rome en 1821. — {JSoieê de
i^Auteur.)
DE MADAMB DE GBNLIS. 163
le mieux: sur les arts^ la littérature^ la politique^ et les
petits intérêts de société ^,
M, Marigné^ qui fait des vers si charmans^ qu'on
ne peut s*empécher de. regretter que sa muse, ren-r
fermée dans le cercle étroit d'une société particulière^
ait consacré tous ses chants à l'amitié.
Et enfin M. Denon. Son beau cabinet de curio-
sites attire chez lui tous les amateurs de ce genre, et
l'accueil aimable, l'entretien du possesseur, sont un
moyen plus sûr encore de les rappelerf •
D'après cette nomenclature, il eût été bien simple
que l'on eût. donné à ces réunions (qui ont duré neuf
ans) le titre de Bureaux tT E^mt, et c'est ce qu'on
n'ajamais fait, ni pendant que j'étoisàBelle-rChasse,
où je receY(»s de même, tous les samedis, des gens -
de lettres, des jsavans, et les personnages de la
société de cette époque les plus distingués par leur
esprit.
* M. de SeBQovert a été depuis s^établir à Pé(e»bourg, où eon
mérite et le discernement supérieur de Temperear de Russie lui ont
procuré d^honorables emplois, quUl a exercés pendant un assez grand
nombre d^années. Sa santé Ta forcé dernièrement de revenir en
•f M. Denon ?lent de mourir dans le cours de cette année 1825^
I^es collections de eoa cabinet étoient toutes également intéressantes
dans leur espèce, et particulièrement celle de yieux laques, les plus
beatfz qu^on ait jamais vus, et celle des ouvrages faits par des sauva-
ges 3 cette dernière ne pouvoit être riche, mais elle est complète et
«barmante^iVo^etf de V Auteur,)
464 MÉMOIRES
Je crois qu*en général, lorsque la personne qui fait
les honneurs d'un cercle n'a nulle espèce de pédan-
terie, on n'ose en montrer devant elle ; cependant on
appeloit les assemblées de madame du DefFant des
Bureaux d'EspHt, quoique la conversation en fût
aussi aimable que variée ; et d'ailleurs madame du
Deffant étoit ausài naturelle que je puis l'être, et elle
étoit certainenient beaucoup plus aimable.
M. de Talleyrand venoit aussi assez souvent me
voir à l'Arsenal, mais pour mieux jouir du charme de
sa conversation, je le recevois toujours seul ; il y a
naturellement dans son maintien et dans toute sa
personne quelque chose de froid et d'insouciant qui
3. blessé plus d'une fois les gens qui le connoisseht
peu. On pardonne difficilement la sécheresse aux
personnes dont la réputation de mérite et d'esprit
font désirer le suffrage. Mais cette apparente indo-
lence de M. de Talleyrand donne tant de prix aux
marques particulières de son Intérêt et de son
amitié !.".. Un signe d'approbation^ un sourire bien-
veillant, un air attentif, attendri, sont en lui de véri-
tables séductions. Ses détracteurs sont forcés de re-
connoître la supériorité de son esprit ; de cet esprit
si flexible, qui, sans effort et sans pédanterie, peut
dans les grandes occasions se manifester avec éclat,
et qui (Jans le commerce intime peut aussi égayer la
conversation par des épigrammes, ou se prêter avec
une grâce inimitable au badinage le plus frivole. Ses
DE MADAME DB GENLIS. 165
ennemis n'ont pas rendu justice à la bonté de son
cœur, bonté dont j'ai moi*même, durant l'émigration
éprouvé les effets comme je l'ai déjà conté dans ces
Mémoires. M. ^de Talleyrand n'a jamais mis de
pompe jHt d'emphase dans les services qu'il a rendus.
En général, ses bonnes actions sont faites avec tant
de simplicité qu'il en perd facilement le souvenir, à
moins qu'on ne les lui rappelle^
J'avois joui d'une si grande tranquillité à Berlin,
j'avois tant admiré la douceur et l'équité du gouverne-
ment de ce pays, que je désirois depuis long-temps
rendre un hommage à son souverain ; mais je voulois
que ce tribut de reconnoissauce fût désintéressé.
Plusieurs personnes de mes amis, à Berlin, m'avoient
conseillé de dédier au roi un ouvrage, je leur répondis
que je n'y manquerois pas, quand je ne serois plus
sous sa puissance. J'imaginai donc à l'Arsenal
d'écrire la Fie de Henri le Grand et d'en offrir la
dédicace au roi de Prusse. J'écrivis à Berlin pour
obtenir cette permission^ qui me fut accordée de la
manière la plus flatteuse, dans une lettre pleine de
bonté. Alors j'assemblai tous les matériaux de cette
histoire^ mais ensuite j'appris avec certitude que je
n'aurois pas la permission de la publier en France.
Je l'écrivis depuis à la première restauration ; mais,
comme les Prussiens étoient entrés en vainqueurs à
Paris, je ne la dédiai point au roi de Prusse. Pour
m'en dispenser et en disant une cho^e parfaitement
166 MÉMOIRES
vraie, j'eus Thonneur d'écrire à ce prince ^ue^lora*
que j'avois sollicité la permission de lui rendre cet
kommage, je n'avois pas réfléchi que jes^oisoUigée
de parler des calvinistes d'une manièrequi pourvoit
lui déplaire, et que par cette raison, lui oÏÏrir un tel
ouvrage seroit un manque de respect.
Cette histoire étoit tout-à-fait imprimée, . quand
Louis XVIII fut obligé de quitter la France, je lui en
fis présenter un exemplaire la veille de son départ^ et
l'ouvrage fut mis en vente deux jours avant l'entrée
de Bonaparte à Paris. On m'avoit proposé d'y met-
tre des cartons ; je Tavois écrit sans le projet de faire
des allusions, mais naturellement il s'en trouva par
les faits un grand nombre de très-oflensantes pour
Bonaparte ; j'eus le courage de donner cette histoire
sans aucun changement; elle ne pouvoit paroitre
dans un «moment plus désavantageux à sou débit,
cependant l'édition s'écoula promptement; on en fit
une seconde au bout de deux mois. Très-peu de
journalistes osèrent en rendre compte, et dans la
crainte de déplaire à Bon;aparte, aucun n'eut le
courage d'en parler avec détail, et je l'ose dire, avec
l'approbation que méritoit l'ouvrage ;- cependant
tous convinrent que e'est la seule histoire • conplèfe
de Henri IV^ et que tous les portraits qui s'y trouvent
sont bien faits. Madame de Staël, dans son dernier
ouvrage posthume, en parlant de Henri IV, s'est
servie du portrait que j'ai tracé de ce prince; elle
0£ MADABf B DK GENLIS. 167
dit que Henri fut de tous nod rois le plus Français ;
les joumi^gtes^ en parlant de ce trait^ l'ont cité
comme sublime ; il est pris de mon . ouvrage^ et l'on
n'en a^oit point parlé^ quand mon Henri IV parut.
Tel est l'esprit de parti*.
J'écri\4s dans ce temps {à l'Arsenal) les Mémoires
de Dm^eaUn Je fis cette lecture immense sur un
manuscrit in-quarto en quarante et tant de volumes,
• Les rédacteurs d'alors dn Journal des Débats^ et qui depuis
ont changé, chargèrent M. Hoffnlann de reidre compte de cet ou-
trage ; ce qalliit arec tonte la malveillance qu'on lui connoissoit pour
mdi, et une ignorance quMl étoit impossible de prévoir dans un
homme qui prend le titre delittérateur (titre quUl a mérité-d'atlleurs) ;
par exemple, il confond dans son extrait une conférence tbéolog^que
avec une bataille ; il se récrie sur ma maladresse dMnsister ^ur un
tntit qui représenté mon- héros comme le plus ingrat des hommes,
lorsque Henri écrit au duc d*Ëpenion pour lui témoigner sa joie d»
Védaiante victoire remportée par révique d*Evreux contre les cal-
xdniêtee entièrement défaits et vaincus ; et M. Hoffmann déclame
sentimentalement contre la joie barbare de Henri. De quoi se ré-
jonît Henri IV ? dit-il, de sang répandu^ de la défaite de ces calvi-
nistes qui Tout- mis sur le trdne. QneUe ingpratitude ! Quelle hor-
reur ! . . . . Ainsi, M^ Hoffmann croyoit que, sous le règne du plus
belliqueux de nos rois, un évêque avoit commandé nos armées!
ainsi, il faisoit d'un des triomphes de là religion et d'une discussion
théologique^ un combâtt sanglant, et d*un évêque un généj*a] d'ar-
mée^ . versant des €ots. de sang !..... Voilà > une étrange ' manière
de lire et de Jugr^r ! . . . . Nul Journal ne voulant recevoir ma récla-
mation sur cette inconcevable distraction, je la plaçai^ deux mois
i^rès, dans la préface de la deuxième édition de Henri IV, et avec
le plus grand détail, citantiittéralement l'article de M. Hoffinann, et
le numéro du journal. Il n'y avoit rien àrépondise à cela M. Hoif-
mapn garda le silence. — {Note de V Auteur.)
168 MÉMOIRES
copié d'après l'original in-foUo, qui est dans la
maison de Luyne». Cette copie d'une belle écriture
est aussi authentique que l'original ; elle est verba-
lisée y et fut faite avec une exactitude minutieuse ; ce-
pendant je voulus en confronter une partie, et
madame la duchesse de Luynes eut la bonté de me
prêter tout son manuscrit, tous les Jours, pendant
sept ou huit mois ; à l'aide de deux ou trois amis, je
m'amusai, à eil confronter quelque chose, et nous
trouvâmes que Texactitude en étoit véritablement
scrupuleuse ; il y avoit aussi une copie in-folio à la
Bibliothèque du Roi, j'ai mieux aimé travailler sur
celle de l'Arsenal, à cause de la beauté de l'écriture
et de la commodité.du format. Comme la bibliothè-
que Be l'Arsenal appartenoit à l'empereur, j'obtins de
lui la permission de marquer à la marge, par des
barres sur l'exemplaire, les passages que je voulois
extraire, et que je faisois copier à mesure ; ensuite
sur cette copie j'ajoutai mes notes. Cet abrégé
est certainement l'ouvrage qui fait le mieux connoi-
tre la grandeur et" la bonté de Louis XIV, et les
mœurs du beau siècle où il a vécu 5 mais il falloit
la patience dont je suis capable, pour entreprendre
la lecture de ce prodigieux ouvrage ) il falloit avoir
lu tous les mémoires connus du temps pour en faire
un bon extrait, afin de ne pas tomber dans des répé-
titions fastidieuses ; il falloit encore, pour y joindre
des notes utiles, avoir vécu à la cour et dana le
DE MADAME DR 6BNUS. 169
grand monde, et connoltre toutes les traditions de ce
règne et de celui de la régence. Je crois avoir rendu
un important service à la littérature par ce prodigieux
travail, qui, comme on le verra par la suite, a été
double pour moi. J'ai mis neuf mois à lire cet ou-
vrage, que je lisois constamment tous les soirs depuis
onze heures jusqu'à trois ou quatre heures du matins
Ce travail fini, la permission de l'imprimer, sur
laquelle j'avois dû compter, me fut positivement re-
fusée. Je donnai mon muiuscrit à l'empereur en
l'assurant que je n^en gardois aucune espèce de copie,
ce qui étoit parfaitement vrai.
Quelques jours après je reçus de M. de Lavalette
une lettre conçue en ces termes :
" Sa Majesté m'ordonne, madame, de vous préve-
nir qu'élle-accepte Toflre que vous lui faites des mé-
moires manuscrits du marquis de Dangeau; elle
désire que je les lui envoie à Boulogne. Je vous
prie, madame, de vouloir bien me les adresser promp-
tement, pour que je les envoie à l'empereur*. -
" J^ai reçu aussi l'ordre de vous annoncer que Sa
Majesté vous accorde une pension de six mille
francs sur sa cassettef . Je suis chargé de vous la
payer par douzièmes. Je vous prie, madame, de
* J*ai conservé Torig^nal de cette lettre, ainsi que d*an très-g^raiid
nombre de lettres itdérùsanteê que j*ai reçues depuis que je suis en
France, et que je ne citerai pas dans ces Mémoires pour ne pas les
rendre trop Tolumineux.'
♦
f Le maxtiniiiii des pensions des gens de lettres étoit de quatre
' mille francs. — {Noie9 de t Auteur J
TOMB V. 8
]70 MÉMOIEES
vouloir bien Aie faire cônnoitre comment je pourrai
effectuer ce paiement.
^^ Je me trouve heureux^ madame^ d'être, dans'
cette circonstance^ Torgane des volontés de l'empe-
reur, et Je désire bien vivement qu'elle me procure
quelquefois l'occasion de vous présenter l'hommage
du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être^
etc.. " La VALETTE."
Je regardois déjà l'emp^eur comme mon bien-
"■ faiteur, par les offres généreuses qu'il m'avoit fait
faire par M. de Rémusat, offres que j'avois refusées;
et que je devois à l'amitié de M. Fiévée. En voyant
que je ne pouvois faire imprimer les Mémoires de
Dangeau^ je saisis un moyen de prouver ma recon-
noissance à l'empereur, en les lui offrant* Ainsi,
je fia ce don avec plaisir, puisqu'il m'acquittoit de la
pension que j'allois recevoir. ' L'empereur fit le
plus grand cas de ces Mémoires ; je sus par M. de
Talleyrand, qu'il les lisoit avec un extrême plaisir ;
M. de Talleyrand me donna l'espérance qu'il en-
gageroit l'empereur à les faire imprimer; il y a fait ce
qu'il a pu, mais inutilement* Ayant marqué à la
marge du grand manuscrit in-4o., par des l'aies, tous
les passages que j'avois extraits de l'ouvrage sur
lequel j'avois travaillé, j'écrivis à Tempereur que si
ce manuscrit restoit à Ia1>ibliothéque publique de
l'Arsenal où l'on pou voit copier tout ce qu'on lisoit,
on né nianqueroit pas de s'approprier mon extrait,
et de le faire imprimer dans les pays étrangers, si on
I>£ MADAME DB 6RNLIS. 171
ne pouvoit le publier en France. Cette réflexion
frappa l'empereur^ qui sur-le-champ fit demander cet
ouvrage à M. Ameilhon, et le mit dans sa bibliothè-
que particulière.
Pour faire connaître ces importans mémoires^ je
vais citer ici une petite partie de la préface qui les
précède.
^^ Si la candeur^ la bonne foi^ l'impartialité, la
pejnture la plus naïve et la plus fidèle des mœurs
d'une cour brillante et célèbre, suffisent pour ren-
dre attachante la lecture d'un ouvrage historique, il
n'est point de mémoires plus intéressans que les
Mémoires de Dangeau. Ils ont encore l'avantage
inappréciable d'offirir le portrait le plus ressemblant
et le moins suspect de flatterie que nous ayons, de
l'un de nos plus grands rois. Le marquis de Dan-
geau, qui écrivit ce journal pendant un si grand nom-
bre- d'années avec une régularité si constante, n'en
montra jamais une seule ligne, non-seùlement à
Louis XIV, mais à madame de Maintenon, son
amie. On voit, par les lettres de cette dernière, qu'il
refuàa toujours de le lui communiquer tant qu'elle
fut à la cour, et qu'elle le lut pour la première fois
après la mort duroi, dans sa retraite de Saint-Cyr.
On ne sauroit trop admirer la délicatesse d'un sujet,
d'un courtisan qui craignoit de ternir la pureté de
ses récits et d'afibiblir l'autorité de ses éloges en les
mettant sous les yeux de son souverain. Madame
de Maintenon, dansseslettres à madame de Dangeau,
8*
Il
/
ce
ce
172 MÉMOIRES
fait souvent l'éloge de la véracité de ce journal, et
de la parfaite exactitude de tous les détails qu'il con-
tient. ^^ Je lis avec plaisir (écrivoit-elle à madame
" de Dangeau) les Mémoires de M, de Dangeau ; j*y
'^ apprends bien des choses àxmX. j'ai été témoin,
." mais que j*avois oubliées. (4 juin 1716r)" Dans
une autre lettre elle dit : '^ Les Mémoires de M,
" de Dangeau m'amusent très-agréablement. ..j'ai
" toutlu; vous entendez ce que cela veut dire*. (19
" juin.)'- "J'attends avec impatience la suite des Më-
" moires, qui m'amusent si fort, que je lis trop vite.
" (21 juiljet.)". " Je voudrois savoir jusqu*où M.
de Dangeau conduit ses Mémoires, afin de les
ménager plus ou moins, car c'est le seul amuse*
ment que j'aie. (20 février VJYJ,)'' Ces passages
suffisent pour faire connoltre l'opinion de madame
de' Maintenon : on en pourroit citer beaucoup d'au-
tres, qui tous expriment la même approbationf.
• Cela signifie qu^elle passoit les longues nomenclatures des per-
sonnes qui suivoient le roi dans ses voyages, le détail des promotims
de grades militaires et des ordres du Saint-Esprit, de Saint-Lazare,
etc.} et une infinité de choses de ce genre qui tiennent une place pro-
digieuse dans ces Mémoires. — ("Note de V Auteur J
•f Cette seule approbation doit placer cet ouvrage au premier rang
des mémoires les plus intéressans de cette grande époque de notre
histoire. Madame de Maintenon avoit toiyours été le témoin le
plus éclairé et la confidente la plus intime , de tons les faits et de
tous les événemens retracés dans ces Mémoires : lorsqu'elle fait
réloge de Pexactitude^de ces récits, on ne peut révpqner en doute
leur scrupuleuse fidélité, l^autres juges encore, dont le sufirag^
' D£ MADitMB D£ GSNUS. 173
Madame de Maiatenon devoit en effet aimer ce jour*
nal 3 auemi ouvrage ne représente Louis XIV sous
dès traits à la fois si touchans et si nobles : on voit
dans ce Journal que le charme de ses manières et de
son langage venoit de sa bonté. La grâce dans les
princes n'est point, un avantage frivole ; cette recher-
che de politesse n'est dans les particuliers que le désir
de plaire ; niais^ dans led souverains^ elle est à la fois
Tanhonce d'un caractère aimable, d'une âme sensible^
et la preuve de leur estime y par un heureux privilège,
elle honore autant qu'elle charme. Louis XIV n'a
jamais accordé une grâce sans y joindre un mot flat-
teur qui en doul^loitle prix) on répétoit ce mot avec
délice dans sa famille, il y devenoit une tradition
glorieuse ; presque toujours ses refus étoient fidts
e t d'an grand'poids» ont aussi montré la plus grande estime pour
ce Journal» entre autres, Tabbé de Choisi, le président Hénault, M.
de JA Baumelle, etc. M. de Voltaire est le seul écrivain qui ait
parlé ayec mépris des Mémoires de Dangeau. On trouvera d^s
ces Mémoires mêmes la raison de cette injustice 3 on y verra, dans
les années 1719 et 1720 (ces Mémoires furent continués après la
mort de Louis XIV), le marquis de Dangeau blâmer les fmpru .
denceê et les eêtàU satiriques du petit Arouet, M. de Voltaire,
comme on sait, ne s'est jamais engagé dans de longues lectures^
il n*en a jamais eu le temps. Il aura- parcouru très-superfieiel-
lement quelques volumes de cet ouvrage ; il aura cherché surtout
les années où Tauteur pouvoit parler de lui : ces articles, dont
rimprobation fW)ide et laconique nVst adoucie par aucun éloge,
auront blessé son amour.propre; et, suivant sa coutume, dans ce cas,
il a décidé que Touvrage est déte8table.p->(2Vo/e de V Auteur, J -
174 MÉMOIRES
avec tant d'yards et de délicatesse, qu'on les rece-
voit avec reconnoissance. Que pourroit faire de
mieux la poKtique la plus habile î Mais la politique
ne donne qu'une fausse àflFabilité qui ne séduit-per-
s5nne; il est un langage' qu'elle ignorera toujours,
elle ne saura jamais parler au cœur. Sans doute
Louis XIV eut des- défauts -, quel homme, n'en a pas î
On peut lui reprocher quelques torts, . • ,11 ne ré-
prima point assez la fureur du gros jeu à sa cour et
à la ville, du moins il s'occupa trop tard de ce de-
voir. Sa magnificence dégénéra quelquefois en
prodigalité; il donna trop de dîamans et de bijoux
aux personnes de sa cour ; mais ses défauts même
eurent de la noblesse et de l'élévation ; sa tendresse,
poussée trop loin pour ses enfans naturels, n'altéra
jamais son affection pour ses enfans légitimes ; il fut
pour tous . le meilleur et le plus tendre des pères*.
* C'est une étraoge contradiction morale et relig^ieuse,-que le
crime d'un particulier imprime à son enfant adultérin une tache
ineâaçable, tandis que dans celui qui doit donner l'exemple à tous^
dans un souverain, ce même crime, publiquement reconnu, donne à ■
l'enfant, objet du plus éclatant scandale, un titre d'honneur et le
plus haut rang dans la société. Il est facile de deviner pourquoi
cette remarque n'a jamais été faite. On doit regarder comme un
véritable malheur public qu'une seule vérité morale soit forcée de
rester captive ou voilée, et c'est un grand bonheur et un prodige
dans ce siècle que l'existence d'une cour assez pure pour que l'on
puisse blâmer librement tout ce que la religion et la raison condam-
nent.— (iVo^e de r Auteur.)
DE MADAMB DE GENLIS. IJâ
Ou lui a reproché des défauts qu'il n'eut jamais, de
la morgue, une hauteur arrogante, un orgueil ex-
cessif, une basse envie de la vie de Henri IV. Cette
dernière imputation est bien formellement démentie
dans les Mémoires du comte cCJEstrade^y ambassa-
deur de France en Angleterre ; on trouve dans ces
Mémoires une lettre admirable de Louis XIV, qui
contient le plus bel éloge de Henri IV, et dans la-
xjueUe, p^r une modeste et noble exagération, Louis
reconnoit qu'il doit à ce héros tout ce que sa couron-
ne et la France ont de grand etde glorieux\. Louis
XIV avoit en public une majesté imposante, mais
' qui fut toujours tempérée par la grâce et la douceur,
et jamais souverain ne fut plus aimable au sein de sa
famille et dans sa société intime. Sa vieillesse
n'eut rien de triste et d'austère, son indulgence ne se
«
*■ Les mémoires da comte d^Estrade ont été souvent imprimés sous
le titre de Négociattonêy la dernière fois à Londres, en dix- sept
volumes in- 12. Le recueil complet des lettres et des mémoires du
-comte d*£strade forme vingt-deux volumes in-folio. Il fut â la fois
bon général, diplomate habile, se distingua dans ses négociations
avec la cour de Londres, à la conclusion du traité de Breda, et aux
conférences de Nimègue. Il s^étoit élevé, dans Tarmée, à la dignité
de maréchal de France, et dans Tadministration il avoit été nommé
viccroi de TAmérique. Né en 1607, mort en 1686.— Y'^Vbfe de
VEdHeur.J
• Je m^enorgueillis d^être le premier écrivain qui ait cité cette
belle lettre comme une justification complète de Louis XIV ; j*en ai
parlÀ pour la première fois dans les notes de la Duchesse de La
VaUikf et de Modam» de Maiwieium.—fXote de r Auteur J
176
MEMOIRES
démentit jaoïaia pour ses enfans^ pour les princesse
son sangy pour ceux qu'il honoroit de son amitié et
pour ses domestiques. Aucun roi n'a été plus véri-
tablement paternel que Louis XIV. Il étoit si ac-
cessible^ que des gens même qui n'alloient point à
la cour, en obtenoient facilement des .audiencesx
particulières, dont Tunique motif étoit de lui confier
des intérêts de famille; il s'pccupoit sans cesse du
soin touchant de raccommoder des parfois divisés^
^t^ dans ces occasions^ il ne parloit et. n'agissoit
qu'en arbitre^ en conciliateur, et jamais avec l'auto*
rite d'un souverain. Enfin, nul- roi de France n'a
plus aimé le travail^ et ne s'est occupé des affiûres
avec plus d'assiduité, de constance et de courage ;
*
car lès souffrances et leamaladies n'ont pu lui ^re
négliger ses importans devoirs. Il a travaillé encore
sur son lit de mort, et même le jour, où il reçut
l'extrême-onction .
" Tel est Louis XIV dans les Mémoires de Dim-
. geo/Ui qui ont le mérite de représenter ce prince avec
toute sa grandeur et toute sa bonté, et seulement
par des faits ; l'auteur écrivôit à madame de Main*
tenon, après la mort de Louis XIV^ que sHl avqit
pensé que (T aussi bons yeux liroient ses MémoireSy
il ne les auroit pas écrits avec autant de négligence.
En effet, il écrivôit rapidement, et il n'avoit que la
prétention d'être scrupuleusement exact,"
Il y a.déjàplHsieurâannées que j'ai parlé .pouV la
8**
_^
DR MADABiB 0B GENLIS. 177
première fois de ce journal (dans les Souvenirs de
F0oie). On me permettra de retracer ici quelques
passages du jugement que j'en portai alors^ et que la
réflexion a parfaitement confirmé depuis.
^^ Le Journal de Dangeau est un ouvrage unique
par sa simplicité^ par Texactitude, la bonne foi, Tim-^
partialité, l'esprit de droiture, de modération, et les
eiccellens sentimens qui s'y trouvent d'un bout à
l'autre ; c'est toujours un honnête homme qui parle
et qui raconte. .« .Jamais homme n'eut moins de
vanité : il a pris si peu de place dans ce prodigieux
nombre de volumes ! Il ne parle de lui que pour
inscrire dans ses Mémoires les grâces qu'il a reçues
de son souverain ; d'ailleurs nulle 'ostentation, nul
désir de se faire valoir, de donner bonne opinion de
son caractère ou de son esprit ; nulle animosité con-
tre qui que. ce soit. Que l'on compare ces Mé-
moires à tous les* autres, on v^rra que c'est le mo-
nument historique le plus extraordinaire, et Tou-
vrage, dans son genre, le plus estimable qui existe.^
^^ On ne s'embarrasse guère que l'auteur d'un ou-
vrage d'imagination soit vertueux ou non, mais il
est nécessaire d'estimer un historien, parce que,
pour l'intérêt de son ouvrage, il faut qu'on puisse le
croire impartial et véridique. Il £aut estimer da*
* Il faut toujours se rappeler que Louis XIV ne Ta jamais
coBUu, et que madone de Maintenou ne Ta lu qu^après la mort de
ce prince, et par conséquent lor^quMle étoit entièrement dépouillée,
de sa fayeur.— (JVb#« cfo r^ic/«tir.)
178 MBMOIltKS
vantage encore celui qui écrit les Mémoires de scwi
temps^ car la franchise ne lui suffit pas. S'il est
vain^ envieux^ haineux, vindicatif, il est impossible
qu'il soit parfaitement sincère, même avec l'intention
de l'être 5 les passions raveugleront ; la vanité pour
le moins, lui fera faire un usage frivole et quelque-
fois ridicule de son esprit; il parlera trop de lui, "il
en parlera ^n« vérité. Les Mémoires du Cardinal
de Retz sont les plus spirituels que l'on^connoisse >
le style en est vif et naturel, la manière de conter de
l'auteur est piquante et parfaite; il observe avec
sagacité, il peint avec génie ; mais c'est l'jouvrage
d'un factieux, d'un ambitieux, d'un homme à bonnes
fortunes : on le lit avec défiance et sans fruit, on ne
le cite jamais a^^ec autorité.* Il seroit désinible
qu'un historien ait un esprit supérieur; il doit re-
monter aux causes des événemens, les discerner, les
faire connoitre, et en tirer de grands résultats;
c'est-à-dire démontrer par des faits la sûreté, des
bonnes routes, le danger des mauvaises; enfin,
offrir aux princes et aux peuples un beau traité de
morale expérimentale. Si l'histoire n'est pas cela,
\^ lecture d'un roman bien fait vaut beaucoup
liiieux. Des mémoires historiques ne: sont que
des matériaux pour l'histoire. Un auteur de mé-
moires historiques, fera bien rarement un bon ou-
vragé dans ce genre (en le supposant même sincère,
* Il est soûyeiit d*une injustice réToltante, surtout pour la reine
Anne d'Autriche. — {Note de V Auteur J
bB MADAME DE GBNLIS. 179
Vertueux et modeste), s'il a une grande imagination'
et le talent de bien écrire. Il combinera des rap-
prochemens singuliers, des oppositions frappantes ;
il voudra faire des portraits, des réflexions ; il né-
gligera les petits détails ; il voudra mettre de l'ac-
cord entre ses portraits et les actions des personna-
ges qu'il a dépeints ; alors,, malgré lui, par une
pente irrésistible, il tombera dans les systèmes, dans
les déguisemens, dans les mensonges, en dissimu-
lant telle action qui démentiroit ses idées, en sup-
primant ou dénaturant les laits pour ne pas perdre
une réflexion ingénieuse ou un résultat piquant. Je
sais que les historiens eux-mêmes sont bien loin
d'être exempts de reproches à cet égard ; mais si
tous les mémoires étoient faits comme ceux de Dan-
geau, ils ôteroient aux historiens toute possibilité
de broder' et de mentir.* Si ces Mémoires eussent
^té imprimés il y a quatre-vingts ans, M. de Voltaire
et ses copistes auroient-ils pu dire et tant répéter,
t)ue Louis XIV étoit rempli de hauteur et d'orgueil,
que sa dévotion ifendit sa cour triste, austère,f et
'* On ne peut appeler Mémoires historiques que ceux qui suivent
sans interruption le fil des événemens politiquesi et qui .reudent ^
compte de toute la conduite des personnages qui ont Joué un rôle
dans ces événemens publics, par conséquent ces Mémoires ne sont
point historiques — (Note de V Auteur.)
t On faisoittous les jours de la musique chez M.°^^. dé Maintenons
on y jouoit sans cesse la comédie j les mascarades, les bals,' les lote-
ries, les amusemens de tout genre eurent toujours lieu à la cour jus-
qu'à la mort de Louis XIV '^Notè de V Auteur,)
160 MBMOIRES
que ce fut madame de Maintenon qui le harcela et
le tourmentia dans les derniers temps de sa vie^ pour
l'agrandissement du duc du Maine^ quand on voit si
bien dans ces MénK>ires que ce fut tout simplement
la tendresse excessive que ce prince eut pour ses
enfans- naturels ?
" Le siècle orageux qui vient de finir produira une
multitude innombrable de mémoires détestables qui
paroîtront successivement d'ici à cinquante ans.
Comment pourra-t-on, sur de tels matériaux, écrire
une bonne histoire de la révolution ? Quel homme
pourra débrouiller ce chaos rempli de discordances,
de contradictions, de mensonges et de calomnies ?'^
• •••••••••••••••• •••«#•••4 •••••••••• .
Comme l'auteur âes mémoires est aussi .intéres^
sant que son ouvrage, on me saura sans doute gré de
le : faire connoltre : " Jl avoit (dit Fontenelle) une
figure fort aimable, et beaucoup d'esprit naturel, qui
alloit même jusqu'à faire agréablement des vers."
^^ Le mai*quis de Dangeau^ étoit de famille pro-
• Les mémoires laits pe&daut la minorité de Louis XIV furent
écrits daos des temps de factions ; et, en général, on y trouve un
fond de droiture et dUmpartialtté, surtout dans les exeellens mémoi-
res de madame de Nemours, dans cetix de madame de Motteville, et
dans ceux de Tounrille. Mais il y avoit alors dans les âmes une
élévation qui préserva tonûo^^i^ ^^ ^^ fausseté. Les diffêreos partis
conscrvoient au fond les mémos principes, on u^avoit voulu «renverser
Rt le trùniB m' VauteU La philosophie moderne n*avoit peint encore
^e pro8élyte8.r-f(2Vb^e de V Auteur.)
* Philippe de CourciUon, marquis de Dangeau, naquit daiis la
Beuce,]e2i septembre l63S,^{NQte. de V Auteur.)
i)B MADAME DE GENLiSé 181
testante ; iiiaid, dans sa première jeunesse^ il se con-
vertit à la religion catholique. Il se distingua phr
sa vsJeur et par ses talens nûlitaires.
^^ lin jour que M. de Dangeau s'alloit • mettre au
jeu du roiy il lui demanda un appartement dans le
château de Saint-Germain, où étoit la cour. La
grâce n'étoit pas facile à obtenir, parce qu'il y avoit
peu de logemens dans ce lieu. Le roi lui répondit
qu'il la lui âccorderoit, pourvu qu'il la lui demandât
en cent vers qu'il feroit pendant le jeu ; mais cent
vers bien comptés, pas un de plus ni de moins ; après
le jeu, où il avoit paru aussi peu occupé qu'à l'ordi-
naire, il dit les cent vers au roi; il les avoit faits,
exactement comptés et placés dans sa mémoire, et
ces trois efforts n*avoiait pas été troublés par le cours
rapide du jeu.^
" Le marquis de Dangeau eût la gloire d'être à la
cour le protecteur de Boileau, qui lui adressa sa sa-
tire cinquième sur la Noblesse. L'abbé de Dangeau,
frère du marquis, devenu, par le crédit de son frère,
lecteur du roi, se servit aussi de sa place pour la
gloire des lettres et le bien de ceux qui les culti-
voïent.
* Le roi n'avoit pas exigé que ces vers fassent beaux, et comme
le talent d'improviser de mauvais vers est très-facile, il est possible
que le marquis de Dangeau les ait improvisés après la partie, au lieu
4e le» avoir faits pendant le jeu, ce qui. serait beaucoup moins mer-
veilleux .--«(iVofc de VAuiêur,)
182 MBMOlàl£S
"^^ Il fut chargé par Louis XIV, de plusieurs nëgo-
triations ; il alla commç envoyé extraordinaire vers
les électeurs du Rhin^ il conclut le mariage du duc
d'York (depuis Jacques II) avec la princesse de
Modène. Sans aucune intrigue, il dut a -la ss^esse
de son caractère, de sa conduite, et à restime du roi^
toutes les dignités de la cour. Il joignoit la bien-
faisance au zèle et'à l'activité ; il employa les revenus
et les droits de sa grande-maltrise à faire élever en
<:ommun, dans une grande maison consacrée à cet
usage, douze jeunes gentilshommes des meilleures
maisons du royaume, et destlhés en grande partie à
servir ensuite dans les armées. Ainsi il eut la
gloire, qui n'est point assez connue, d'avoir établi
en France la première école militaire, ou du moins
d'avoir donné l'idée de former en grand cet éta-
blissement. On aidmettoit dans celui de Dangeau
quelques pensionnaires roturiers: Duclos dit avoir
été élevé dans cette maison. Ce bel établissement ne
dura que dix ans ; après la mort du fondateur, le
mauvais état dès finances ne permit pas au gouver-
nement de le continuer.
" La cour, les affaires, d'utiles occupations par-
ticulières, n'empêchèrent jamais le marquis de Dan-
geau de cultiver les lettres et les sciences; Il rem-
plaça Scudéri à l'Académie*. 11 étoit dans la des-
* Uoe singularité plus frappante fut celle de M, de CoartanTean,
descendant du grand Lonvois, et succédant à son fils A PAcadémie
DB MADAMB DB GBNLIS, 183
tinée des deux frères de succéder, dans cette
compagnie, k des personnag'es ridicules: Tabbé
de Dangeau _y remplaça l'abbé Cottin, si ridicu*
lise par Boileau que le récipiendaire, forcé par
l'usage de louer son prédécesseur, n'osa faire lui'-
primer son discours. Tous les mercredis, le mar-
quis, et l'abbé de Dangeau réunissoient chez eux
une société choisie de gens de lettres et de savans,
dont faisoient partie le cardinal de Polignac*, l'ab-
bé de Longuerue,t Tabbé Dubos,J le marquis de
des sciences. l\ étoit extrêmement savant, ainsi que son fils, et
pour lui procurer la place honorable d^académicien, il ne voulut pas
en-être^.màis après la mort de son fils il lui fut impossible de se
refuser au vœu unanime de TAcadémie.
* Le cardinal de Polignac, auteur de VAnti- Lucrèce.
' ^ L^abbé Longuerue fut un prodige dMntellijgence et de mémoire
dès l*&ge de quatre ans. A quatorze ans, il savoit presque toutes
les langues. Il s*appliqua à Tbistoire et surtout à la chronologie.
Ayant employé le temps avant Pâg^ où communément on eh peut tirer
parti, et n^en ayant jamais perdu, il sut doubler utilement sa vie, et
son savoir devint prodigieux. II a laissé quelques ouvrages, entre
autres une Description historique de la France,
]; L^abbé Dubos fut un littérateur célèbre. M. le régent, qui
ne pensoit pas que les gens d^esprit qui écrivent bien ne sont bons
qu'à faire des livres, remploya très-utUement dans plusieurs négo-
ciations. L'abbé Dubos montra dans cette carrière des talens dis-
tinguès; il rendit de grands services < Il mourut à Paris en 1749,
secrétaire perpétuel de l'Académie française. Il a laissé plusieurs
ouvrages estimés; le plus célèbre est celai qui a pour titre:
RéfiexUmt critiques sur la Poésie et sur la Peinture. — {Notes de
i^Auteur,) ,
184 MÉMOIBBS
l'Hôpital*, l'abbé de Saint-Kerre,t l'abbé Rag>ie-
<
^ Le marqais de L'Hôpital, Tan des plus grands mathématicieiis
de son temps, servit quelque temps en qualité de capitaine de cava-
lerie. La foiblesse de sa vue le força de quitter le service, et alors
il se livra, tout entier à Tétude et aux sciences. Il fut reçu à TA-
eadémie des sciences en 1693. Son livre intitulé, de VAntUyêe de*
infiniment petiist in 4<*., publié en |696, lui fit une grande réputa-
tion' parmi les savans, et dans la société il eut celle d^une probité
parfait et d'un homme aimable. Il épousa Charlotte de La Chesne-
' laye, qui partagea non<i«enlement ses goûts, mais ses études. II
développa en elle le génie des mathématiques, et elle Taida dans ses
travaux en ce genre. Le marquis de L'Hôpital mourut en 1704, à
Page de quarante>trois ans.-— (2V(0#(j de VAnteurO
t L'abbé de Saint-Pierre obtint, sous le règne de Louis XIV, par
le crédit de ses protecteurs, des bénéfices, la place de premier
aumônier de Madame, et la riche abbaye de Sainte-Trinité de Tiron.
Le cardinal de Polignac, l'un de ses plus utiles protecteurs, contribua
surtout à lui faire accorder ces grâces, et à le faire receveur à l'A-
cadémie française, quoique l'abbé de Saint-Pierre n'eût aucun titre
pour y être admis. Après la mort de Louis Xiy, il fit un écrit
rempli. <le flatteries pour le prince rég^t, et en même temps très-
injurieux à la mémoire de Louis XIV, son bienfaiteur et celui de
l'Académie française. Cette action le fit exclure à l'unanimité de
cette compagnie, à l'exception du seul Fontenelle, qui refusa son
consentement à cette exclusion. Fontenelle attachoit peu de pnx
aux inconséquences, de quelque genre qu'elles fussent. On sait
que, dans les dernières années du règne de Louis-le-Grand, il publia
plusieurs discours de la piété la plus édifiante, et qu'après la mort
de ce prince il fit VHiâtaire des Oracles .'. . . .L'abbé de Saint-Pierre
a été loué avec exagération par les philosophes du i dix-huitième
siècle; 1^ raison en est connue: il a dans ses écrits déclamé contre
le célibat des prêtres, contre Louis XIV, contre le gouvernement, et
dit beaucoup de choses indirectement, et quelquefois directement
D£ MADAME I>£ GKNLIS. 185
net*, Mairant, Tabbé de Choisi: ce dernier, cé-
coutre la religion. 11 fut on mauvais prêtre (en jouissant des biens
de rEglise), un mauvais écrivain et un faiseur de prc^ets cbûnértques.
On dit qu'il mootroit peu d^espritdans ia société, ainsi il n'en mon-
troit d'aucune manière, car on n'en trouve poii^t dans ses écrits.
Les philosophes modernes conviennent qu'il n'avoit pas des mœuriA
pures, mais ils assurent qu'il étoil fort charitable j enfin on le loue
beaucoup d'avoir pris pour devise ces mots : donner et pardonner.
II est néanmoins bien ridicule de se vanter ainsi dena charité : mais
il est vrai que ce n'étoit pas la charité évangfélique, c'étoit de la
bienfaisance ; on prétend qu'il a inventé ce mot, qui est plus harmo-
nieux, plus élégant; les gens du monde le. préfèrent, les pauvres
aiment mieux l'autre. >-(2Vbfe de r^tt/etcr.)
* L'abbé Ragnenet s'appliqua à l'étude des belles-lettres et de
l'histoire. Son discours sur le mérite et la dignité du martyre
emporta le prix de l'éloquence à l'Académie française, en 1689.
Cent ans après, le plus beau discours sur le même sujet n'eût été
qu'une cause d'exclusion à tous les honneurs littéraires. L'abbé
Raguenet a laissé plusieurs ouvrages estimés, entre autres la
Description des Monumene de Romey qui lui valut des lettres de
citoyen romain, titre qu'il a porté jusqu'à sa mortj^Note de V Au-
teur.)
f Jean-Jacques Mairan naquit à Béziers en i678, et mourut à
Paris, en 1771, à quatre-vingt-treize ans; il eut une conformité
singulière avec Foùtenelle ; il parcourut, comme lui, une longue
carrière et avec les mêmes talens, du moins pour fes sciences, les
mêmes places. Il fut savant et littérateur, et membre de l'Acadé-
mie des Sciences et de l'Académie française. Comme Fontenelle, il
a fait des éloges académiques qui sont estimés ; comme lui, il eut
un caractère paisible, plein de douceur et d'aménité, et fut géné-
ralement aimé dans les académies où il fut admis et dans Ja société;
enfin il succéda à Fontenelle, en I74I, dans la place de secrétaire
perpétuel de l'Académie française. Il a laissé plusieurs bons ouvra-
ges de physique et des éloges des académiciens de l'Académie des
186 BfJÎMOlRBS
lèbre par son esprit, ses aventures, ses écrits (sur-
tout le Journal du Voyage de Siam^ et ses Mé^
maires), fut ramené à la religion par Tabbé de
Dangeau, et s'y consacra depuis avec autant de^ sin-
cérité que de zèle*.
M. Ameilhonf, naturellement très-humoriste et
Sciences, morts en 1741, 1742 et 1743. On cite de lui un mot
diarmant, parce qu*il D*a pu venir que du cœur. Il disoit qu^im
honnête homme est celui à qui le récit d^une bonne actionrafraickif
le sang.'^Note de VAuteur.J
* Vàbhé de Choisi eiit une première jeunesse très-licencieuse ; il
étoit d*une jolie fig^ure, et il est ?rai quMl vécut en province pendant
dix.hnit mois sous des habits de femme, folie qui forme le sujet de
son roman de la Comieêee des Barres, qn*il fit à cette époque. M.
de Voltaire a dit que pendant ce temps il écrivoit son Histoire ecclé-
siastique, ce qui est faux et absurde. L*abbé de Choisi donna le
premier volume de cet ouvrage (corrigé par Bossuet) en 1703; il
avoit alors près de soixante ans ; mais un mensonge grossier ne
coûtoit rien à M. de Voltaire, lorsqu'il pou voit jeter du ridicule sur un
ouvrage religieux. Il est bien glorieux pour la religion qu*an
homme qui avoit tant d'esprit n*ait pu lui nuire qu^à force de cabales,
de brigues, de mensonges et de calomnies,'^ Note de VAuteur.J
f Né à Paris, en ) 7dO, M. Ameillion se fit connoitre de bonne heure
par son Histoire du Commerce et de la Navigation d^s Egyptiens,
sous le règne des Pt.Vmées. Cet ouvrage,pIein de recherches curieu-
ses, annonçoit un h ^i^ capable de se livrer aux investigations les
plus pénibles; à la m%/rtde Lebeau, il fut chargé de continuer V His-
toire du Bas-Empire, Les travaux de M. Ameilhon ont eu pour but
principal de rechercher quel étoit Tétat des arts chez les anciens,
et de prouver qu'aux époques les plus reculées de la civilisation^ les
beaux-arts mêmes n*étoient point de vains objets de luxe, mais que
les législateurs pn avoient fait une des parties essentielles des ins-
BB MADABÎB DS GBNLIS. 187
très-violent, fut outré de perdre ce manuscrit, l'un
des ornemens de la bibliothèque dont il étoit Tad-
ministrateur. L'aversion qu'il avoît déjà pour moi
en fut très-^augmentée. Voici les motifs de cette ini-
mitié : il avoit toujours eu le désir d'unir à la biblio-
thèque le bel appartement que j'occupois, de sorte
qu'il m'y vit entrer avec chagrin ; cet appartement
avoit sous les- fenêtres du salon un joli petit jardin ;
M. Ameilhon s'en empara, ce qui étoit d'autant
plus ridicule qu'il en avoit un plus grand à son loger
nient, le plus beau de l'Arsenal, t'our avoir la paix,
quand j'enti-ai à l'Arsenal, je ne me plaignis que dou-
cement de cette usurpation, et, voyant qu'il insis-
toit avec humeur, je cédai sans résistance. Nous
vécûmes assez bien ensemble : il venoit me voir de
temps en tempà; mais la perte des manuscrits de
Dangeau ralluma toutes ses fureurs; il vint me faire
des scènes inouïes. Je lui répondis avec calme, je
détaillai mes raisons; rien ne put l'adoucir; depuis
ce moment, il fut mon ennemi irréconciliable* Je
ne rapporterai point toutes les tracasseries sans nom-
^bre qu'il m'a faites, je n'en citerai qu'une très-petite
partie; il me refusa nettement de me prêter des livres
de la bibliothèque. Je récrivis à ce sujet -au ministre,
titutioDB politique». M. Ameilhon a consacré la plus gprande partie
de sa vie à la rédaction des journaux et au classement de plnsienra
bibKothéques. Il étoit membre de TAçadémie des belles-lettres de-
puis 1766. Il est mort en 1812.— (iVb/0 de V Editeur.)
188 MÉMOIEBS
qui lui donna l'ordre positif de mé prêter tous ceux
que je demanderois: il n'eut plus la ressource que de
me les faire attendre des semaines entières. Je souf-
frois toutes ces choses avec une patience qi^i ne
s'est jamais démentie. Je lui fis une petite malice
qui mit le comble à sa rage^ et dont cependant il
profita. Il avoit fort peu d'esprit et' écrivoit très-
mal; il faisoit imprimer la suite de V Histoire du Bas-
Empire; on imprimoit aussi pour moi dans ce temps
je ne sais quel ouvrage. On se trompa d'épreuve :
on m'apporta cefle de M. Âmeilbon^ je la lus et je
m'amusai à corriger d*^un bout à l'autre, non les
fautes d'impression, mais le mauvais langage de
l'auteur 3 je lui refis au moins une douzaine de phrases.
Je montrai ce travail à deux ou trois personnes qui
vinrent me voir, pendant que je faisois ces correc-
tions; on en rit beaucoup. Ce trait fut conté; "M.
Âmeilhon en fulmina, mais cependant il fit imprimer
l'épreuve telle que je la lui avois renvoyée.
Cependant M. Ameilhon fut nommé membre de
l'Institut. Un jour qu'il faisoit partie d'une dépu*
tation et qu'il alloit pour la première fois chez l'em-
pereur avec un désir ardent d'en être remarqué et
d'en obtenir quelques mots, en passant, il se mit
très en vue dans la salle d'audience 3 l'empereur, en
effet, apercevant une figure qu'il ne reconnoissoit
qu'imparfaitement, s'approcha de lui en disant.
" N'êtes- vous pas M* AncUlon. Oui, sire^.^,A-
]>E MADAME DB GBNLIS. 189
^^ meilhoné-— Ah! sanB doute, bibliothécaire de Sainte-
" Geneviève. — Oui, sire. ..de l'Arsenal.— Eh ! je le
" savois; vous êtes le continuateur de V Histoire de
*^ r Empire Ottoman. — Oui sire. . ..de V Histoire
" du Bas^Empire/* A ces mots, l'empereur s'im-
^' patientant lui-même de ses méprises, lux tour-
na brusquement le dos; et M. AmeUhon, ne sentant
que Fhonneur et la Joie d'avoir arrêté quelques mi-
nutes près de pii l'empereur, se pencha vers son voi-
sin en lui disant, avec emphase: ^' JJ empereur ^ est
étonnant, il sait tout!'* Ce trait me fut conté le
jour même par un de mes amis, M. Destournel,
qui étoit présent.
Dès les premiers jours de mon entrée à l'Arsenal,
je renouvelai la demande que j'avois faite jadis en
Allemagne, de prendre avec moi mon petit-fils; H
avoit quatorze ans^ il étoit charmant de figure, d'es-
prit et de caractère. J'aurois pu le garder deux ans:
oïl me le refusa; ce qui me fit une peine que j'avois
déjà éprouvée autrefois à Brevet, lorsque j'avois de-
mandé avec instance qu'on me l'envoyât à Ham-
bourg, où j'aurois été le chercher. Il avoit alors dix
ans ; il pouvoit sortir de France et rester dans les
pays étrangers trois ou quatre ans sans encourir les
peines imposées par les lois révolutionnaires. On
me refusa dans -mon exil, et 'à mon retour, cette
satisfaction qui auroit été si utile à son éducation.
J'avois aussi demandé à Hambourg, à mon frère.
. 190 ifiMoiRiîs
de me donner ma nièce Georgette, âgée alors de six
ans, et j'essayai le même refus.
Je retrouvai en France quelques apiis et beau-
coup d'ingrats ; madame la . comtesse d'Harville,
très en faveur à la nouvelle cour, dont son mari oc-
cupoit Tune des plus belks places, mé prouva que
l'absence et les vicissitudes de la fortune ne sau-
roient altérer la véritable amitiéf je retrouvai aussi M.
de Cabre et le bon M onsigny; ce dernier me dit qu'il
seroit heureux fi'il avoit deux mille francs de plus.
J'écrivis le soir même à l'empereur pour les lui de-
mander, et le lendemain Monsigny reçut le brevet
d'une pension ^ de deux mille fraiics. M. de Cabre,
qui faisoit de charmans vers de société, en avoit fait
beaucoup jadis pour moi, et pour ce que' je ne trou-
vasse aucun changement en lui, il en fit encore.
Voici ces derniers pour une de mes fêtes.
Jadis je n\)sois yous chaoter.
Mon adorable Félicie,
J^auroift ea trop à yout conter.
Et ma Iyr;e eût paru hardie'.
Pour vous peindre mes sentiment,
Quelle assez pure allégorie ! . '
Puisque la langue des amans
De votre cœur étoit bannie.
■
«
Aiyourd^bui je me sens plut fier.
Mon amour n^est plus à la gêne ;
Mieux que les messieurs du bel air.
Il te yante de saHrentaine.
DE MADAME DE GBNLIS. 191
Frifoles Tainqueure de TÎng^t ans,
DoDt Tardenr chaque jour t'épuiee !
Vous TOUS croyez les vrais amans. ...
Amour rit de yotre méprise.
Ses secrets, ses dons les plus dtfux.
Il les réserve pour notre âge ^
Quand ses feux follets sont pour tous.
Son teu pur est notre partagée
Par eux de Timprudent Titon
II accélère là vieillesse ;
Mais il nôeunit Philéroon
Avec sa flamme enchanteresse.
Vous n'obtiendrez pas la faveur
De cette jeunesse dernière.
Vous qu*nn banal et faux bonheur
Rend prodigues de la première.
Ces transports, ces plaisirs si fous.
Comme vous tout sot les réclame ;
On n'est jeune, heureux comme nous,
Qu'avec l'esprit, le cœur et l'&me.
Que de raison dans ses discours !
Dans sa personne que de grâce !
On vondroit l'entendre toiyonrs.
Et sans cesse suivre ses traces ;
Dès qu'on la voit, on veut l'aimer.
On veut penser comme elle pense :
Oài, pour plaire, instruire, charmer,
Le ciel lui donna la naissance.
Ah ! si pour louer son esprit
Ma voix eût été plus sonore.
Déjà combien j'en aurois dit !
Et combien j'en dirois encore !
/
192 MKMOIRBS
Vanter son talent^ seftéorits^
M'est pas un droit que Je taî*wnage i
Mais tous ecmx qui lisent Genlis .
Mieux que moi feront soB éloge*:
Pour la scène bien des auteurs
Ont su puiser dans ses ouTrages^
Et par elle ses emprunteurs
Du public ont eu les suffi^ges;
Plusieurs sVn souTÎennent tout bas.
Plusieurs en perdent la mémoire ;
Quelques-uns ne s'en vantent pas ^
Mais quelques-autres en font gloire.
Voici d'autres^ couplets faits par M. Radèt :
. Ce jour oà tout doit s'empresser
A vous rendre un sincère hommage,
D&VilIemonble, sans balancer.
Nous entreprenons le voyage 3 /
• A vous fêter, en arrivaiït,
Chacun de nous gfaiment s'apprête ;
Et voilà qu'<en vous retrouvant,
De chacun de nous c'est la fête.
1
Ils nous ont laissé pour toujours
• Une aimable réminiscence,
•• Ces instans si doux et si courts
Qu*embellissoit votre présence. ' .
En y songeant avec plaisir.
On les sent, on les apprécie 3
Eh ! qui pourroit ne pas chérir
Leê souvenir» de Félicie / ^
Nous y trouvons un e^rit fin.
Un style que chacun admire, >
Un tact hçureux, un goût divin
Qui nous enchante et nous attiré -
DB MADAMB BS 6BNLIS. 193
De Yoas yoîr apt4>n le bonheuTy
Vous captivez tous les suffrages ;
Ou sent quMl faut aimer Fauteur ^
Autant qu^on aime ses ouvra^çes.
Ayant ce roman si touchant.
Dont rhéroïne a tout pour plaire,
On disoit d'elle, eu la citant :
La tendre et froide La Vallière.
Vous la peignez, un feu subit
Dans son âme naît et s*allnme :
Elle 8*arme de votre esprit.
Et s'embellit sous votre plume.
La Vallière fut pour Louis
Une amante triste et plaintive ;
Mais, sous le pinceau de Genlis,
Elle séduit, charme et captive.
Ah ! si des couleurs du portrait
On eût vu briller le modèle.
Fixé par ce puissant attrait,
' Louis seroit resté fidèle.
Nous savons tous que vos écrits
Trop souvent excitent Tenvie :
Mais des bons cœurs, des bons esprits
Genlis sera toiyours chérie ;
Ses livres^ comme ses discours.
Tout en elle plaît, intéresse :
Ne pouvant l'entendre toujours.
On voudroit la lire sans cesse.
M. Radet a mis au théâtre du Vaudeville une
grande quantité de mes nouvelles 3 il travailloit en
TOMB V. 9
194 MéMomfts
société avec MM. Desfdiftahiés et Barré. Je de-
mandai à Tempereur une pension de quatre mille
francs pour M. Radet ; quand l'empereur voulut la
lui donner^ on lui représenta que M. Radet travail-
loit avec deux autres gehs de lettre» j alors Tem-
pereur répondit : *' JEh bien f cela fera douze mille
^francs.'* Deux ans après^ je demandai pour mon
frère la place de bibliothécaire à TArsenal, vacante
^ar la mort de M. Saugrhi ; cette plaee ^toit inmié-
diatement après celle d'admlilistrateur, et' valoit mille
écus. L'empereur donna sur-le-champ à mon frère
une pension de raille écus^ sans aucune obligation de
travail, et il accorda la piade de bibliothécaire à M.
deTréneuil.
Je passois tous les étés à la campagne ; j'allai plu-
sieurs fois diner à VillemonUe, où M. Radet possé-
doit une jolie maisony dans laquelle U aâssembloit très-
bonne conipagnie choisie parmi des personnes aussi
spirituelles qu'aimables. Je vis là, avec un grand
plaisir, madame Kénens, MM. Barré, Desfontaine et
Moreau, etc» Ce dernier a, dans l'esprit, une grâce
particulière qui n'a jamais'de&deur parce qu'il y
joint une gaieté douce qui contraste agréablement
avec une physionomie sérieuse et quelquefois mélan-
colique ; il partageoit, à cette époque^ les succès, au
théâtre du Vaudeville, de MM. Radet, Barré et Des-
fontaines« Ilfâisoit ded couplets charmatts'qi/il éhan-
toit avecun agrémtot^intoi/ '
DE MADAME DE GENLIS. 19S
A propos de gens de lettres distingués par leur es^
prit et leurs talens, je veux me vanter d'une prédiction
que' je fis alors dans le Mercure^ qui a été depuis par<»
fidtement vérifiée. Un très-jeune littérateur ( M.
Charles Nodier) fit paroitte dans ce temps un roman^
intitulé les Prôscrits/yen rendis compte dans/^ilfer-
curé ; et je terminois cet article^ en disant qu'on
'trouvoit dans cet ouvrage plusieurs pages qui £û<-
soient plus d'honneur à l'auteur que certains livres
qui ont cependant de la réputation; et j'ajoutois,
qu'avec de ' l'étude, M. Nodier obtiendroit certaine-
ment un rang très-élevé dans la littérature. En ef-
fet, il y avoit dans ce premier essai tout ce qui pçut
répondre de l'avenir, c'est-à-dire, de l'âme, le talent
d'observer et de peindre, de l'imagination, enfin, tout
ce qui forme le génie. J'étois loin de prévoir qu'a-
vec une physionomie si douce, un air si timide, il
auroit le courage, quelques années après, d'atta-
quer la puissance formidable de Napoléon, et de bra-
ver toutes les rigueurs d'une longue captivité.
Mes ouvragés,' qui m'ont procmré de vrais amis
dans les pays étrangers, m'en ont aussi valu en Fran-
ce, que je conserverai jusqu'à la mort : mesdames de
Choiseyl ( alors de Baufremont), de Lascours et de
Brady. J'avois vu madame de Choiseul, dans son en-
fance à Belle-Châsse ; ce fiit un renouvellement de
connoissance, qui devint la pluâ tendre amitié. Ma-
dame de Lascours demanda à me voir dès les prâ-
9*
196 MÉMOIRES
miers jours de mon arrivée ; elle étoit fort jeane,
charmante à tous égards, et elle annonçoit dès lors>
par la maturité de sa raison et de son esprit^ cette
perfection de sentimens et de conduite que depuis on
a constamment admirée en elle. Madame de Brady,
très-jeune aussi et d'une éclatante beauté^ m'écrivit,
pendant un an, des lettres anonymes, en me donnant,
pour lui répondre, une adresse et un nom de fan-
taisie. Ses lettres annonçoient tant d'esprit, qu'elles
mi'intéressèrent vivement. Je l'engageois, dans mes
réponses, à cultiver cet esprit qui est devenu si su-
périeur, et auquel la vertu la plus pure et la plus ir-
réprochable a donné toute l'étendue qu'il pouvoit
avoir. Une autre personne très-intéressante aussi
m'écrivit, pendant dix-huit mois, des lettres ano-
nymes-très aimables, sous le nom A^Jeanneton ; c'é-
toit madame là duchesse de Chevreuse, née Narbon-
ne, et belle-fille de madame la duchesse de Luynes,
qui s'amusa à faire un petit roman de notre liaison.
Notre premier entretien fut à travers une cloison, et
à notre première entrevue elle vint à l'Arsenal dé-
guisée en jardinière : elle remplit mon appartement
de fleurs; je fis semblant de la prendre pour une
paysanne ; ce qui la charma. Elle, croyoit être par-
faitement déguisée, parce qu'elle avoit un habit de
paysanne et qu'elle disoit f allions et je venions.
• Ses petites mains blanches, la noblesse de son main-
tien, la douceur de sa voix et de son accent^ for-
DJS MADAME DK GENLIS. 197
moient un* plaisant contraste avec la rusticité de sou
habillement et de son langage ; elle me représentoit
une jolie actrice destinée à l'emploi des princesses et
jouant par hasard, et par conséquent sans illusion,
uu rôle de villageoise. Lorsque depuis elle a été
exilée, j'ai écrit sans cesse à l'empereur en sa faveur,
mais toujours inutilement ; il y avoit bien de la pe-
titesse dans une telle rancune d'un souverain contre
une jeune personne si intéressante à tous égards, et
dont tout le crime étoit d'avoir montré, avec cou-
rage, une juste indignation sur les affaires d'Espagne^
Le jeune Anatole Moutesquiou vouloit aussi faire
connoissance avec moi ; il Tauroit pu fort naturel-
lement, puisqu'il y avoit des liens de parenté entre
sa famille et celle de M. de Genlis ; mais il avoit à
peine 17 £^ns, il aima mieux faire notre liaison d'une
manière romanesque : il alla chez Mâradan le prier
de l'envoyer chez moi comme un garçon d'imprimerie,
chargé de m'apporter des épreuves. M aradan le re-
fusa } alors il eut recours à madame Lascours, qui
tout simplement me donna à dîner avec lui. Je
trouvai en lui tant d'esprit, de grâce et des sentimens
Si nobles, que je m'y attachai véritablement. Notre
amitié a soutenu l'épreuve de deux ou trois révolu-
tions, et par conséquent elle est aussi solide qu'elle
est tendre. A l'époque de son mariage avec sa cou-
sine, qu'il aimoit depuis son enfance, il me demanda
de peindre, un arabesque dans son livre de souvenirs ;
198 MÉMOIRBS
cet arabesque représentoit sou nom, et celui, de la
charmante personne qu'il alloit épouser. Je plaçai
dan& cet arabesque deux flambeaux allumés,, dont la
flamme est réuliie, et au dessous de cet emblème j'é-
crivis ces vers :
Non, cette flamme vive et pnre
M*eBt point la fagitiye ardear
0e cet amoar léger, enfaiit de rimpostare.
Qui promet en vain le bonhear !
Pai voulu peindre ici Tamour sans inconstance.
Sans traits piquans, sans ailes, sans bandeau, ",
Né dans le sein de Paimable innocence.
Tendre et touchant, dès le berceau.
Ah ! cette pinture si belle.
Si digne d'un meilleur peinceau,
Devroit sans doute être immortelle !
Que j^ainie à la tracer dans ce doux souvenir :
Heureux qui peut toii^ours contempler soa modèle^
Mais plus heureux qui peut Toffrir !
, .J'ai &it. d'autres vers pour. lui ; et, dé son côté^ il
en. a fait beaucoup, pour moi. J'encourageai avec un
grand, plaisir son goût naissant pour la littérature
et pour les arts qu'il a si bien cultivés dq>uis. Il pritv
beaucoup d'amitié pour Casimir, qui y répondit avec
sa franchise ordinaire, et qui se trouva heureux de lui
offiir, comme le gage d'un véritable attachement,
deux manuscrits originaux, de moi, qui ont été im-
primés, mais qui étoient écrits tout entiers de ma
niain, et dont, selon ma coutume, je n'avois livré à
^'impression que des copies. Casimir attachant un
D£ MADAAfB O» GENLIS. 199
grand prix à ces origbiwxv m'avoit conjuré de les
M donner, ce que j^ai toujours fa^(. Depuis il a en--
core donné à mon petit-fik, Anatole de .LawQestine,
un de ces n^anuscritSi et ces dons ont été pour lui de
vrais sacrifices.
. Il m'arriva . dans» ce tenips une aventure qui me
toucha sensiblement.; une jeunei personne de dix-
huit ans, fiUe d*un ancien capitaine d,e caval^rifi^nom-
mée Hyacinthe de Beaulieu, m'écrivit des lettres
véritablement passionnées ^ et si naturelle^ que je lui
répondis exactement, d'autant ..mieux qu'elle me
disoit qu'elle.ae niourroit d'un mal de poitrine.déclaré
mortel. Ce commerce dura six mois, au bout des-
quels elle me manda que, pour me voir, avant de
mourir, elleprofitoit de l'occasion du départ deBeau-
vais, d'une de Bes sœurs mariée, qui.venoit. en^ poste
à Paris. . En effets je la vis arriver, un matin, à midi,
H l'ArsenaL Quoiqu'elle fbt .réellement inourante^
sa figure 4toit une des plus charmantes que j'aie ja-
mais vues; elle se jeta dans mes bras en, pleurant, ne
me dit que deux ou trois paroles, passa la journée
entière avec moi, ne prit pour toute nourriture qu'un-
bouillon, .restant toujours silencieuse, les. yeux axés
sur moi^ me tenant la main qu'elle serroit et qu'elle
baisoit à toute minute, et pleurant doucement de
temps en temps. . Sa sœur l'envoya chercher à huit
heures du isoir ; alors elle se mit ^genoux devant
moi» me, demanda ma bénédiction ; je la pris dans
20Ô MÉMOIRE»
mes bras, où je crus qu^elIe alloit expirer. Enfiit,
baignée de larmes, elle me quitta et me laissa dans
un saisissement inexprimable ; elle retourna à Beau*
vais, où elle mourut le lendemain de son arrivée.
Son père m'écrivit pour m'anuoncer cette triste nou-
velle ; elle Tavoit chargé, en mourant, de ' me faire
ses derniers adieux, et de me dire qu'elle avoit donné
à sa plus jeune sœur ce qu'elle avoit de plus précieux,
qui étoit une tresse de mes cheveux qu'elle tenoit
de moi. Je ne puis. exprimer combien je la regrettai ;
ce n'étoit pas une âme commune que celle qui
pouvoit se passionner ainsi d'une manière aussi
pure.
J'éprouvai un chagrin d'un autre genre : je fus ab-
solument obligée de me séparer d'Helmina. Cette
jeune personne joignoit au caractère le plus aimable
et le plus doux, à beaucoup d'esprit et de talent une si
-mauvaise tête, une conduite si extravagante, que nulle
indulgence ne pouvoit en supporter les inconvé-
niens. Peu de mois après, madame Récamier la prit
avec elle, et les mêmes raisons la forcèrent à la même
rupture. Stéphanie Alyon, ma filleule, que j'avois
depuis deux ans avec moi, me resta. Casimir, quoi-
qu'il fût encore enfant, lui donna un joli talent sur
la harpe ; je lui appris l'orthographe, l'anglais, les
élémens de l'histoire ; elle répondit parfaitement, de
toutes manières à mes soins : elle a depuis traduit
de l'anglais, avec beaucoup d'agrément, un volume
D£ MADAMJS P£ GBNLIS. 201
qui fait partie d'un ouvrage intitulé le Petit Natu-
raliste, Elle est restée avec moi jusqu'à son mariage ;
elle a épousé un militaire nommé M. Javary ; elle est
aujourd'hui une femme aussi vertueuse qu'aimable.
Quelque temps après ma brouilieriè avec Helmi-
na^ je reçus des lettres d'une dame de province, qui
me peignoit la situation la plus déplorable ; ses. let-
tres étoient spirituelles et bien écrites : elks m'intér
ressèrent vivement, car de telles lettres ont toujours
eu sur moi un ascendant singulier. Je me passion-
nai pour cette personne infortunée qui étoit à cin-
quante lieues j je payai son voyage : je la fis venir
pour vivre avec moi. Je l'attendois avec une impa-
tience inexprimable; je savcHS qu^elle avoit cin-
quante ans; mais comme dans mes lettres je .lui
avois demandé tous les détails ima^ables sur sia
:personne, elle m'en avoit même fait sur . sa figure
qu'elle m'avoit dépeinte noble, belle, intéressante.
Je me représentoi» une héroïne d'un ancien roman,
^yant conservé tout ce qui pou voit en rappeler, les
plus touchans souvenirs. Enfin elle arriva, et je
vis une grande femme sèche, blafarde, minaudière,
qui n'avoit ;|amais pu être jolie, et qui me fit une
scène sentimentale du' ridicule le plus comique.
Elle remplit si peu mon attente, .que j'imaginai d'a-
bord qu'elle n'étoit pas l'auteur des lettres qui m'a-
voient charmée ; mais je vis bientôt que, malgré tous
ses désagrément, ses prétentions en tout genre et
9**
202 MÉMOIRES
son mauvais goût, elle avait réellement beaucoup
d'esprit ; qu'elle ^avoit bien Torthographe, et qu'elle
avoit-même étudié la grammaire. Alors je relus ses
lettres que j'avois soigneusement conservées, et je
trouvai que la prévention et mon imagination les
avoient excessivement embellies ; cependant ellefi
^étoient spirituelles, mais bien inférieures au juge-
ment que j'en avois porté. Madame*** me devint
chaque jour plus insupportable par sa pédanterie, son
aifectatipn, son mauvais ton et l'inconcevable ridi-
cule de sa coquetterie. Un jour qu'elle entra chez
moi très-par^e, §lle se regarda dans la glace de ma
cheminée, et dit d'un air de satis&ctiott : ïTai en*^
core de la peau ! Ce qui signifioit qu'elle avoit en-
' core une belle peau, chose qui n'étoit nullement, car
son visage blafard étoit tout couvert de taches de
rousseurs. - *^ Mais mon Dieu, madame, . lui dis-je
brusqueinent,il n'y a rien d'étonnant à cela: le temps
enlaidit, mais n'écorche pas." Madame***, que
rien ne déconcertoit, sourit de ma âimplicité, et me
fit une longue dissertation pour me prouver que J'ai
de la peau ou J'ai du teint, eUe a de la peau, elle a
. du teint, sont des e^^pressions très-usitées. Cette
aimable compagne resta avec moi plus d'un an ; au
bout de ce temps, sa passion pour M. Alyon, l'homme
le plus laid que j'aie connu, et qui avoit aussi cin-
quante ans ; cette passion, dis-j^? q^i fut partagée,
éclata avec si peu ^ ménî^ement^ que je. fus forcée
DE MABAMJB DB 6SNLIS. 203
d'en témoigner ma surprise^ et de sunreiUer ces jeunes
amans, qui formoient à eux deux plus d'un siècle.
Bien ne put. les contenir, e% un beau jour M. Âlyon
enleva, sa . conquête, il Temmena, et, à ma grande
satisfaction, j'en fiis débarrassée.
Mes travaux littéraires ne m'empécfaoient pas de
donner des soins à l'éducation de Casimir; ilavoit^
une pétulance, une témérité naturelle décourage, qui
m'ont beaucoup fait smiifrir, et que ceux qui ne l'ai-
moient pas ont &it aisément passer pour de la mé*
chanceté ; imputation bien calomtiîeuse, car H a tou-
jours montré Fâme la plus généreuse et le toeur le
plus sensible ; mais il est vrai qu'il s'est promené plus
d'une fois sur les tbita de l'Arsenal, et, ce qui est
plusefirayant encore, sur les pierres d'assises en de-
hors du bâtiment, et qu'après avoir pris deux leçons
de l'art de nager, il. a. traversé tout seul la rivière*
Pour apprendre à montera cheval à quinze ans, il a
fait iine course de trente lieues pour aller,- et autant
pour revenir, à franc étrler. Toutes ces choses étaient
fort efirayantes, mais elles s'allioient avec des qualités
très-attachantes, un excellent cœur, une organisation
admirable pour tous les arts,* un esprit infini, un
grand fonds de piété, et les sentimens les plus no-
bles : on n'a jamais fait l'aumône a^ec plus «de plaisir,
et il lui est arrivé plus d'une fois, quand je ne lui
donnois pas d'argent pour la faire, de donner en se-
cret de ses vêtemens. La première petite so^lme un
204 MÉMOIRES
peu coiisidérable qu'il ait eue en son pouvoir fut cinq
cents francs (il avoit quatorze ans), et il l'employa
toute entière à me faire des présens, et sans en garder
une obole pour lui. Il eut de sou premier concert,
à Paris^ une somme très-considérable; il ne s*en ré-
serva rien ; il en acheta six fauteuils et un canapé,
^et des rideaux neufs pour un salon, et il fit du reste
un emploi tr^s-vertueux. ^ Le succès inouï de ce
concert fit désirer à M. Picard* qu'il se fît entendre
à Louvois huit jours après, Casimir y consentit et ne
youlqt y jouer que gratuitement. M. Picard eut
non-seulement la salle remplie, mais de plus tous
les corridors, et le succès de Casimir fut au moins
aussi éclatant. que la première fois. Dans ce temps,
M. Pieyre fit quatre vers suivie talent de Casimir, qui
.furent bien véritablement un impromptu, car il les
écrivit avec un crayon dans la salle même. Voici ce
charmant quatrain qui ih'étoit adressé :
Au jeuDe Orphée, à son luth enchanteur
Quand le public rend un si- juste hommage,
Vous ressemblez au Créateur
Qui «^applaudit de son ouvrage.
Ces concerts de Casimir écrasèrent toup les talens
des professeurs de harpe ; je n'ai jamais vu égaler, et
on ne surpstôsera jamais celui de Casimir ; il a achevé
de perfectionner la harpe et les sons harmoniques, et
* Auteur des comédies jouées au théâtre de TOdéon ayec tant de
succès.-YJVole de V Auteur J
DK MADAME DB GENJLIS. 205
il a trouvé d'ailleurs une autre espèce de sons incon-
nus jusqu^à lui : outre le son harmonique^ il en tire
deux autres différens sur la même corde et formant
raccord parfait ; d'ailleurs^ la méthode qu'il tient de
moi pour la manière de poser les mains et de faire
les gammes est tout-à-fait différente de celle des au-
tres harpistes, qui en ont une si défectueuse^ qu'il
est impossible qu'elle puisse atteindre la perfection;
Casîmir3 outre beaucoup d'inventions qu'il seroit trop
long de détailler ici, . a prouvé qu'on pouvoit jouer
parfaitement des deux petits doigts (je ne jouois
que de celui de la main droite) } il a monté la harpe
avec des cordes beaucoup plus grosses, dix fois plus
tendues, ce qui quadruple l'intensité du son ; il a
imaginé de se poser sur un siège infiniment plus
élevé, qui donne meilleure grâce et plus de faci-
lité pour jouer et qui empêche la taille de tourner.
N'ayant plus joué en public en France depuis ces deux
concerts (il n'avoit que dix-sept ans *alors), sa mé-
thode n'a pu se propager universellement. Les pro-
fesseurs ne pouvant jouer dans ce genre perpétuèrent
leur mauvaise école ; cependant deux élèves que Ca-
simir a faits par amitié (et dont l'une n'est point ar-
tiste)* concourent à prouver combien la nôtre est
préférable. Alfred le prouve aussi dans la Belgique,
et il n'a que dix-huit ans ;t îl complétera la preuve
* Mademoiselle de Marcieu.
t Ecrit en 1820.
206 MÉMOIRES
par la suite. Enfin ma^ niéthode gravée^ qui a eii
tant de succès et <}e 4ébit) a âeule fait des élèves^
sans maîtres^ préférabrks à tous ceux des profes-
seurs.
Un jour, étant à pied dans les rues avec Stéphanie
Alyon^ et Casimir âgé alors de quatorze ans, je m'a-
musai à regarder un petit étalage de boutique posé à
terre près du ruisseau ; tout à coup, je me sentis sai-
sie par derrière ejt enlevée i ç'étoit Casimir, qui me
porta, avec une force extraordinaire à «on âge, dans
la coui* d'une maison dont. la porte étoit ouverte 3 il
me sauva la vie, car j'aurois été écrasée par un che-
val échappé, qu'avec ma distraction ordinaire, je n'a-
vois pas entendu; Stéphanie s'étoit sauvée, Casimir
n'avoit pensé qu'à moi ; ce courage et cet excellent
cœur ne se sont jamais démentis. Il fit uncvautre
action qui mérite d'être .rapportée. Comme il ren-
troit à l'Arsenal à neuf heures du soir, la roue d'une
charrette chargée de pierres de taille se brisa;
l'homme, qui -condùisoit cette voiture, âuroit été
écrasé, si Casimii; ne se fût précipité vers lui, n'eût
retenu la charrette avec un genou et une m^n, et
de l'autre n'eût retiré l'homme, qui . étoit tombé à
genoux, et qui, en voulant soutenir la charrette avec
son épaule, avoit déjà eu la clavicule cassée ; Casi-^
mir, voyant qu'il étoît grièvement blessé, le prit
dans ses bras, lui demanda où il logeoit ; cet homme,
qui étoit un maçon, lui répondit que c'étoit dans la
DE MADAME DB GENLIS 207
seconde cour de TArsenal; c'étoit en été^ ilfaisoit
encore jour ; ceci se passa devant notre porte, en
face de la bibliothèque ; le portier et sa famille ac-
coururent, ainsi que |>]u8ieurs passans, qui voulu-
rent aider à transporter le blessé. Casimir ne le
souffirit pas, il le porta lui-même, suivi de la foule,
jusqu'à son logement à un quatrième étage ; là, il
envoya chercher un chirurgien, fit saigner le maçon,
lui fit remettre la clavicule, en sa présence, le tenant
dans ses bras, tout le temps de l'opération, pen-
dant laquelle il m'envoya demander de Veau de til-
leul et de fleur ^orange pour son malade, qui cer-
tainement en prit alors pour la première fois de sa
vie ; Casimir resta là jusqu'à minuit, il paya le chi-
rurgien, et n alla, -pendant sept ou huit jours, visi-
ter et soigner son malade. Trois semaines après,
comme nous étions à notre paroisse dans l'église de^
Saint^Paul à la grand'messe, nous vîmes trois hommes
avec des bouquets^ représentant le coi'ps des maçons
rendant le pain bénit; à la fin de -la cérémonie tout
le monde les vit, avec une grande surprise, s'appro-
cher de Casimir et lui ofïnr une superbe brioche tout
ornée de rubans; c'étoit un hommage qiie lui rendoit
le corps des maçons, en reconnoissance de ce qu'il
avoit fait pour leur camarade. Nous emportâmes,
en triomphe à l'Arsenal," sa belle brioche, et .jamais
préâent ne lui a fait plus de plaisir.
Nous faisions tout haut des lectures d'histoire et
206 MÉMOIRES
de pièces de théâtre tous les soirs ) et je conterai à ce
sujet un trait de Casimir,, qui, de toutes manières,
mérite bien d'être cité : un soir, je lui lisois l'his-
toire de CaunuSj un philosophe^ qui, condamné à
mort, avant d'aller au supplice, joua tranquillement
aux échecs avec son ami, et gagna la partie ; chose
remarquée par tous les historiens sans exception
comme la preuve d'une grande force d'âme ; cette'
remarque se^trouvoit dans le livre que je lisois ; quand
je l'eus faite, Casimir m'interrompit et me dit : " Il
" n'y a rien d'étonnant à cela, l'ami contre lequel
^^ jouoit le philosophe auroit été un monstre, s'il
** avoit pu conserver assez de sang-froid pour jouer
" passablement." J'ose dire que cette réflexion est
admirable ; celui qui le premier la faisoit, et de pre-
mier mouvement, n'avoit pas seize ans. Je veux
citer aussi une remarque d'un autre enfant (Alfred
Le Maire) dont je me chargeai et que j'élevai aussi
dans ce temps, et dont je reparlerai dans la suite de
ces Mémoires. JL«a remarque dont il est ici question -
est d'autant plus charmante^ qu'elle donne une in-
tention fnorale, touchante et très-naturelle, à 1 ^une
des plus jolies fables de la Fontaine, qui n'avoit que
le défaut d'en manquer. C'est la fable du Loup et
de Vjigneau ; quand je lis cette fable à des enfans,
je supprime toujours les deux premiers mauvais vers
qui la commencent.* Lorsqu'avec cette suppression,
• La raiflon du plus fort est toujours la meilleure^
Nous râlions montrer tout à Theure.
»
Ù^ MADAME D£ GfiNLIS. 209
je lus à Alfred pour la première fois cette fable, il
avoit huit ans ; il s'attendrit beaucoup sur le sort de
VagnédUy et ensuite il me dit : Fbilà ce que c'est que
de s'éloigner de sa mère I Certainement si La
Fontaine avoit eu cette idée, il l'auroit exprimée, et
sa fable seroit parfaite.
Ce fut aussi dans ce même temps que je donnai
la Tendresse maternelle ou V Education sensitive; je
fis dans cet ouvrage un tour de force, et qui, de Ta-
veu de tout le n^onde, me réussit. C'étoit d'entre-
prendre une nouvelle histoire d'une femme enfermée
dans un souterrain, et l'on convint unanimement que
l'histoire de Diana est infiniment plus intéressante
que celle de la duchesse de C***, qui avoit eu tant
de succès dans Adèle et Théodore. Il y a dans cet
ouvrage une idée très-neuve sur l'éducation, celle
d'attacher un souvenir religieux ou moral à toutes
les sensations qui, par la suite, pe\ivent devenir les
plus dangereuses j en y réfléchissant, on adoptera
un jour cette idée, qui sera, pour les femmes sur-
tout, de la plus grande utUité. Je donnai, peu de
temps après, le Siège de la Rochelle^* celui de tous
* C'est en suivant cette idée que j*ai fait long-temps après (année
1824), pour mon arrière-petite-fitle, Pulchérie de Celle, mon Caft~
tique des Fleurs, avec la seule intention d'abord d'en faire le préser-
vatif de toutes les fadeurs corruptrices t]ue Ton adresse aux jeunes
personnes en leur offrant des lit, des rotes, etc . ; et ensuite, pour
rendre ce morceau de poésie plus instructif, j'imaginai d'en faire un
cours de botanique, en ne présentant que les fleurs véritablement
210 MÉMOIRES
mes .romans qui a eu, et qui a encore le plus grand
débit. . Cependant je n'ai point fait d'ouvrage ^ui^t
été aussi maltraité par tous les journalistes, et nom-
mément par. M. de Feletz, qui dit dans son extrait
que . l'innocente .Clara est accusée d'un crime exécra-
ble, et reconnue pour un monstre par son amant
même> tmiquement parce qu'elle a été trouvée éva-
npuie sur la table où l'on a jeté le corps de l'enfant ;
tandis que dans le. roman j'aiacpumulé une juulti-
tude de fausses apparences et de. faits positifs qui ne
l^lssent aucune possibilité de douter qu'elle n'ait
commis ce .crime: et. c'est une chose dont tout le
monde est convenu universellement. M, de Feletz*
m'en vouloit, pi^çe que j'avois repoussé les éloges
qu'il, m'avoit ..donnés dans le Journal des. Débats^
sur une relation de mon voyage à Ferney, diezM.
de Voltaire, et qui se. trouve dans le premier volume
de Mes Souvenirs, parce qu'il. avoit fait de ces éloges
merveilleuses par leurs propriétés et leurs différens phénomènes ; en-
fin j*ai tâché démontrer dsyis. chaque couplet de ce cantique une mo>
r^lité.fr»ppapte,.et d'y. montrer toi:g.oiu:s en même temps une Provf*
dence touchante et sublime.-^/'jVbfe de VAvfeur.)
* Il est, a dit Pope, deux sommets différens sur PHélicon 3 Tun est
occupé par les écrÎFains qui s^efifbrceut d'attirer Tattention et de fixer
les sufiTrages du public par leurs ouvrages 3 sur Vautre sont, en ob-
servation continuelle, les rigides défenseurs du bon goût, exami-
nant, loupe en main et souvent d%in œil prévenu, les titres des aspi-
rans à la gloire. C*est de ce côté que M. de Feletz vint se placer en
1801. Les propriétaires du Journal de Y Empire rattachèrent alors
à la rédaction de leur feuille, et depuis il n'a pas cessé d'y fournir
DB MADAME DK GBNLIS. 211
une .comparaison et une critique très-amères du
même yopge fait par madame Suard, et je n'ai ja-
mais, aimé les louanges qu'on m'a données aux dé«
pens d'une. autre. Je ne connoissois point madame
Suard : son. mari avoit toujours été mon ennemi ;
mais je répondis à M. de.Feletz,* dans un journal,
d'une manière fort sèche pour lui^ et très-obligeante
pour madame Suard, qui, pour toute reconnoissance,
fit, un an aprëis. Madame de, Maint^mm peinte par
tUe-méwfiy .ouvrage fort mal écrit, dans lequel jelle a
pillé, toutes mes recherches et quelques-unes de mes
réflexions, sans jamais me citer, £nfin je. donnai
encore mon Bélisairej qui eut contre lui, comme je
m'y étois attendue, toute la coterie philosophique.
M.* de yilleterque,t dans \q. Journal de Paris, en
des articles. Les critiqoes de M. de Feletz sont toi^ours fines et ingé-
nieuses, mais elles se font plus souvent remarquer par leur malice
que'par leur impartialité.
M. de Feletz est aussi connu par les articles qu*il a fait insérer
dans, le Mercure; par une Notice êur ia Vie de rarchevègue de
Cambrai; par des Réflexions sur Télémaquef et par desiVb^ef sur
le poëme de rimaginationé — {Note de F Editeur, J
* Dans une dernière édition, récemment publiée, de cet ouvrage,
j^ai rapporté ce fait, en ajoutant tout ce que je pense sur le talent
distingué et le caractère estimable de M. de Feletz.— ^/Vb#e de VAu-
teur.J ^
t M. de Villeterque a publié les Veittées philosophiques, la Fata-
lité écrite; le Mari Jaloux, rivai de lui-même; Lucinde, ou les
Conseils dangereux, comédies. On lui doit la traduction de Tanglais
en français, AeiA Lettres Athéniennes -, un Elog^ de Dussaulx, tra
212 MÉMOIRES
fit la plus étrange critique, et qui, contre son inten-
tion, se trouva être le plus grand éloge : il dit que le
début si dramatique et si religieux de cet ouvrage se^
roit de la plus grande beauté, si Bélisaire étoit chré-
tierty mais que, ne Tétant pas, ce début n'est qu'une
extravagance; M. de Villeterque croyoit que Bélisaire
étoit païen! J'eus la modération de ne faïre aucune
espèce de réclamation. Il venoit de se marier à une
jeune personne, qui ne Tavoit épousé que pour ses
talens littéraires : on me dit que, si je relevois cette
bévue, je le mettrois au désespoir, et je sacrifiai à la
bonté Tàmour-propre d'auteur. Au reste, les litté-
rateurs de bonne foi s'accordent à dire que mon Bé-
lisaire est ceTtainement l'un de mes meilleurs ou-
vrages. Plusieurs gens de lettres en ont pillé beau-
coup de choses.
Le Bélisaire de M. Marmontel est certainement
l'ouvrage le plus médiocre qu'il ait fait ; les meil-
leurs raisonne^iens politiques de son Bélisaire se
trouvent beaucoup mieux exprimés dans Téléniaque,
et la partie dramatique de ce livre est aussi invrai-
semblable qu'insipide et mauvaise. D'abord M.Mar-
montel annonce qu'il veut n^ontrer un grand homme
aux prises avec l'adversité, et au bout de quelques
pages, il n'y a plus d'adversité. Bélisaire, à force d'être
doucereux, est impassible ; et, comme je l'ai dit, cette
ductenr de Juvénal ; et nn grand nombre d*articles littéraires Insé*
rés dans le Journal de Paris, — (Note de V Editeur,)
JOE MADAME DE GENLIS. 213
espèce de poëme n'est qu'une froide imitation de
Téléniaque^ et dépourvue de toute espèce d'imagi-
nation, Bélisaire est Mentor^ Justinien Idoniénée,
Tibère Télémaque^ Eudoxe Antiope. Daix^ le poème
de Fénélon, il est tout simple que Mentor instruise
Idoménée qui veut fonder . une ville ; mais il est
ridicule que Bélisaire, un vieux militaire, se trouve
tout à. coup un pédagogue, et ne parle que de politi-
que à un vieux roi, avec lequel il a vécu trente ans
dans une grande intimité, et auquel il a dû dire toutes
ces choses; d'ailleurs il est tout-à-fait incroyable
que dans tous ces entretiens, si longs et si inultipliés,
Bélisaire ne reconnoisse pas le son .de voix de Justi-
nien \ enfin le ton de Bélisaire est celui d'un bour-
geois de la rue Saint- Denis : il appelle toujours Jus-
tinien mon voisin. L'auteur a voulu lui donner l'air
de la bonhomie, il l'a rendu plat et ignoble. Le
personnage de Gélimer est sans aucune couleur, ainsi
que tous les caractères tracés dans ce livre, dont le
style n'a ni pureté, ni clarté, ni noblesse : en voici
quelques phrases : " L'âme qui est esclave de la
'* cupidité est sans cesse exposée au plus offrant.—-
" Quelte force peut balancer le goût des plaisirs,
*^ l'attrait des jouissances, le désir de posséder
*^ l'équivalent de tous les biens ?. .—L'homme privé
^^ s'anéantit pour céder au roi son âme toute entière,
^^ — Le monarque s'ennuie à table, dès que l'homme
ce
214 MÊMOIRBS
^^ est rassasié. — Que l'habitude fasse à l'homme uû
*^ premier besoin de sa propre estime*; qu'il accou-
^^ tume âOn âme à s'éclancer hors d'elle-mém^ pour
" recueillir les suffrages de ravenir.-— Le liixe est
^^ dans un état, comme dés malhonnêtes gens qui
^S ont fait de grandes alliances ; on les ménage par
égard pour elles^mais on finit par les enfermer.f *^
Voici un galimatias inexplicable :
^^ Les besoins rendent l'homme , opulent avare J,
et son avarice est un mélange de toutes les passions
qu'on ^i^tisfait avec de l'or ; mais si les plus arden-
" tes de ces passions, l'orgueil, l'ambition, l'amour
^' même, car il suit la gloire, ne tiennent plus aux
" objets de luxe, voyez combien il perd de son attrait,
" et l'avarice de sa force!— La vérité que doit
*' rechercher un prince est la connoissance des rap-
" ports qui intéressent l'humanité; pour un souve-
" rain le vrai c'est le juste et l'utile § : c'est dans la
• Au lieu de Vhahitude un chrétien diroit la religion^ et un ancien
philosophe àuroit dit dh moins la vertu,
f H est imposable de conceToir quHin homme d*esprit écrive dé
telles choses.
X l\ fàlloit dire les JaniaiHet, car Topulence donne plus qu^l ne
faut pour satisfaire les besoins.
§ Pour un êOuveraiUf ainsi que pour tout autre homîne, le vrai
*
est tont ce qui est vrai — (Notée de F Auteur,)
(C
DE MADAMB jy£ GENLTS. 215
^' société^, le cercle des besoins, la chaîne des devoirs,
l'accord des intérêts, Técshange dès secours, et le
partage le plus équitable du bien public entre ceux
ce
ee
** qui Topèrent/'
Voilà de véritables énigmes, et Toii peut voir, dans
ces échantillons, à quelle école se sont formés cer-
tains auteurs modernes si dogmatiques, si trahçhans
et si obscurs. Cet ouvrage n*eut du succès que parce
qu'il entroit dans le plan de la conjuration encyclo-
pédique contre la religioti et les rois : aussi fut-il
prôné, exalté comme un chef-d'œuvre par tous les
philosophes, qui montrèrent surtout le plus vif
enthousiasme pour le chapitre le plus irréligieux de
cet ouvrage; aussi M. de Voltaire écrivit-il à Mar-
montel que, sans ce chapitre, ce siècle serait dans la
boue. C'étoit apprécier bien modestement ses pro-
pres ouvrais, et montrer tin grand mépris pour ceux
des philosophes ; mais M. Marmontel crut à la sin-
cérité de cette louange : les philosophes s'en moqué-
rent entre , eux et ne s'en fâchèrent point. C'est
dans ce livre qu^il est dit, en parlant des rois, que :
^^ c'est un mal qu'il y ait des hommes qui puissent
^^ imposer à la société tous les frais de leur èxiaf-
" tence.'^
SA, la société ne vouloit faire les frais de F existence
d^ aucun homme, il n'y auroit ni juges, ni militaires,
ni chefs, et-'ni par conséquent de sociétés
216 Ml^MOIRES
" Un souverain doit se dire : Je m'engage à ne
*^ vivre que pour mon peuple."
Quoi ! ne lui permettra-t-on pas de vivre un peu
pour sa famille !
*^ L'autorité est fondée sur la volonté et sûr la
" force de tout un peuple. Je n'ai plus rien en
" propre, dîsoit un Antonin ; mon palais n'est pas
^^ à moi, disoit un Marc iVurèle; et leurs pareils ont
" pensé comme eux."
Non, certainement; car ces empereurs et les
autres nommoient leurs successeurs ou leurs col-
lègues, et l'on ne dispose pas ainsi d'une chose qui
ne nous appartient pas; il est absurde et ridicule de
donner comme fait positif un mot obligeant, une
simple manière de parler. Certainement, quand
Marc Aurèle disoit que son palais n'étoit pas à lui,
il auroit trouvé fort étrange que le peuple fût venu
prendre les logemens vacans; le public avoit la jouis-
sance des magnifiques jardins des empereurs, et
c'est une faveur que tous les souverains.de l'Europe
accordent à leurs sujets et aux étrangers ; je ne sais
pas si les empereurs païens donnoient des logemens
dans leurs palais, et si Virgile et Horace y demeu-
rèrent;^ mais nous avons vu beaucoup de gens de
lettres et d'artistes logés au Louvre. Mais toits ces
phrases de Marmontel étoient applaudies comme des
vérités lumineuses et toutes nouvelles ; cependant il
DB MABABUS DE GBNLIS. 217
lie ilaisoit que répéter les déclamations du protestant
Jurieu^ si victorieusement réfuté par Bossuet* Bâi-
saire dit :
^* Dans le souverain^ les besoins de Thomme isolé
** se réduisent à peu de chose* ; il peut jouir à peu
^* de Trais de tous les vrais biens de la vief ; le cercle
"^^ lui ^n est prescrit,' et au delà ce n'est que vanité,
^' fantaisies, illusionsj-. S'il se frappe de l'idée de
** propriété, il deviendra avare de ce qu'il appellera
^* son bien ; il croira s'enrichir aux dépens de ses
^* peuples, et gagner ce qu'il leur ravira."
Ainsi on est voleur et oppresseur (et surtout les
rois) dès qu'on a une propriété. Toutes ces erreurs
avoient été proscrites par le clergé de France, en
i682j elles furent renouvelées, avant Bélismre dans
f Emile de Rousseau, et condamnées le 9 juin 1762,
comme tendant à donner un caractère faux et odieux
à l'autorité souveraine, et à détruire le principe de
l'obéissance qui lui est due en affoiblissant le respect
et l'amour des peujdes pour leur roi. UEncyclopé^
die a consacré ces erreurs dans les articles Gouverne-
ment, Autorité^ tout cela se tient bien. Un roman
est une espèce de poëme ; dans l'uh et l'autre les
* Poarqaoi auroh-il moins de besoins que les autres hommes ?
t Et nous aussi.
X L^autaur auroit bien dÀ nous expliquer quel est ce cercle quMl
preacriU'-^Notes de VAuteur.)
TOME V, .10
.21.8 MEMOIRES
tègles sont à peu près les mêmes } l'une des pre-*
mières est de ne jamais faire sortir les personnages
dé leur caractère^ de se conformer aux temps^ aux
mœurs^ aux lieux; rien de tout cela n'est observé
dans le Bélisaire de M. Marmontel; son Bélisaire
parle constamment comme un bourgeois de Paris ou
comme un encyclopédiste^ et alors il répète tout ce
que Voltaire a dit dans son poème de la Loi naturelle,
et tout ce que Rousseau a écrit, dans ses divers
ouvrages, sur le gouvernement, les finances, la no-'
blesse, la cour, la vertu, et il étoit d'autant plus ri-
dicule de faire de Bélisaire un esprit fort^ que ce
grand homme eût une extrême piété, et que,7)our
«ignaler son respect pour la religion, après la con-
quête, d'Afrique, il fit porter en triomphe parmi ses
autres trophées les livres des saints évangiles, qu'il
fit enrichir d'or et orner de diamans.
' On me pardonnera cette digression, puisqu'elle
tient à la morale, à la religion, et à la littérature*
J'ai donné aussi, vers ce temps, ^Iphonse^ou le
Fïls Naturel, ouvrage où je crois ïivoir développé
tout ce qu'on peut dire de plus raisonnable et de
plus moral sur les bâtards ; il me semble d'ailleurs
que les situations de ce roman sont tout-à-fait ori-
ginales, et que j'y ai bien peint le ton de la province
et les mœurs des colonies.
Comme je l'ai déjà dit, M. de Cabre, très-occupé
de mes intérêts, m'avoit fait faire connoissance avec
D£ MADAME D£ GENLIS. 219
madame la maréchale Bernadotte, et sa sœur la
princesse Joseph, deux personnes pour lesquelles
je conserverai toujours le plus tendre attachement. La
princesse Joseph devint reine de Naples; elle avoît
pris beaucoup d^amitië pour moi, et M. de Cabre^
à mon insu, n'eut pas de peine à lui persuader de me
choisir pour gouvernante de ses. enfans ; ce qui me s
fut proposé avec toutes les conditions les plus avan-
tageuses çt les plus brillantes. J'ai toujours eu l'aver-
sion la plus naturelle pour tout ce qui manque de
convenances, et je sentis que la personne qui avoit
élevé trois princes et une princesse ^e la, maison de
Bourbon, ne devoit pas élever des enfans de la famille
inipériale de Bonaparte ; d'ailleurs je recevois une
penlsion de l'empereur, il étoit mon bienfaiteur, et le
premier et^le seul que j'aie eu parmi les souverains.
Je savois qu'il n'aimoit pas que les personnes qui
avoient quelques talens quittassent la France, et je
ne Revois rien faire sans le consulter. Je répondis
à la reine de Naples (après lui avoir exprimé ma
reconnoissance) qu'il ne me suffiroit pas que l'em-*
pereur ne refusât point son consentement, parce qu'il
pourroît ne le donner que par complaisance pour la
reine ;' qu'il falloit qu'il me fit dire que cette nomina^
tion lui seroit agréable, et que j'allois lui écrire en
conséquence ; ce que je fis en eflfet. L'empereur ne
me fit rien dire et je n'allai point à Naples. Voilà
exactement comment la chose s'est passée.
10*
220 MÉMOIRES
Je dois ajouter jqiie la reine de NapleSy d^ elle-même,
et sans qu'assurément j'en eusse l'idée^ voulut me
faire une pension de ^ mille écus; elle étoit reine, et
reconnue de toute l'Europe : je dus accepter ; mais
ne voulant pas que cette pension me fût donnée
gratuitement, j'imaginai de faire un travail entière-
ment pour elle ^ ce fut un cours par écrit d'histoire
et de littérature ; ce qui a fprmé un ouvrage manus-
crit pour elle et pour ses enfans, qui luuest resté,
et dont je n'ai gardé aucune copie; je lui ai donné
en outre les originaux de tous mes arabesques my-
thologiques, que j'avois peints avec le plus grand
soin, et fait relier dans un beau livre. A propos de
cet ouvrage, j'ai oublié d'en parler; je le regarde
pourtant comme un des plus utiles pour l'éducation.
Je crois que je donnai alors ma Maison Rustique^
l'un des ouvrages les plus utiles que j'aie fait pour
les jeunes personnes, et qui m'a coûté,, pendant \m
an, les recherches les plus fatigantes. Ce fîit aussi à
cette époque que ma tante, madame de Montesson,
tomba dans un état qui bientôt ne laissa plus d espoir
pour sa vie. J'étois depuis long-temps parfaitement
réconciliée avec elle. Depuis mon retour, elle ne
m'avoit pas rendu le plus léger service ; mais je ne
lui demaildois rien, je n'en attendois rien. Elle me
caressoit beaucoup; j'allois la voir à peu près tous
les , quinze jours, et nous étions fort bien ensemble.
Aussitôt que je vis que sa vie étoit en danger, j'allai
DS MADAME OS GENLIS. 221
assidûment chzz elle la soigner, lui tenir compagnie, .
depuis onze heures du matin jusqu'à neuf heures du
soir, que je retournois à TArsenal. Comme elle
aimoit à m'entendre lire tout haut, je lui faisois des
lectures quatre ou cinq heures par jour ; elle souf-
froit peu, ^t conserva sa tête presque jusqu'aux der*
niers momens. Je ne la quittai point dans son
agonie : j'envoyai chercher un prêtre pour dire les
prières des agonisans ; eUe avoit reçu tous les sacre*
mens qu'elle avoit elle-même demandés; je priai
pour elle derrière son rideau, tout bas et sans qu'elle
me vit, pendant tout le temps que dura son -agonie*
Lorsqu'elle eut rendu le dernier soupir, je fis allumer
deux cierges auprès de son lit, j'établis ^ans sa cham-
bre uh prêtre pour dire les prières des morts, et
aussitôt après, je retournai à l'Arsenal. Jusqu'à oe
qu'on eût vu un testament de madame de Montesson,
mon frère et moi nous étions ses seuls héritiers ; mon
frère étoit à Bordeaux, ainsi j'avois seule le droit de
donner des ordres dans la maison jusqu'au lever des
scellés ; mais avec mon insouciance ordinaire, au6si«
tôt qu^elle eut les yeux fermés, je sortis de la maison,
et je n'y retournai point; j'appris quelques jours
après la mort de ma tante que, par so^ testament
(qui ne me fut point communiqué), eUe instituoit
M. de Valence son légataire universel, qu'elle me
laissoit mn^^ mille francs, mais dont M. de Valence
ne seroit tenu qu'à me payer la rente de mille francs ;
10»*
222 MiMOIRES
enfin^ elle avoit ajouté à cette étrange claose^ que je
ne pôurrois pas poursuivre en justice si on ne me
payoit pas exactement ; elle faisoit le même legs à
mon frère et aux mêmes conditions. Ck)mme mon
frère étoit fort mal à son aise dans ce temps-là, je
lui donnai ma rente, dont je l'ai laissé jouir pendant
huit ans. Madame de Montesson laissa à mon petit-
£l8, Amable de Lawoestine, et son arrière-petit^ne veu^
une somme de quatre mille francs une fois payée;
c'étoit le legs qu'on auroit pu faire à un laquais ; elle
ne lui avoit jamais rien donné de son vivant. Cer-
tainement par sa conduite militaire, ses brUlans suc-
cès dans le monde, son aimable caractère^ là bonté de
son cœur et l'élévation de ses sentimens,il auroit dit
obtenir l'affection d'une personne qui pou voit juste-
ment s'enorgueillir d'avoir un tel neveu. Du reste
ce testament ne contenoit aucun legs d'amitié. En-*
fin il ne laissoit aucun. sort à madame Robadet, sa
dame de compagnie^ qui lui avoit consacré tous les
beaux jours de sa jeunesse, -des talens charmans, qui
avoit passé un grand nombre d'années avec elle^ en
lui prodiguant les plus tendres soins.
Je me trouvois fort heureuscà l'Arsenal avec Casi-
mir, et un aimable enfant nommé Alfred Lenlaire
(dont j'ai déjà parlé), orphelin, sans aucun appui,
que Casimir, vivement touché de son sort, m'avoit
conseillé de prendre avec nous ; Casimir avoit alors
quatorze ans, et Fenfant n'en- avoit pas tout-à-fait
DE MADAMB Dfi 6BNLIS. -223
ciiiq : il annonçoit le meilleur naturel, de Tesprit, et
d'heureuses dispositions de plus d'un genre ; il n'a
point trompé mes espérances ; j'en parlerai dans la
suite avec détail.*
Casimir fit un voyage en Angleterre, où il eut, de
toutes les manières, les plus éclatans succès. Il avoit
dix*sept ans, et ayant- dès lôrs un grand éloignement
pour l'état d'artiste, il n'y voulut point être en cette
qualité; mais son admirable talent, son amabilité
personnelle, et sa conduite, qui fut parfaite, le firent
rechercher avec un empressement universel par les
princes et princesses, et tout ce qu'il y avoit de plus
distingué en Angleteire. Il ne reçut d'argent de
personne, m£ds on lui fit de magnifiques présens ; il
en garda une petite partie, qu'il ,me donna à son
retour. Alors il ache^ des meubles pour meubler
son logement ; il m'en donna plusieurs qui me man-
quoient. Il acheta un cabriolet et un cheval, le reste
de l'argent passa dans le niéuage ; il n'en dépensa rien
d'ailleurs en superfiuités pour lui. En revenant en
France,. U trouva à Douvres Paméla logeant dans la
même auberge ; Casimir étoit avec le prince d'Esthé-
raz^, qui le ramenoit en France sur un paquebot à
lui. Le soir de son arrivée à Douvres, Paméla fit
prier Casimir de passer chez elle ; il y alla et la trouva
en larmes : elle luldit qu'elle étoit poursuivie par des
créanciers qui l'arrêteroîent, la forceroient de retour-
ner à Londres, où elle retrouveroit d'autres créan*
224 MEMOIRSS
cîers et d^orribles embarras ; mais qu'elle poarroit
être quitte de ces craintes mortelles et de ce malheur
pressant^ s'ilpayoit sur-le- champ pour elle cinquante
louis^ argent de France, et s*il la faisoit passer fur-
tivement dans la nuit^ s^r le paquebot dé" M. d'Ës-
thérazy. Casimir donna les cinquante louis aux cré-
anciers; il obtint^ non sans peine, la permission
, qu'eUe désiroit, et il la conduisit lui-même, au milieu
de la nuit, sur le paquebot, où il la fit cacher à fond
de cale, puisqu'elle redoutoit mortellement l'arrivée
de nouveaux créanciers;
Casimir vint à franc*étrier^ de Calais à Paris^
m'annoncer l'arrivée de Psunéla, à laquelle j'avois
. écrit pour la conjurer de ne point revenir à Paris, et>
au lieu de cela, de retourner à Hambourg avec M.
Pitcairn, son mari, lui représentant qu'elle avoit
« ui^e fille qui étoit avec lui et qui réclamoit ses soins.
Malgré toutes mes exhortations, elle arrivoit; des
raisons d'intérêt fort plausibles l'y décidèrent. Casi-
mir me demanda en grâce de la prendre à l'Arsenal^
de lui donner son logement, disant qu'il se contente-
roit de coucher dans le salon sur un lit de sangle. Je
lui offiri^ toutes ces choses, c^est-à-dire, de la loger^
elle^ sa fille^ l'intéressante^ jeune Paméla, fille de
lord Edward Fitz-Gérald, et une demoiselle de çom-
pagnie, et de la nourrir. Je ne mis qu'une condi-
tion à ces propositions, qui fut qu'elle né recevroit que
les personnes de ma connoissance. Elle refusa tou-
DB MADAIUB DB GBNLIS. 225
tes ces offices: alors je fis tous mes efforts pour l'en-
gager à prendre un petit logement près de moi à la
Place Royale^ lui représentant que ces logemens
étoient jolis et à très-bon marché; qu'elle pourroit
venir à pied tous les jours dîner chez moi, et que de
cette manière elle feroit très-peu de dépense; elle re-
fusa de même.
M. Ameilhon ât tant par ses intrigues, et moi par .
mon indolence dans les affiiires qui me sont person-
nelles je fis si peu, que le ministre m^écrivit que mon
appartement étoit nécessaire à la bibliothèque, et
qu'il me proposoit en échange le logement qui étoit
au-dessus, moins beau, mais ayant plus de pièces,
et auquel étoit attaché un petit jardin; le ministre
sgoutoit que cependant j'étois la maltresse de rester
dans mon appartement, mais qûje nicm amour pour
les lettre* me feroit accepter sa proposition. Je l'ac-
ceptai en effet pour éviter toutes les discussions, et
pour avoir le bonheur de posséder un petit jardin . Il
fut convenu que je déménagerois quand je le voudrois, ^
aucun temps ne me fut fixé.
M. de La Borie, que je connoissois depuis long-
temps, me fit demander un entretien particulier^ il
vint et il me dit qu'il étoit chargé par M. Michaud
et quelques autres gens de lettres, quifaisoient l'en-
treprise d'un nouveau dictionnaire historique intitulé
Biographie universelle^ iJe me proposer^ aux condi-
tions que je voudrois, d'y travailler et d'y faire les
10**
226 MÉMOIRES
articles des femmes célèbreSé Je répondis que y y
consentirois^ pourvu que ce dictionnaire ne ftlt pas
fût dans mi esprit irréligieux ; il répliqua que le seul
nom de JVf . Michaud devoit m'en donner l'assuran-
ce. En effets cet écrivaih a toujours respecté la re-
ligion. Je dis encore que je ne m'engagerois à rien
sans avoir la liste de ceux qui travailleroient à cet
ouvrage, parce que^ je ne voulois pas mettre mon
nom à côté d'un nom que je mépriserois; j'ajoutai
que mon mépris pour les gens de lettre, ne tomboit
que sur ceux qui cherchoient à détruire la religion^
parce que c'étoit vouloir anéantir lamorale ; que je ne
regardois point comme impies ceux qui^ par légèreté,
laissoieut échapper de leur plume quelques phrases
peu réfléchies que l'on pouvoit mal interpréter, mais
que je ne conséntirois jamais à avoir pour collègues
des hommes se d^larant ouvertement, sous ce rap-
port, disciples de Voltaire et de Diderot; et que d'ail-
leurs je travaillerons s^s répiignance avec mes enne-
mis persoiuiels, pourvu qu'ils n'eussent tien écrit
contre la religion. M. «de La Borie m'envoya cette
liste : j'y vis les noms de MM» Suard et Auger*,
* La puisBance de créer n*a point été donnée à M. Auger ; tous ses
titres au fauteuil académique, qu^il occupe depuis l'ordonnance eu
vertu de laquelle Tinstifut a été recomposé, consistent eu Notices sur
les auteurs, et en notes sur les ouvrages anciens dont il a suTTeillé
les nouvelles éditions Deux Éloges, Tun de Boileau, Tautre de
Corneille, proposés par TAçadémie, lui ont valu un prix et un accès-
siti lï a donné un grand nombre d'articles de critique littéraire dans
DE MABAMB DE 6ENLIS.' /227
tous deux mes ennemis, et passant pour être philoso*»
phes. Le premier avoit écrit jadis d'une manière peu
religieuse, mais avec ménagement ; il étoit vieux, ses
ouvrées étpient oubliés, il n 'avoit plus l'intérêt de
flatter un parti puissant 5 j'ims^inai qu'il étoit devenu
plus sage, et je ne vis pas d'inconvénient à l'avoir
pour collègue, ainsi que M. Auger, qui n'avoit écrit
que quelques petits articles de journaux, dans les-
quels on ne trouvoit rien de positivement répréhensi-
foie. J'eus la même tolérance pour quelques autres
personnes qui se trou voient sur'cette-liste, mais il me
fut impossible d'étendre cette indulgence jusqu'à M*
la Décade philosophique, dans le Journal Oénéraly dans /^
Spectateur et dans le Journal de VEmpire, Cest sans doute
A cette vocation pour la critique que .M. Auger dut l'honneur
de faire partie de la commission decensure, en 1820.— -fiVb<6 deVJE-
' diteur,)
* Ginguené, né â Rennes, en 1748, débuta dans la carrière des
lettres par une jolie pièce de vers intitulée : La ConfetiUm de Zulmé,
Il ne se nomma pas d^abord, et plusieurs poètes du temps selaissè-
rent attribuer cette pièce, ce qui, par la suite, leur fit peu d'honneur.
Il ûit arrêté en 17^3 et enfermé à Saint-Lazare, avec André Chénier et
Roucber, qui tous deux périrent sur Téchafaud; le 9 thermidor sauva
Gingpuené; Bientôt après il fit partie du comité d'instruction publi-
que, et ensuite fut nommé membre de l'Institut. Ambassadeur à
Turin en I79S, et député au tribunaten 1799, il en fut éliminé en
1802, et la politique, qui l'avoit enlevé aux lettres, te leur rendit ~
flbns retour. ' Vhiêtoire littéraire de Vltaîie est le plus impprtiuit
des ouvrages de Ginguené. Un Eloge de Louis XII; une Notice eur
lee ouvragée de Piccini, des Lettres sur les Confessions de J,rJ^
BousseaUf et des Fables, sont les autres titres littéraires de cet au.
teur. Ginguené mourut au mois dénovembhe 1816. IT a fait, dans
228' MÉMOIKBS
Ginguené* qui, dans des ouvrages pitoyables, avoit
ouvertement montré le plus violent écharnement contre
la religion ; il avoit fait en outre un cours public de
littérature italienne, et ce cours fait sans aucune es-
pèce de talent, avoit scandalisé tout le monde par son
irréligion*.
£n montrant de tels principes, M. Ginguené,
ainsi que M. Salgues,** et quelques autres, se
la Biographie wniverseUe les artiples des auteurs italiens j et lesar-
ticles sur la musique, dans V Encyclopédie méthodique. 11 avoit tra-
yaillé avec Chamfort à la Feuille ViïlctgeoUey et composé, pendant
la révolution, quelques brochures politiques.*-(iVo^e de V Editeur.}
* Ce coursa été imprimé ^ comme Tauteur n^étoit ni réritablement
instruit, ni laborieux, il se fit aider, dans ce misérable travail, en
payant à bas prix des jeanés gens qui lui. foumissdent des extraits
tout faits. Il reeueilloit tous ces matériaux, en le^ arrangeant tant
bien que mal, par ordre chronologique, et très-souvent sans se don-
ner la peine d^examiner si, pour les faits, ils s^accordoient entre eux.
Je ne citerai qu'un exemple de cette ridicule négligence, et il suffira
pour donner une idée du livre et de Tauteur. En parlant da fameux
Pié de la Mlrandole, M. Ginguené dit que ce savant précoce, sen-
tant sa fin s^approchér, fit supplier Latureut de Médicis de venir le
voir ; que le prince se rendit chez lui, le trouva mourant, le prit dans
ses bras et reçut son dernier sotipir. Une vingtaine de pages apfès^
M. Ginguené dit que Laurent de Médicis, sur son lit de mort, fit
appeler Pie de la Mirandole et mourut dans ses bras. Certainement
voijâ un miracle aussi étonnant que tous ceux de la religion, que nie
M. Ginguené. Cette inconcevable bévue a été relevée dans le Jour-
I
nal des ArtSy auquel j*en envoyai la note avec le livre ; elle est si cu-
rieuse que tout le monde Ta vérlûée. ^-{Note de V Auteur. J
f M. Salgues quitta, au commencement delà révolution, les fonc-
tions de professeur d^éloquence au collège de Sens, pour prendre,
. dans la même viUe, celle de procureur de la commune. Il fut dé.
DE MADAME DE GENLIS. 229
^ 'i
croyoient de bonne foi les héritiers de l'esprit de Vol-
taire. Très-décidée à ne point travailler avec M,
Ginguené, je revis M. de La Borie pour le lui décla^
rer ; je lui dis que je ne demanddis l'exclusion dé
personne, et que je le priois de répondre simplement
à ceux qui l'avoient chargé de me parler, que mes oc-
cupations ne me permettoient pas d'entreprendre un
semblable travail. Au lieu de cette réponse douce
et prudente, M. de La Borie conta le fait, et, d'a-
près cette explication^ il m'écrivit un billet que je
possède, et qui sera mis à la fin de cet ouvrage
comme pièce justificative. Ce billet me disoit que
Tentreprise de biographie gagneroit tout à la déci-
sion qu'on venoit de prendre, qui étoit d'acquérir le
plus beau talent, et d*en exclure un homme indigne
d'y travailler^
Il faut remarquer que je n'avois rien de personnel
contre M. Ginguené ; il n'avoit pas, à cette époque,
nonce pendant le règ^ne de la terrear, mais cette dénonciation uVnt
pour lui aucune suite ftchense. Ilpublia, en 1797) un«7oiinui2 de9
SpedaeleSy qui n*ent point de snccèsy et depuis il a concouru à la ré.
daction d^ua grand nombr* de feuillea politiques et de journaux lit-
téraires. M. Saignes est auteur d*un ouvrage en trois yolumes in-So.
intitulé: Deg Erreurs et dee Préjugés répandus dans la Société, et
d'un autre quyrage en un yolume, sur les Mœurs, la Littérature
et la Philosophie, 1\ a en outre publié des Mémoires pour servir
à r Histoire de France peiuUmt le goutiememeHi de Napoléon Bo-
naparte; et une traduction nouvelle du Paradis perdu. Dans ses
critiqués il dédaigne les ménagemens et les précautions qu*exi^
Pamoar-propre des auteursf et que commande la politesse des sakms,
passée dans la littérature.— (2Vb<« de V Editeur.)
â30 MÉMOIRES
écrit un seul mot contre moi. Je n'ai jamais haï mes
enûemis^ mais j'ai toujours souverainement méprisé
ceux de la religion. D'après ce billet de M. de La
"Soiiey je pris donc l'engagement qu'on désiroit. On
souscrivit de très-bonne grâce à toutes mes condi-
tions^ ou me donna de l'argent d'avance, je crois,
mille ou douze cents francs, et je me mis à travailler
aux articles qu'on m'avoit indiqués, promettant d'en
fournir quelques-uns sous deux mois. Au bout de
six semaines, M. de La Borie m'écrivit qu'on n'avoit
januds pu se débarrasser de M. Ginguené, et qu'on
espéroit que je voudrois bien prendre mon parti là-
dessus. Je ne le pris point du tout ; je répondis
qu'un' marché est nul quand ori manque a la princi-
pale condition qui le fonde ; je déclarai que je ne tra-
vaillerois point à la Biographie universelle, ouvrage
tout'à-fait neuj^ ; je rendis l'argent,: dont je reçus
la quittance en bonnes formes, et je gagnai à toute
cette aventure une trentaipe d'ennemis de plus; qui
me sont restés.
Ne voulant pas perdre les articles que j'avois faits,
et ceux que j'avois préparés, j'en formai un volume
sur les femmes, que j'intitulai V Influence des femmes
m
sur la littérature française^ ouvrage qui nous n^an
quoit) et que je crois avoir fait avec une parfaite im-
partialité. Les collaborateurs de la biographie, ou-
trés déjà de ma retraite^ devinrent furieux lorsqu'ils.
*C*eBt le titre singulier que les nuteurs lui donnent.— (2Vo<e de
V Auteur.)
DB MADAME DS GKXLIS. 231
virent paroltre cet ouvrage,' car ils savoient bien,
dans leur conscience, que les article.^ de leur dic-
tionnaire sur les femmes ne vaudroient pas les miens ;
ils osèrent dire et imprimer que les articles de nion
ouvrage leur apps^rtenoien^, et que j'avois manqué à
mes cngagemens, . en frustrant le dictionnaire*
On peut bien dédaigner une fausse accusation qui ne
porte (][ue sur un point de littérature ; mais il est im*
possible de ne pas répondre à celles qui attaquent
l'honneur et la probité. Je pouvois me justifier à
rinstant, nôn-seulement en rendant publique la let-
tre de M. de La Borie dont j'ai déjà parlé, mais encore
deux autres qu'il m'écrivit depuis la rupture du
marché, dans lesquelles il dit formellement que j'ai
eu toutes raisons sur tous les points de cette affaire,
et que tous mes procédés ont été irréprochables.
Je conservai de même ces lettres. Cependant,
par un sentiment de délicatesse et d'honnêteté, je
me trouvoisfort embarrassée-; outre que je répugnois
beaucoup à compromettre M. de La Borie, et à lui
faire des ennemis irréconciliables, je ne pouvois
choisir pour un tel éclat un moment plus fâcheux
pour lui :' il étoit disgracié par le chef du gouverne-
ment, et même exilé de Paris. Je pris le parti de
faire imprimer, dans une brochure, un démenti for-
mel de l'imputation calomnieuse, en ajoutant que^ si
l'on disoit un seul mot de plus sur cette affaire, en
réponse, à mon démenti, malgré toutes mes répi^-
232
MÉMOIRES
gnances de délicatesse et.de bonté, comme tout doit
céder à l'honnear, je publierois sur-le-champ trois
lettres signées^ qui prou veroient, à ne laisser aucun
doute, l'honnêteté, la droiture de mes procédés, et
l'indignité de la calomnie dont j'étois l'objet;
qu'ainsi je conseillois le silence absolu, parce que,
d'après cet écrit, je consentirois à le prendre pour
une rétractation: on m'obéit, on ne répondit pas
une seule ligne, pas un seul mot ; il n'en fut plus
question. Je critiquai, dans trois brochures que
je donnai successivement, et qui eurent le plus gn^nd
succès, les trois premiers volumes de la JBiogra-
phie; ils étoient en eflFet très^critiquableSy pour quatre
ou cinq auteurs (M. Ginguené à la tête et le pire de^
tous), sous le double rapport de la religion et de la
-littérature ; j'ai relevé entre autres de telles inepties
de M. . Ginguené, qu'il n'essaya même pas de les
justi&er ; mais sa haine contre moi devint implaca-
ble ; il l'exhala dans une quantité de petits libelles,
tous plus sots les uns que les autres ; il me donna
pour ennemis tous les petits folliculaires ^t petits
discoureurs littéraires^ qui sont plus redo^utables par
leurs clameurs et leurs intrigues que les vrais littéra-
teurs, qui n'ont de l'inimitié qa' en grand, qui n'ont,
pas le temps de la mettre en détail, et qui, avec de
l'esprit et des lumières, sont capables de reconnoltre
des torts et de les réparer; j'eus néanmoins dans
cette dispute un triomphe qui me toucha beaucoup;
DB MADABtJB DB GBNLI8. 233
Tarticle Biron (duc de Lauzun) étoit très-injuste et
très-injurieux à la mémoire de cet infortuné ; il con-
tenoit aussi de véritables calomnies sur le dernierduc
d^Orléaus. Je ne crois pas que l'auteur^ qui étoit
un homme estimable, eût fait cet article par mé-
chanceté ; mais il étoit mal informé, l'article étoit
rempli de faussetés. Je fis une brochure pour le ré-
futer 5 elle produisit tant d'effet, que l'on mit. un
carton au volume. Un autre auteur refit l'article
exactement comme j^avois indiqué qu'on de voit le
faire, et on m'en envoya l'épreuve. Ce succès d'une
critique dictée par la vérité, par le souvenir d'i^ne
ancienne amitié, me parut aussi glorieux qu'il étoit
satisfaisant. Je suis si incapable d'animosité, que
n'ayant nulle envie de perpétuer le souvenir de ces
querdks, je n'ai jamais voulu que l'on recueillit mes
brochures pour les réunir à mes œuvres.
Cette modération eut d'autant, plus de mérite pour
moi, que ces brochures m'avoient procuré, outre l'ap-
probation universelle, le suffrage particulier d'un lit-
térateur rempli de goût,, de lumières et de talent, et
qui étoit en même temps un de mes plus chers amis.
Voici la lettre que je reçus, à ce sujet, de M. Pieyre.
*^ Je trouvai hier au soir, madame, votre brochure
en rentrant Le temps qu'il fait m'empêche d'aller
vous dire mon extrême plaisir. Je ne me couchai pas
sans l'avoir lue. C'est écrit de verve, c'est entraî-
nant. Saine logique, tout bien lié avec une si grande
234
MEMOIRES
force de preuves, une si grande évidence de la mau-
vaise foi des détracteurs ! Ah ! oui, toute réflexion
faite, ils aimeroient sûrement mieux l'avoir pris sur
on autre ton. Que. le vôtre partout est noble et
digne de vous ! qu'il est ferme et net dans, les deux
pages sur la Biographie ! et quelle délicatesse de
procédés, lorsqu'assurément vous êtes provoquée de
manière à pouvoir tout dire ! mais combien cette ré*
ticence vous fait plus d'honneur.! quelle honte elle
jette en même temps sur eux ! Ils vont enfin se taire,
la peur les y forcera. Le noble motif! vous les écra-
sez, et il y a de quoi ne plus oser lever les yeux ;
mais le masque de la lettre initiale les couvre. Ah 1
ils ont cherché la guerre l leur malveillance les a
aveuglés au point de vous donner^ tant d'avantages!
votre constante modération les a enhardis: Us ont
cru pouvoir vous déchirer impunément. Ils verront
que toute chose à son terme, et qu'on sait faire usage
de ses armes, quand on le veut, quand on y est for-
cé. C'est un service que vous rendez à tout ce qui
est honnête* ^ Le trait du ridicule entre vos mains a
un effet assuré. Comme les rieurs vont être pour
vous! Ces Diomèdes ne seront plus que l'Ajax qui
tue des moutons. Il ialloit en vérité qu'ils fiisseot
, en démence comme lui. Tout est parfait dans votre
réponse : solidité de raisonnemens, et franche gaieté
de sarcasme ; il y a là pour tous les esprits : aussi
entendrez-vous sûrement dire que le succès en est
DK MADAME D£ GENLIS. 235
grand.* Les plus indiiFérens ne peuvent que s'atta-
cher à la défense d'une si bonne cause, à celle d^une
personne si injustement^ si violemment provoquée :
jugez donc l'intérêt que peut y mettre celui qui vous
est si tendrement dévoué. Il me tarde de jouir de
l'effet général. Je ne vois pas une ligne qui puisse
l'affoiblir; et votre juste mdignation ne vous a fait
sortir nulle part deia parfaite mesure. Voilà comme
le talent écrit, quand il est fort de sa cause. Toute
mauvaise conscience se trahit :' c'est dans sou ftmç
qu'on trouve son esprit. Vous annoncez une bro-
chure sous presse sur les deux volumes qui ont pa»
ru, et continuation, à mesure des autres. Voila pour
plaira à tout Xe monde, ,et pour effrayer ceux qui ont
tiré l'épée. Leur société va leur en vouloir de cette
agression, qui vous met les armes à la main. Vos
articles jetteront la division dans le camp : il y a trop
de bannières différentes pour qu'ils puissent marcher
long-temps unis, et votre trompette va vous rallier
les plus braves. Au revoir, madame, le premier
jour où le temps le permettra ; recevez la vive ex-
* Malgré ce succès, qui fut si universel quMl fit dire à M. Suard,
fort critiqué dans ces brochures, que je n'avoi* de talent supérieur
que pour la critique, je poussai la modération jusqu'à ne vouloir pas
laisser réimprimer ces brochures qui n?ont jamais été réunies à mes
œuvres. Dans le dernier de ces petits écrits je menaçois les détrac-
teurs, sUls né gardoient pas un profond silence, de publier les lettres
qui prouvoient la vérité parfaite de tout ce que j'avois avancé. Oa
m'obéit, et la guerre fut ainsi terminée.— ^iVbfe de V Auteur,)
336 MÉMOIRES
pression de mon tendre^ respectueux et inaltérable
attachement.'*
Je vais terminer cet article par le récit d'une pe-
tite aventure littéraire d'un genre fort singulier : on
avoitmis à la tête de làlibrairie^ comme ministre^ un
philosophe passionné^ M« de Pomereuil ; il proté-
geoit beaucoup la Biographie, et/ très-indigné de
mes critiques, il s'avisa de me faire rayer à la cen-
sure vingt et une pages de mes brochures : comme
dans cette suppression, il ne s'agissoit que de litté-
rature, qu'il n'y avoit pas une seule personnalité (je
ne m'en suis permis d'aucun genre), ce procédé me
parut bizarre^ j'en demandai l'explication; on me
répondit qu'on avoit agi d'après les ordres du mi-
nistre : alors je lui écrivis pour lui demander une au-
* A Pépoque de la révolution, M. de Poipereuil étoit capitaine au
corps royal d^artillerie. Etant passé à Naple^ en 1790, pour donner
anx/ établissemens et aux troupes d^artillerie de ce royaume une
meilienre direction, il fut porté en France sur la liste des émigrés,
et sous ce prétexte tonte sa famille fut arrêtée. Après la chute de
Robespierre il rentra dans Tarmée française et s*éley£ au grade de
général de division. Il quitta ensuite les ai'mes pour Tadministfa.
tion, fut d^afoor^ préfet à Tours, ensuite à Lille, et enfin appelé à la
direction générale de la* librairie. Il exerça ses fonctions de censeur
avec une sévérité extrême, et souvent injuste. Compris dans l*or.
donnance du 84 Juillet, 1815, et rappelé, par celle du 18 Novembre
1819} le général Pomereuil ne rentra en France que pour y monrir^
L*exil avoit accru ses infirmités et il étoit déjà dans sa soixante-qua-
torzième année. Le nombre de ses ouvrages historiques, philoso-
phiques et scientifiques est considérable.-^ JVbfe de VEdiiewrJ. ,
DE MADAME D£ GBNLIS. 237
dience^il me l'accorda, et j'y allai. Il s'agissoit d'un
article sur tTAssoUcy* ce mauvais littérateur accusé
d'un crime contre nature, et qui, à peu près con-
vaincu de ce crime, eut beaucoup de peine à échap-
per à la rigueur de la loi, quicondamnoit alors ces
espèces de coupables à la peine du feu. L'auteur de
l'article, dans la Biographie, pour apprendre au lec-
teur quelle étoit l'espèce de crime dont on soupçon-
noit d'Âssoucy, dit qu'on Taccusoit d'une chose que
les dames ont en abomination. ; et moi, dans ma
brochure, je disois que, sans vouloir expliquer, et
sans chercher à deviner ce que c'étoit que ce crime,
j'imaginois seulement que, puisque les lois le punis-
soient par le feu, non-seidement les darnes^ mais les
hommes aussi dévoient l'avoir' en oioT^tna^ton ; et on
avoit supprimé tout ce lùorceau.
M. de Pomereuil me reçut avec une froideur gla^
* D'Assoucy, dît un auteur, avoit choisi le plus pitoyable de tous
les genres, sans avoir les mêmes talens qneScarronpoarse le faire ptir-
donner. Sa vie, comme sa prose et ses vers, ne fut qu'un mélange
de misère, de bnrlcsque et de platitude. Tous les pays où il passa,
et il en vit beaucoup, furent marqués par ses disgrâces. En effet, il
faillit,» à Calais, être jeté à la mer comme sorcier ; il s'attira de très-
méchantes affaires à Montpellier : fut mis, à Rome, dails les cachots
de l'inquisition ; et de retour en France il fut d^abord epfermé à la
Bastille et ensuite dans la prison du Châttelet où il resta six mots:
Cet homme, dont' la vie fut si originale et si souvent menacée, vécut
jusqu'à l'âge de quatre-vingt-cinq ans, et mourut, en 1 679, ^ Paris,
où il étoit né. Ses poésies ont été recueillies en trois volumes ra-12.—
(Noie âcV Éditeur. J
238
MÉMOIRES
cîale, qui alloit presque jusqu'à Timpolitesse, je lui
demandai raison de la suppression "de mes vingt et
une pages; il me répondit avec brusquerie et une
sorte d'emportement: ^^ Que diable^ madame^ n'êtes^
vous pas lasse de faire, depuis trente-cinq ans, des
criailleries contre la philosophie ?" Non> monsieur,
lui disrje, en souriant très-dédaigneusement, et
l'espèce d'indignation que vous me montrez avec tant
de franchise ne me fera pas changer d'opinion; mais
revenons au sujet qui m'amène, pourquoi avez-vous
donné l'ordre de supprimer les pages que je viens
d'avoir l'honneur de vous lire, et particulièrement
celle qui a rapport à d'Assoucy ?" A cette question
pressante, M. de Pomereuil se gratta l'oreille et dit:
"C'est une étrange chose que l'intolérance des dé-
vots ; vouloir que Von brûle un honime parce qu*il
n^ aime pas les femmes I Cette aversion est une chose
de mauvais goût, et voilà tout."
Ce discours dans la bouche d'un ministre, à une
femme qu'il ne connoissoit pas, me causa tant d'é-
tonnement, que je restai un moment stupéfaite ; il
crut apparemment qu'il m^avoit poussée à bout par
la forcené ses raisonnemens; car il prit un petit sdr
de satisfaction si comique, qu'il m'auroit fait rire si
je n'avois pas été aussi indignée. Je repris enfin la
parole pour lui représenter que, malgré ma dévotion,
je ne voulois faire brûler personne ; que j'avois même
déclaré que je ne prétendois point deviner quel étoit
BS^ MADAME D£ GBNLI8. 239
le crime en question ; que je disois seulement que^ si
la Ipi le punissoit dû feu^ 3 deiroit être abhorré de
tout le monde. " Punir du feu ! punir du feu !
s'écria M. de Pomereuil ; voilà des barbaries gôthU
qûeSy heureusement 'passées de mode. " — " Mais
encore une fois, Monsieur, ne vous en prenez qu'à
la Ici ; je n'y suis pour rien ; je vous répète que je
veux ignorer quelle est cette espèce de crime. '*—
" Ignorer ! vous saVez fort bien ce que c'est, et moi
je vous répète. Madame, que ce crime n'est, comme
je vous le disois tout à l'heure, qu'une chose de mau-
vais goût, ce qui ne mérite nullement le supplice
d'être brûlé à petit ^ feu. " — '^ Puis-je espérer,
Monsieur, la restitution de mes vingt-une p^ges ! "—
*^ On verra cela. Madame^ j'y penserai." A «es
mots; je me levai. Jl voulut me bégayer quelques
excuses sur la peine a>ssez inutile que j 'a vois prise de
venir chez liù ; je lui répondis que cet entretien étoit
si curieux, que je ne regrettois point le temps qu'il
m'avoit fait perdre ; je lui tournai le dos pour m'en
aller.; je l'entendis faire quelques pas pour me recon-
duire; je feignis de ne pas m'en apercevoir; je me
hâtai d'ouvrir la porte, et je disparus. Je ne crois pas
.que jamais ministre ait montré, dans une audience
particulière, à une personne honnête, plus d'imper-
tinence, d'ineptie et de manque de principes. Cette
réunion ne peut se trouver que dans un philoso-*
phe moderne plein d'enthousiasme pour sa secte«
240 MÉMOIBKS
Je me moquai beaucoup de cette audieace^ ce qui
me fit encore de nouveaux ennemis; car M. de Po-
mereuil avoit beaucoup de partisans. On dit qu^il a
de l'esprit, qu'il est un honnête homme ; maia il n'est
certainement pas fait pour représenter dads une
grande place.
Depuis .quatre ou cinq ans je voyois beaucoup plus
de monde que je ne le voulois, cédant avec trop de
complaisance aux désirs qu'on me témoignoit à cet
égard. Parmi les étrangers, il y en eut" un pour
lequel je pris une amitié particulière ; ce fut un Po-
lonois, M. le comte de Kosakoski, et, malgré, ses
voyages, ses absences, et les révolutions, cette amitié
est toujours demeurée aussi vive et aussi tendre. M.
de Kosakoski est également distingué par la noblesse
de ses sentimens, la pureté de ses principes et l'ori-
ginalité de son esprit. 11 a fait pour moi une chose
qui parôitra puérile, et dont je lui ai su un gré ii^uL
Il m'avoit demandé un échantillon de tous les petits
ouvrages de main que je sais faire, et je les lui don-
nai. Il les fit arranger dans les compartimens d'une
charmante botte faite exprès, grande comme un grand
nécessaire, et qu'il portoit toujours avec lui dans ses
voyages. Attaché au service de France, il fit la cam-
pagne de Russie. Il y perdit tous ses bagage^ ; mais
il avoit . pris tant de précautions pour la botte qui
contenoit mes ouvrages, qu'il ne la perdit point,
et ce fut la seule chose qu'il conserva. On ne re-
grette pas le temps que Ton a donné à l'amitié, quel-
/-
DB MADAME DE GENLIS. 241
que frivole qu'en puisse être l'emploi, quand il e&t
apprécié ainsi. La conduite de l'empereur de Russie
avec lui, à la première restauration, a été si magna-
nime, que je ne puis m'empêcher d'en rapporter ic^
quelques traits. M. de Kosakoski possède de très-
grands biens en Pologne ; persuadé que Napoléon
rétabliroit la dignité de son pays, il s'étoit attaché à
lui par cette seule idée. Après la prise de Paris, il le ^
suivit et resta aVec lui tout le temps qu'il passa k
Fontainebleau; il ne le quitta qu'au moment où il
monta en voiture pour aller à l'île d'Elbe ; ensuite
M. de Kosakoski revint à Paris, où on lui déclara
que tous ses biens étoient confisqués; alors il résolut
d'aller lui-même en solliciter la restitution de l'em-
pereur de Russie ; il se présenta à l'audience de ce
prince, qui, lorsqu'on le lui eut annoncé, lui demanda
s'il étoit vrai qu'il eut suivi Napoléon à Fontaine-
bleau : ** Oui, Sire, répondit M. de Kosakoski, et
jusqu'à l'instant de son départ ; et s'il m'eût demandé
de le suivre, je l'aurois suivi sans hésiter." L'em-
pereur loua cette réponse, et demanda à M. de Ko-
sakoski, ce qu'il désiroit de lui. " Sire, répondit M.
de Kosakoski, la restitution de mes biens en Polo-
gne. " — " Ils vous seront rendus," reprit l'empereur.
Et en effet l'empereur donna sur-le-champ des ordres,
et tous les biens furent restitués. '
Une autre étrangère, bien charmante, et qui a été
pour moi remplie de bonté, est madame la duchesse
TOME V. ' n
242 MÉMOIRE»
de Courlande; on n'a jamais eu plaide charmes, par
la figure, le caractère et les manières ; je rapporterai
à son sujet une anecdote assez curieuse. L'impé-
ratfiqe ayoit une énorme quantité de lettres de Bona-
parte, écrites de sa main, et adressées à Joséphine
(déjà sa femme) durant ses campagnes d'Italie, ^t
pendant son séjour à Turin; Joséphine, n'y attachant
apparemment aucun prix, avoit laissé traîner, et avoit
même oublié la cassette ouverte qui les renfermoit,
im valet de chambre infidèle les recueillit à son insu;
et imagina, j|e ne ^^is comment, de les offrir à ma*
dame de Gourlande. Elle m^e^pfiaces lettres pour
en prendre copie. Je les lus arec avidité, et je les
trouvai toutes difféiientes de ce que j'aurois ima-
giné*.
Voici un mot charmant que je trouvai dans une de
ces lettres: Bonaparte reprochoit à Joséphine la
foiblesse et la frivQlité de son caractère, et il ajou-
toit : ^^ La "nature t'a fait une âme de defitellè, elle
— *
m'en a donné une d'acier. La phittse vulgaire est
une éme de coton*'' 11 y avoit de la galanterie et du
N
bon goût à substituer à cette expression grossière le
mot dentelle, qui du moins of&e une image délicate
et jolie. Dans une autre lettre il montroit beaucoup
de jalousie sur la société de Joséphine, et surtçut sur
* L^éditear de ces mémoirefl possède une copier de ces lettres ca-
rieuses, et se propose de les publier mceÊ6amment.^!Sût€ dé V Edi-
teur.)
DB MADAME BB GENLIS. 243
la qtmniiié de jeunes muactxdins qu^elle recevoit jour-
nellement, et il lui ordonnoit avec sévérité de les
expulser tous. On voyoit dansi les lettres suivantes
que Joséphine obéissoit^ mais qu'ensuite elle se plai-
gnoit continuellement de sa santé et de maux de
nerfs ] alors Bonaparte imagina que l'ennui causoit
ce dérangement de santé et il lur manda qu'il aimoit
mieux être jaloux et souffrir que de la savoir malade
et qu'il Impermettaii de rappeler tous les mtiscadins.
Elles étoient d'une écriture fort difficile à lire^
mais cependant j'en vins parfaitement à bout; ces
lettres étoient spirituelles et touchantes. On n'y
voyoit point d'ambition, et elles exprimoieint une ex-
tréme sensibilité, elles prouvoieht que Bonaparte
avoit eu pour sa femme la passion la plus vive et la
plus tendre, £t que Joséphine ne savoit pas répondre
à ce sentiuïent exalté.
Cependant M. Ameilhon me pressoit vivement de
quitter mon beau logement pour celui contre lequel
je troquois; et, trouvant que je différois trop, il
imagina, pour nie faire sortir de mon apathie, un
expédient à la fois simple et très-extraoi^dinalre« J'a-
vois avec la bibliothèque publique, dont il disposoit,
une anti-chambre commune ; et la grande porte
d'entrée à deux b^ttans de mon appartement donnoit
dans cette antichambre, que j'étois obligée de tra-
verser pour entrer et sortir de chez moi. Un jour,
11*
244 MÉMOIRES
après avoir fait quelques courses dans la matinée, je
rentrai chez moi à deux heures, et j'y rentrai avec
une facilité à laquelle je ne m'attendois pas, car M.
Ameilhon avoit fait enlever les deuxbattans de ma
porte. Après avoir -en l'explication positive de ce
procédé, et voyant que la bibliothèque étoit encore
ouverte, j'y entrai : j'y trouvai beaucoup de jeunes
gens écrivant ou lisant pour leur instruction, et Ra-
visai M. Ameilhon, assis gravement vis-à-vis une
grande table sur laquelle il parcouroit un gros vo-
lume in-quarto ', je suis la personne du monde la
moins scénique, mais cette étrange aventure me sor-
tit tout-à-fait de mon caractère ; je m'avançai vers
M. Ameilhon, et je lui dis: " Monsieur, on viçnt
de m'apprendre, et j'ai vu que vous aviez fait enle-
ver la porte de mon appartement; j'imagine que
c'est un droit de la place d'administrateur de la bi-
bliothèque de TArsenal, alors je vous prie de me
montrer récrit qui vous y autorise, et je m'y soumet-
trai; sinon, ayez la bonté de faire reposer sur-le-
champ cette porte, sans quoi j'irai, sans aucun dé-
lai, m'en plaindre au ministre, et, en passant, au
juge de paix." A ces mots, sans attendre de ré-
ponse, je m'éloignai précipitamment, et je rentrai
chez moi, en posant deux sentinelles dans l'anti-
chambve, afin de voir ce qui s'y passeroit, et en or-
donnant qu'on m'en rendît compte. En sortant de
1>£ MADAME DB GBNLIS.
245
la bibliothèque, j'avois jeté un coup d'œil sur les
spectateurs, et j'avois recueilli l'expression de la sur-
prise et de l'approbation universelles.
Une action de cette ineptie et de cette violence
ne se conçoit pas; tout l'Arsenal en a été témoin, et
je l'explique par l'idée que M* Âmeilhon avoit dé ma *
bonhomie, et de mon aversion invincible pour toute
espèce de discussion; j'avôis cédé, en tant de choses,
à ses fantaisies et à son despotisme, qu'il ne douta
pas que cet acte de vigueur ne me fit prendre le parti
d'aller dès le jour même, dans mon nouvel apparte-
ment, dont j'avois déjà fait meubler deux chambres ;
mais mou discours avoit produit tout son effet : il
craignit ma révolte, les portes furent remises sans
•délai. Il m'écrivit le plus sot des billets pour s'ex-
cuser, en me donnant de si pitoyables raisons, que
je ne pourrois même pas me les rappeler. Je restai ,
encore quinze jours dans ces appartemens, et enfin je
les quittai, à la grande satisfaction de M. Âmeilhon.
11 avoit été convenu que Ton me donneroit pour mon
nouveau logement trois belles glaces de l'ancien, et
jamais je n'ai pu les obtenir de M. Ameilhon ; mais,
ce qu'il y eut de pis, c'est que je n'obtins pas davan-
tage le petit jardin, objet de tous mes vœux ; je sup-
pliai, je menaçai : tout fut inutile. Il auroit fallu
écrire au ministre et me le faire donner de force ; je
craignis une suite éternelle de petites méchancetés,
. comme j'en avois tant éprouvées, et j'y renonçai.
246 MÉMOIRES
J^ai oublié de rendre compte d'une fête qu^on me
donna dans mon ancien appartement^ etquifiitsijchar-
mante, que j'en^ois parler par reconnoissance. Une
dame que je n'avois jamais vue, madame du Brosse-
ron, qui connoissoit mon frère, me fit demander par
lui la permission de venir passer chez moi la soirée
du mardi gras avec quelques personnes déguisées :
j'y consentis ; ce de voit être dans trois ou quatre
jours; et le mardi gras arrivé, on me demanda seule-
ment de ne pas entrer dans mon salon de la journée ;
à huit heures et demie, on vint me dire que je pou-
vois retourner dans mon salon : je n'y trouvai d'au-
tre changement qu'un rideau posé et tiré sur lés decix
battans de la porte d'entrée ; au bout d un moment,
j'entendis une beUe symphonie, un excellent or-
chestre : c'étoit la musique du Conservatoire ; alors
on tira le rideau, et je vis entrer madame du Brosse-
tpn déguisée avec le costume d'une magicienne te-
nant une baguette à la main ; elle s'avança vers moi
et- me demanda la permission de me faire voir les
plus admirables prodiges que son art eût jamais pro-
duits. Ce petit compliment fut suivi d'un joli cou-
plet de chanson, qui m'annonçoit qu'on alloit faire
passer 'sous mes yeux une longue suite de tableaux
aussi charmans que variés. Pendant le chant de la
ma^cienne, on avoit refermé le rideau, elle le fit
rouvrir^ et je vis à travers un transparent un tableau
parfaitement groupé et costumé, représentant une
DE AiADAliS DE GENLIS. 347
scène A^ Adèle et Thëodorek Les figures, les atti-
tudesj tout' étoit parfait* Pendant que je l'exami-
nois, la mi^cienne l'expliqua dan^ un couplet de
chanson ; ensuite elle fit refermer le rideau^ et tan«
dis qu'on prép)Mt>it derrière ce rideau un nouveau ta-
bleau, Forchestre fit entendre de nouvelles isymphof
nies ; après quoi on r^rit la suite des tableaux tirés
de tous mes ouvrages, et tous également bien com-
posés et aussi brillans les uns que les autres. Chaque
tableau fut toujours expliqué par im couplet chanté
par madame du Brosseron ; et, entre chaque ta-
bleau, chaque intervalle fat tou)ouc8< rempli par une
symphonie. Les personnages des tableaux, chan-
geant de costumes suivant les sujets, avoient des
figures qui sembloient fisdtes exprès pour les scènes
qu'ils représentoient ; par exemple, mademoiselle
d'Aubanton,* âgée de quinze ans, d'uiie beauté écla-
tante, couverte de pierreries, et vêtue d'une robe
brodée d'or, représentent parfaitement la beUe du-
chesse dé Clèves Béatrix,-- dans les Chevaliers du
Cygne, CHivier et Isaihbard, avec leurs boucliers et
leurs devises, étoient fort bien représentés par MM«
d'Offémont et Désaugiers. Mesdames Du Crest et
Georgette donnoient uiie idée parfaite de Diana et
* Mademoiselle 'd'AabentoB a épousé M. Carafa, compositeur de
musique, connu par plusieurs opéras, donnés avec succès, en Italie
et en France. Il étoit alors un des écuyers cavalcadours du roi de
Naple8.^ZVo<« dé PEditeur.)
248 MÉMOIRES
Âlphonsine dans le Souterrain (dans la Tendresse
maternelle, ou TEducaticnr sensitivé). Madame
4'Aubanton^ très-belle encore, paroissoit être ma-
dame de M aintenou elle-même. Madame de Sainte-
Anne, sœur de madame du Brosseron, d'une figure
très-agréable, étoit véritablement touchante sous le
costume de religieuse de madame de La Vallière
dans sa cellule. Madame Delarue, fille de £eu Beau-
marchais, avoit une grâce infinie dans le rôle d'Ida
dans /e Jupon Vert, Enfin toils ces tableaux furent
réellement délicieux, ainsi que les couplets faits ps^r
M. de La Tremblaye et mon frère ; on me les donna
et je les ai tous conservés.
Après cette représentation, qui dura plu& de deux
heures et demie, M"«. du Brosseron disparut, et, quel-
ques minutes après, revint avec tous les personnages des
tableaux, qui tous avoient gardé leurs beaux costumes.
Madame du Brosseron étoit habillée en Flore ; elle
tenoit une corbeille de fleurs qu'elle me présenta ; tout
le reste de la compagnie formoit un groupe tenant un
ravissant tableau superbement encadré avec une glace
et recouvrant une couronne des plus belles fleurs ar-
tificielles, au milieu de laquelle étoit mon chiffre.
J'embrassai toutes les dames de la compagnie; j'ad-
mirai de près les costumes, ensuite on s'assit, on
prit du thé, et l'on causa jusqu'à deux heures du ma- .
^in. Je n'ai jamais reçu, ni même, vu de fête plus in-
génieuse. Quelque temps avant,Casimir m'enavoit
DE MADAME DE GBNLIS. 249
donné une pour le jour de ma naissance, le 25 janvier :
cette fête fut moins ingénieuse, mais beaucoup plus
touchante pour mon cœur : Casimir y fut étonnant
par la diversité, la perfection de ses talens : sa harpe
joua le rôle le plus intéressant et le plus neuf ; il
composa une scène sans paroles dont sa harpe ex-
primoit seule le sujets ce fut David ôalmant les
fureurs de Saûl. Michelot, qui venoit de faire de
brillans débuts à la Comédie Française^ roprésentoit
Saûl ; Casimir, âgé de dix-sept ans, représentoit
David : il étoit parfaitement costumé par Talma,
invité à cette fête, et qui se plut à le draper hii -
même. Michelot avoit un superbe habit, et l'énergie
et la vérité de sa pantomime ravit tous les specta-
teurs. La jolie îBigure de Casimir, sa jeunesse, l'ex-
pression et la perfection de son jeu, la singulière
beauté de la composition de sa musique, rendirent
cette scène ravissante et inimitable; elle fut jouée
sur un joli petit théâtre portatif poaé dans l'anti-
chambre. On joua sur ce même théâtre un proverbe
vaudeville de M. Radet* : Casimir, et Joly^ charmant
* M. Radet est un des membres de ce triamvirat chantant qui, si
iong-temps, fit tafortuue et la gloire du théâtre de lame de Chartres,
Outre MM. I>esfoiitaines et Barré, ses associés ordinaires, il a com-
posé seul, ou avec MM. Plis, Dupaty, Dieulafoy et Longcbamps,
un grand ùoinbre de jolis opéras-comiques et de yaudevilles. Eenaud
éCAity donné en 1787, est, je crois, sa première pièce : VHùtél du
Grand-Mogol est la dernière: elle a été jouée en 1814. — (Note de
VEdiieurJ
11**
250 siÉMoiuss
acteur di^ Vaudeville, y jouèrent des rôles avec toute
la gaieté et la grâces imaginables. M. BrifiEaut^,
auteur .de la tragédie de Ninus II, y joua, dans une
autre pièce, une scène en vers faite par lui pour moi,
qui eut aussi le plus grand succès. Cette pièce de
vers est si agréable, que je Tai conservée ; et je crois
que mes lecteurs me sauront gré de l'insérer ici : les
vanités d'auteur sont passées à moù âge : la publier
si tard en est une preuve ; je veux'seulement embellir
ces mémoires par un charmant morceau de littéra-
ture.
* Avant Ra tragédie de Ninuê JI, M. Bri0aut avoit fait une tra-
gédie de Jemme Gray^ qui n'a point en de succès ^ et, depuis, il a
donné, au thééUre de i*Odéon, une troisième tragédie. Ckarlei de
iVavarre, mieux accaeiltie du public que ne Pavoit été Jeanne Grapy
mais reçue avec moins de faveur que Ninue IL M. Brifikut a com-
~ posé, avec Dieulafoy, l*opéra à^OlympUy dont Spontini a fait la
musique, et il a publié plusieurs petits poèmes remarquables par la
grâce et Télégance du style : les plus connus sont Rosenumde et la
Journée dé VHtpnen,- On a aussi distingué, parmi les poésies de
M. Brifikut une Ode eur la Naissance du roi de Rome, et des
Stances sur le Retour de Louis XV Jll.^f Note de V Editeur J
DS MADAME OS <?SNJLIS. 251
LA RENOMMÉE ET LA CRITIQUE.
DIALOGUE,
Lu à la fête de M"«. de Genlis.
LA CRITIQUE.
OÙ vas-tu, déesse aux cent voix?
Fixe un moment 1*essor de tes rapides ailes ;
Ecoute.
LA RENOMMÉE.
Je ne puis.
LA CRITIQUE.
Qui te presse?
LA RENOMMÉE.
Tu vois
Ces lauriers, ces palmes nouvelles.
LA CRITIQUE.
De ces lauriers »1 verts quel front doit être orné ?
LA RENOMMÉE.
Un front que mille fois jnes mains ont couronné.
Je vais chez la muse immortelle
Qui traça Théodore et qui peignit Adèle.
Tu ne la connois pas.
LA CRITIQUE.
Hélas! que trop.
LA RENOMBIÉE.
Qui! toi?
LA CRITIQUE.
Son nom est un fléau pour moi :
Je ne peux pas mordre sur elle,
252 , MéMOIAES
Moi qui, iprâces au ciel, trouve toujours moyen
De faire au champ des arts une moisson si belle.
Chez elle, c^est pitié, je ne récolte rien.
Et pourtant j*y travaille bien.
Oh! quelle disette cruelle!
Entre nous, je Tavoue ici de bonne foi,
Si tout étoit formé sur un pareil modèle.
Je serois bientôt sans emploi. .
Chaque jour, sous sa plume élég^ante et fleurie.
Voit éclore un-chef-d'œuvre où Tesprit se marie
A la piquante instruction ;
Où, sans la comprimer, le goût et la justesse
Règlent l'imagination \
Où tout plaît, égayé, intéresse.
Par le secret d'un style harmonieux, coulant.
De verve, d'heureux mots, de trais étincelans.
Riche de sentiment et de délicatesse ;
A^dèle universel mieux senti qu'imité ;
^' Soit que sijr les travers de la société
Elle attaché, en riant, le trait du ridicule ;
Soit que sur les erreurs d'une amante crédule
Elle fasse en secret soupirer la beauté
Qui rougit, rêve, s'intimide ; ~
Et l'œil fixé longtemps sur une page humide.
Mesure, d'un regard eccore épouvanté.
Toute la profondeur de l'abîme perfide.
Dont, en passant, son flambeau si'rapide
Nous découvre la vérité 5
Soit qu'au milieu des cours inquiétant le vice.
Sa main jette, en jouant, les cent masques divers
Dont il pare son front pervers ;
Et, de ses faux attraits dévoilant l'artifice, '
Oppose à sa difibrme et triste nudité
L'étemelle et chaste beauté
D'un cœur oiné de bienfaisance.
D£ MADAMfi DS GENLIS. • 253
De candeur et de purpté.
Et juàqu^en uq cachot place la volupté
- Sur les lèvres de Finnocence.
Dans tous ces tableaux enchanteurs,
Chaque portrait est juste et chaque ton fidèle;
Le goût tient le pinceau, Tart choisit les couleurs,
£t la nature est le modèle.
Que faire? par instinct moi je veux censurer.
Mais voyez le malheur, je me laisse attirer
Par un plaisir secret qui, malgré moi, m^enivre:
Le crayon de mes mains tombe en touchant son livre.
Et je ne sais plus qu^admirer.
Je me détourne pour pleurer.
Ou je perds mon humeur dans un éclat de rire ;
Le beau profit pour la Satire !
Non, elle est sans dC faut pour me ^désespérer.
Ce qui m^achève encor, sans cesse elle t^évellle. .
LA RENOMM£e.
^Avec elle, il est vrai, rarement je sommeille :
Aussi je me fatigue à' porter en tous lieux
Le bruit toujours croisifant de son nom glorieux ;
Elle m'occupe plus que vingt auteurs ensemble.
Et dans soi seule elle rassemble '
Tous les talens, tous les succès.
Tant qu'on aura du goût, je ne dois point prétendre
Qu'on puisse se lasser jamais
De l'applaudir et de l'entendre.
«..Le moyen que je vive en paix!
Du moins si je n'avois qu'à prôner ses ouvrage !
Mais sur mille autres dons qu'elle sait réunir «
Il me faut, sans relâche, appeler les suffrages
De l'Europe et de l'avenir.
Je la Tois an milieu d'une troupe enfantine :
Semblable à ce Dieu bienfaiteur,
254 MÉMOIRES
Qaî parle par sa bouche et se peint dans son cœur,
Elle accueille en son aein leur foiblesse orphelin^
Et ses bras en tout temps sont ouTerts aa malheur j
Prévoyante, du haut de son fécond génie,
Elle épanche sur eux, comme un fleuve opulent,
Les dons de la vertu, les trésors du talent.
Et tous ces arbrisseaux dont la tige fleurie
Sans elle n^eùt point vu ses rameaux verdoyans
Balancer dans les airs leur masse enorgueillie,
S^élèventy sons ses yeux, comme autant de présens
Dont elle dote la patrie.
LA CRITIQUE.
Tu ne me contes rien qui n^ait plus de cent fois
' ^ Excité ma bile et ma haine.
J^ai beau vouloir, au fond de mon esprit sournois,
Donner un mauvais tour à tout ce que je vois.
De son âme sensible, humaifle,
^ Je suis certaine i^alg^é moi :
Je le suis, et voilà ma peine.
. , IiA RElfOMlléE.
L*aimable caractère ! adieu. Je m*aperçoi
Que le temps .vole à tire d'aile*
On s*oublie aisément, sitôt qu*on parle d'elle,
Ou qu'on lit. un de «es écrits.
C'est a^ipurd'bui sa fête, et pour tous ses amis ^
Ce jour est un jour d'allégresse;
Je vais m'associer à leur touchante ivresse.
Le cercle sera court, mais il sera charmant:
De nos brillans Français c'est l'élite imposante.
Et tout ce que le Nord présente
De plus aimable et de plus girand 5
Je serai dans mon élément :
Tous les arts lui rendront un hommage fidèle.
De cette enceinte solennelle.
D£ MADAME DE GBNLIS. 255
Comme ta peux penser^ ton visage est banni j
Adieu. Je plains ton sort ; c^est être assez puni
De ne pouvoir approcher d^elle.
Dans Tentr^acte des pièces^ Casimir dansa tout
seul, à ravir, un pas^ et ensuite il fit entendre un ins-^
trument singulier peu connu, dont on joue avec uq
archet, et qui s'appelle fer harmonique ; il en joua
comme un ange, et fit un plaisir extrême, et il ter-
mina cette représentation par une petite sçènë co-
mique qu'il exécuta tout seul derrière la toile baissée
du théâtre ; il y joua d'abord de la guitare, et ensuite
cinq ou six rôles différens, avec diverses imitations
d'une illusion surprenante. Après le spectacle, il me
' donna deux ravissans tableaux de son ouvrage, l'un
représentant un paysage à la gouache, et l'autre des
fleurs en relief et en cire sculptées avec une perfec-
tion qui ne laisse rien à désirer. La fête finit par un
ambigu. Il y àvoit à cette fête une quarantaine de
spectateurs, qui tous furent ^ dans l'enthousiasme*
Cette soirée m'en fit demander d'autres ^ j'en donnai ,
plusieurs qui obtinrent toujours les mêmes succès.
Ma liaison avec M. BriSaut devint d'autant plus
intime, qu'il montroit à Casimir la plus grande
amitié, sentiment que Casimir partageoît avec toute
la sincérité de son caractère. J'avois fait connois-
sance aussi avec un jeune homme rempli d'esprit et .
d'excellentes qualités, M. le comte Joseph d'Estôur-
256 MÉMOIRBS
mel*, et c'est un deh amis de ce temps que j'ai eu
le bonheur de conserver. Je vais placer ici une espèce
de scène qui lauroit fait un fort bel incident dans
un des romans de madame Radcliff. Un jour,
madame la princesse de Bauffremont vint me prendre
pour me mener faire une visite, un matin, à madame
la duchesse de Courlande ; nous la trouvâmes dans
son cabinet^ avec huit ou dix personnes; M. de Tal-
leyrand, madame la vicomtesse de Laval, M. de Nar-
bonne, etc. On causa pendant une denù-heure, et
comme je me le vois pour m'en aller, on me retint en
se disant d'un air mystérieux : ^^ Il faut qu'elle voie
la chose." Je demandai l'explication de ces paroles,
on refusa de me la donner; et j'imaginai, par le nom-
bre de personnes choisies qui se trouvoient là rassem-
blées, et qui n'avoient pas l'air d'être en visite, qu'il
s'agissoit d'une petite fête dont on vouloit que je
fusse témoin. Au bout d'un dehii-quart d'heure, un
valet de chambre parut et dit : ^* Tout est prêt ;"
alors on se leva, et la duchesse dit que nous allions
* M. le comte Joseph d^Estoarmel éioit alors aaditeiir an conseil
d^état, et composoit de petites pièces de vers remarquables î>ar la
g^aieté, Tesprit et la finesse. Dans des momens difficiles il s'est
trouvé préfet d*un des départemens du Midi de la France ; il y dé-
ploya avec fermeté ce caractère de modération qui n'admet point d'ex-
cuses aux persécutions, de quelques prétextes qu'on les colore. Cette
modération lui avoit attiré une espèce de disgrâce : elle a été de
courte durée, et M. d'Estourmel est encore ai^gourd'hui préfet.—
(Noie de T Editeur.)
^>
DE MADAME DE GBNLIS. 257
passer dans le salon. Je m'attendois à. une scène
charmante, et je fus étrangement surprise de celle
qui s'offrit à mes regards en entrant dans le salon.
il y avoit, au milieu de cette pièce, une table auprès
de laquelle étoit un grand homme vêtu de noir, d'un
aspect sévère, et dont la figure m'étoit inconnue) : on
me fait avancer; j'approche. Je jette les yeux sur la
table, et je vois qu'elle est entièrement couverte de
têtes de morts. C'étoit M. Gall* : c'étoit une dé-
monstration qu'il faisoit à toutes ces personnes de
son système sur les crânes humains. On ne lui dit
point qui j'étois, et il commença' sa leçon: elle me
parut très-curieuse, et j'en fus fort contente; par
conséquent je ne trouve pas que ce système puisse
conduire au matérialisme. M. Gall veut seulement
prouver, par des faits, que nous naissons avec des
dispositions et des inclinations diverses ; mais il
ajoute toujours que la morale et la religion peuvent
les modifier, les corriger, ou les perfectionner; il n'y
a à cela de nouveau, et que l'on puisse contester, que
* Va système, fondé sur des apparences et des analogies, ne re-
pose pas sur une base assez solide pour repousser toutes les attaques
et répondre à toutes les objections j dans ce cas, loin de confirmer la
règle, les exceptions la détruisent ^ mais quel que soit le sort des
théories du docteur Gall, sur le cerveau et le système nerveux, en
général, ces théories resteront comme une des plus ingénieuses iu-
ventions de Tesprit humain, et leur auteur sera toujours compté parmi
les hommes qui ont fait faire de grands et utiles progrès à la physio-
logie.— (ZVO/0 de V Editeur.)
258
HBMOIRES
les expériences et les signes qui font connottre ces
dispositions et ces inclinations différentes. En nous
montrant sur les têtes les^ différentes protubérances,
il nous dit que toutes celles qui se trouvoient dans
le bas de la tête étoient animales et dénotoient de
mauvaises et basses inclinations, et que toutes celleë
qui étoient sur le liaut de la tête et sur le front
étbient spirituelles et nobles; et il finit par nous
montrer la plus belle et la plus rare de toutes les pro-
tubérances, parce qu'elle marque, dit-il, trois vertus :
la religion, l'élévation de l'âme, et la persévérance ;
elle se trouve sur le haut et au milieu de la tête*
Cette démonstration me fit en secret un plaisir
particulier, parce que j'ai cette bosse, à un point de
grosseur véritablement extraordinaire. Je ne me
vantai point d'avoir cette glorieuse protubérance,
mais je me promis bien de la faire connoitre, en temps
et lieu, à M* ûall, et j'en eus promptement l'occa-
sion. Il (ut convenu* que toute la société qui se
trouvoit là rassemblée viendroit le lendemain matin
chez moi, et que je leur ferois voir la bibliothèque
de l'Arsenal. Ils y vinrent en effet, et M. Gall fût
de la partie. Quand on fût rassemblé dans mon
salon, je le tîi*ai à part dans l'embrasure d'une fenê-
tre 5 je n'avois goint de chapeau, je lui fis toucher ma
tête; aussitôt il s'écria avec enthousiasme: ^^ Ah !
que cela est beau !" Il expliqua le sujet de son ad^
miration ; et M. de Talleyrajid, en parlant de moi.
DB MAJIAMB i>£ GENLIS.
2S9
dit : ^^ Vous voyez^ mesdames, qu'elle n'est pas une
hypocrite." Je fus fâchée que l'absence de Casimir
m'empêchât de faire tâter sa tête ; mais je l'ai touchée
depuis : et il a aussi^ d'une manière très-marquée^
cette belle protubérance. Je priai M. Gall d'examiner
lat tête d'Alfred; il la trouva très-belle, et il dit sur-
le- champ qu'il avoit les protubérances de la géométrie
et de la mécanique ; et véritablement il a le génie
de la mécanique à un degré supérieur; Alfred avoit
alors neuf à dix ans.
M. Marigné, auquel je donnai un petit panier de
graines de melon de mon ouvrage, fit à ce sujet* sur-
le-champ, cet impromptu :
Joli panier, don plein de grâce,
SouTenir cher et précieux,
N^abandonne plus cette place:
Reste toujours devant mes yeux.
Joli panier.
Joli panier, de ta présence
J'éprouverai plus d*un effet j
Déjà je ressens Pin&uence
De Teffetrare qui t'a fait.
Joli panier.
Joli panier, du temps qui passe
Tu m'apprends comme on doit jouir.
Comment l'esprit qui se délasse
N'est pas oisif dans son loisir.
Joli panier.
Joli panier, quand je contemple
Tes réseaux qu'a tissus Genlis,
t
-*
260 MÉMOIRES
De bon g^ôut j*y vois un exemple.
Un emblème de ses écrits.
Joli panier.
Joli panier, ta transparence }
De son style peint la clarté :
Tes contonrs en ont Pélégance,
Tes liens la solidité.
Joli panier.
Joli panier, dans ta texture '
Je me trouve aussi retracé,
Car conmie toi, de ma nature, .
Hélas ! je suis panier percé.
Joli panier.
Joli panier, garde ces lignes
Qu*à toi seul je veux confier.
Et puissent mes vers être dignes
D^étre mis tous dans le panier.
Joli panier.
Joli panier, pensant à celle.
Pensant jusqu'à riqstant dernier,
A celle que ce don rappelle, '
Je dirai, lors, adieu panier.
Joli panier.
M. Fiévée, dont la conversation dans Tintimité est
si animée^ si intéressante et si spirituelle^ me parloit
souvent des choses qu'il écrivoit à l'empereur, et qui
étoient toujours sages et bien pensées ; si cette cor-
respondance étoit imprimée, elle lui feroit beaucoup
d'honneur. Napoléon lui donna une place d'audi*
teur qui le fit entrer au conseil > je donnai alors à M.
DE MADAME DE GENLIS. 261
Fiévée un avis dont il m'a beaucoup remerciée par
la suite. Je lui conseillai, lorsqu'il aiuroit au conseil
une chose importante à proposer, qu'il la réservât
toujours pour sa correspondance, à moins que l'af-*
faire ne f(it assez pressante pour ne pas permettre
d'en différer la proposition d'un jour ou de quelques
heures. M. Fiévée suivit cet avis : il y gagna deux
choses : P. que l'empereur lui en sut un gré infini ;
2*". que, s'appropriant son idée, il devoit s'y intéresser
davantage et la soutenir mieux. M. Fiévée me dit
encore dans ce temps qu'il étoit étonné de l'esprit,
de la finesse et de la bonhomie que l'empereur mon-
troit au conseil ; on pouvoit l'y contredire et même
souvent l'interrompre quand il parloit, sans qu'il eût
l'air de le trouver mauvais j c'est un fait qui rend
plus coupables ceux qui l'entouroîent d'habitude et
qui n'osoient presque jamais lui dire la vérité.
M. Alibert*, médecin, homme de lettres et savant,
* M. Alibert est auteur d*un poème de ta Dispute des fleurs^ et
d*un grand nombre dVuvrages de médecine sur les Maladies des
femmes^ sur les Fiévreux, sur les Maladies de la peau, sur la The'-
rapeuiique et la Matière médicale, et sur la Physiologie. Ses Elo-
ges historiques de Galvani, de Roussel, de Spallanzani et de Bichat,
sont suivis d^un Discours sur Us rapports de la médecine avec les
sciences physiques et morales. On voit par ce discours que le
docteur Alibert sait généraliser ses idées, et porter ses regards au
delà des limites de la science à laquelle il s^est plus particulièrement
consaci^. Il est médecin du roi, un des collaborateurs du Dic-
tionnaire des sciences médicales, et médecin en chef de Thôpital
Saint.Louis. — (Note de V Editeur.)
262 MEMOIRES
venoit aussi de temps en tempaà l'Arsenal; j'aimais
beaucoup . son entreti«a animîé, instruetif et naturel ;
il y joint d'excellentes qualités,, entre autres celle
d'être invariable poiur «es an)i&
Madame la comtesse: de Cboîseul, dont je ne pubr
me lasser de parler, esl ùâe .personne d'une figure
aussi charmante que régsliàre, qui réunit aux meil-
leurs principes les qualités les jplus attachantes.
EUe est née poëte, et dans un genre très* élevé ; elle
a fait, à seize ans, des vers qui hc^oreroient un poëte
de quarante ; elle a toujours. cultivé ce beau talent;
mais sa modestie en a tenu constamment jusqu'ici
les product^>ns renfermées dans son portefeuille.
£Ue épousadepuis M. le comte de Choiseul-Gouffier*,
« Né en 1753, mort en 181 7» le comte deQKnseul-Cîoiiffier s^em-
barqna, à Page de 24 ans, sur VAtaianie, commandée par un capi-
taine de vaisseau, membre de TAcadémie des science^, ponr visiter la
patrie d^Homère, d^Arlstote, de Platon, de Zeuxis et de Phidias.
Nous devons le beau Voyage pittoreêque de la Grèce au vif désir
que, dès sa pins tendre jeunesse, M. de Choiseul éprouvoit de
commenter la terre sacrée qui fut le berceau de la civilisation de
l^Europe. I« premier volume de ce grand ouvrage parut en 178^
trois ans après la réception de Mv de Cboiseal à TAcadémie des
inscriptions. Le Voyage pittweêqpe de la Orèee étoit un titre aux
honneurs littéraires, il en devint un aussi à la confiance du gouverne-
ment} soû auteur fut nommé membre de PAcadémie française en
1784, et, en 1789, ambassadeur de Fmiice à la Porte-Ottomaae.
Cette place, regardée par tant d*antrea comme un moyen de fortme,
fut pour M. de Cboiseul Toceasion de nouvelles découvertes et de
nouveaux travaux. La révolution vint bientôt troubler ses douces
occupations. Son âme honnête et pure ne tarda pav àVindigner des
DE MAP AME DE (3ENLIS. 263
si célèbre et si digne de Tétre par son amour pour
les arts, ses talens, ses voyages et les beaux ouvrages
qu'il a publiés ; il auroit pu, par son âge, être' le père
de madame de Choiseul. Elle avôit pour lui un at*
tachement fondé sur l'eatime et l'admiration; elle
excès commis au nom de la liberté^ et sMl ne s^en montra pc^s ou-
yertement Tennemi, il ne fit rien du moins pour diminuer les pré-
ventions élevées contre lui par les réyolutionnaires. Cependant il
envoya, en 1790, à rassemblée nationale, de la part de quelques
Français établis dans les Echelles du Levant, un don civique de
douze mille francs, et, sous le voile de l'anonyme, y joignit une
pareille somme qu*on sut bientôt être de lui. Rappelé peu de temps
après, et nommé en 1791 ambassadeur à la cour de Londres, il
refusa cette mission, resta à Constantinople, devint Tobjet de dénon-
ciations journalières, et fut enfin décrété d^arrestation par la Con-
vention, le 22 octobre 1792, pour avoir eu des relations avec les
princ^ frères de Louis XVI. ' Sa correspondance avec leurs altesses
avoit été saisie par les républicains dans la retraite delà Champagne.
11 quitta alors Constantinople, se rendit en Russie, où IMmpératrice
le reçut de la manière la plus flatteuse et lui donna une terre ; puis il
fut nommé, en février 1797, conseiller de Tempereur Paul 1**"., qui
agouta d'autres terres aux présens de Timpératriee, et qui le nomma
directeur de l'académie de Saint-Péterebourg. La révolution du 19
brumaire lui donna le désir de revoir sa patrie : il revint en France
en 1802, et prit place Tannée suivante à l'Institut en sa qualité' de
q^embre de l'ancienne Académie française. Depuis ce moment il
se livra entièrement et plus que jamais à la culture des belles-lettres,
et évita ainsi l'attention jalouse de l'autorité impériale. Au retour
du roi, en 1815, il fut nommé ministre d'état, membre du Conseil
privé et pair de France. Le premier il rappela les Grecs, à l'indé-
pendance 3 chrétien, il comptoit pour les secourir sur les princes
chrétiens.— o(^oie de V Editeur. J
y
â64 MÉuùinns
l'épousa pour ,1e soigner dans sa vieillesse, devoir
qu'elle a rempli de la manière la. plus parfaite ; et
elle a honoré sa mémoire, non-seulement en lui éle*
vaut un tombeau, mais surtout par les regrets les
plus nobles et les plus touchans.
M. de Fontanes est venu me voir à l'Arsenal, trois
ou quatre fois. Jamais un homme d'autant d'esprit
n'en a moins montré dans les conversations. On ne
peut lui reprocher ce galimatias des nouvelles
écoles; mais il a je ne sais quelle prétention au ton
léger d'autrefois, qui me paroît manquer de grâce.
Comme poëte, il a été au-dessous de sa réputation,
n'ayant jamais fait un grand ouvrage dans ce genre ;
comme orateur au sénaf, on doit le louer d'avoir eu
le bon goût de rejeter les faux brillans et le néolo-
gisme, d'avoir écrit ses discours avec pureté et
beaucoup d'esprit, d'élégance et d'agrémens. Il a
montré, dans tous les temps, des sentimens religieux ;
et c'est un genre de courage qui, de nos jours surtout,
ne peut appartenir qu'à un esprit juste ^et à une âme
ëlevée.*
Dès les premiers temps de mon retour en France,
M.. de Cabre me fit faire connoissance avec madame
Cabarus, jadis madame Tallien', et depuis, madame
de Caraman.f Je la trouvai ce qu'elle. est, belle,
* Il est mort depuis que cela est écrit — (iVole de V Auteur. J
i* Madame, de Caraman, plus célèbre sous le nom de madame
Tallien, a des droits à la reconnoissance de bien dés personnes qui.
I)£ MAOAMB J>B GENLI8 2Ô5
obligeante et aimable. Madame de Valence m'avoit
mandé, en Allemagne^ qu'elle lui avoit sauvé la vie,
durant les jours de la terreur, et je vis avec atten-
drissement sa libératrice; je trouvois aussi, dans
cette même personne, celle qui a véritablement af«
ftanchi la France des fureurs de Robespierre ; j'ai
entendu dire à ce sujet un fort joli mot à M. de
Valence, ^pendant que nous étions Tun et l'autre à
Hambourg; quelqu'un contoit que l'on avoit 'donné
à madame Bonaparte le surnom de Notre-Dame-
des- Plctoires ; M. de Valence dit qu'il falloit donner
à madame Tallien celui de Nolre-Z^ame-de-Bon-
Secoure,
Le prince Jérôme, depuis roi de Westphalie, vint
plusieurs fois me voir à l'Arsenal ; je lui trouvai les
manières l'es plus agréables, une grande politesse, et
une très-aimable conversation.
Je venoîs de finir un mivrage commencé depuis
long-temps, auquel j'avois mis tout le soin qui pou-
voit faire valoir ce petit talent. C'étoit toutes les
fleurs de la mythologie peintes à la gouache, et de
grandeur naturelle ; deux ou trois lignes tracées au
ponr la plupart, Pignorent, ou se piquent dMngratitude. Elle eut
une grande influence sur cette révolution du 9 thermidor, an lU^ qui
Bit fin au régime de la terreur, et qui sauva la vie à tant de prison-
niers destinés à la perdre sur récbafaud. — {NoU de VEditmrJ
• Il y avoil à Paris, avant la révolution^ une grande abbaje de ce
nom } ma mère j a été élevée.^2Vbfo de VAmieur.J
TOMB V. 12
266 MEMOIRES
bas de chaque plante expliqtioient la métamorphose
on la consécration. Je n'avois point fait de terte
particulier 5 souvent jAusieurs plantes se trouvôîent
dans le même tableau peint sur papier vélin, entouré
d'un encadrement qu'on VL-ppeUe passe-partont. Le
tout formoitsoixaiïte-dou2e tableaux. Je les montrai
à plusieurs iartiâtes qui en furent charmés^ entre
autres Alph. Giroux. Quelque temps après, ayant
besoin d'argent, j'eus envie de les vendre. J'étoîs
' bien sûre qu'en les proposant au roi de Westphalie
il les auroit achetées magnifiquement; mais ne
voulant abuser,, lii de Ba générosité nattirelle, ni
de sa bonté pour moi, je trouvai le moyen de lui
faire parler de ôette collection cotntne étant faite par
un artiste inconnu. Il eut envie de la voir ; l'idée et
l'exécution lui plurent,, il en offrit six mille fVancs,
ce qui fut accepté. Lorsque (liroux apprit ce fait
il me dit qu'il étoît très-fâché que je ne liri eusse pas
donné la préférence. Le roi de Westphalie, en ap-
prenant qu'il avoit acheté mon ouvrage, me fit
d'obligeans reproches à ce sujet. Je répondis de
manière à le t;on vaincre que la déK'catesse qui m'avoit
fait cacher mon nom, ne me permettroit jamais de
, rien changer au marché conclu.
Plusieurs années après, la reine de Westphalie,
quiétok à Meudon,me fit inviter à y ^sdler; j'y ai
été phfâieuTs fois, et je me léScîte d'avoir pu con-
noltre cette princesse, charmante à tous égards, et
DK MABAMR DB 6KNLIS.. 367
dont la condaite^ comme épouse, a été depuis si
exemplaire et si parfeite.
Je ne dois pas oublier dans cette nouvelle nomen-
clature une personiie si agréable alors par sa figure^
• et le charme de son toU) de ses manières et de ses
talens, madame Delarue, fille de M. de Beaumar-
chais. M""*. Roger aroit une belle maison de cam-
pagne près de Paris : yj allai passer huit jourà
avec madame Kenens j j'y fus touchée de l'union qui
régnoit entre madame Roger et son mari, qui étoit
aossi beau qu'elle étoit jolie, et d'une très-aimable
société. Je vis là M. Canon de Nîsas*, beau-frère
* M. Carion Nisas, on des Yingt-trois barons d«s états du
Languedoc, étoit, en 1789, officier de cavalerie. En 1793 il fut
-accusé de fédérudUme et jeté dans les prisons de Bêziers. Nommé
sous le consulat membre du tribunat, il y paiia contre Carnot en
&T6ur de l'emfnre. Il a fait piusiears compagnes avec distiqfjtion,
et s^est élevé au grade de maréchal de camp, 9fi^ être redesûendu
de celui. d^adjudant-général, au rang de simple volontaire. Sa vie,
sous Tempire, fut une succession de disgrâces assez longues que liri
attirait sa noble franchise, et de ikveura^ peu proportionnées au
mérite des services quMl rendoit. M. Carion Nisas a composé deux
tragédies: M&nimot'eneyi Pierre le Oramiây et plusieurs autres
ouvrages en vers. Il a entrepris une traduction de la. Jértuaiem
délivrée^ dans laquelle il conserve la forme des stances, que les
Italiens appellent ottave rime. Les amis des lettres désirât vive-
ment que M. Carion Nisas achève et publie oette traduction. Outre
ses discours au tribunat, et quelques opuscules en prose, il a pallié
un ouvrage sur TOiganisation de Tarmée et un savant Traité sur
les armées^ depuis les temps anciens jusqu^â nos joùr8.<— >(A^ofe de
f Editeur J
12*
268 MÉMOIRES
de madame Roger, homme de mérite, qui a fait
depuis des tragédies dont Tune a été jouée plusieurs
fois à la Comédie Française, et dont l'autre est com-
posée sur le sujet de mon invention, dont j'ai donné
le plan dans mon Journal imaginaire. Cette pièce
est encore dans son portefeuille ; M. Pieyre, qui eh
a entendu la lecture, m'a dit qu'elle étoit fort belle.
11 m'arriva à cette campagne, avec madame Roger,
une aventure qui me causa un des plus pénibles
embarras que j'aie éprouvés de ma vie. Je me
trouvois im soir dans le salon, entre chi^n et loup,
seule avec elle et madame Kenens : on parla d'une ^
femme dont elle fit un grand éloge; je pris la
parole pour la blâmer d'avoir divorcé, et là-dessus je
me mis à déclamer contre les divorces i au milieu de
ce discours si bien placé, quelqu'un entra; nous
nous levâmes, et madame Kenens m'entraîna dans le
jardin: là, après m'avoir bien grondée, elle me
plongea dans un profond étonnement, en m'appre-
nant que madame Roger étoit divorcée, et qu'elle
avoit eu pour premier mari M. Bignon. Je ne re-
vehois pas de ma surprise, en pensant qu'une femme
si jeune,, avec une physionomie si naïve, et parlant si
bien sur la vertu et sur la religion, eût deux maris
vivans !• • • . Je ne pouvois concevoir, dis-je, qu'une
telle personne eût divorcé ; mais il est vrai qu'elle ,
avoit à peine quinze ans lorsqu'elle fut entraînée
à divorcer. Je n'osois plus rentrer dans le salon.
DE MADAMB DB GKNUS.
269
j^avois envie de retourner tout de suite à Paria}
madame Kenens m'en empêcha^ me représentant
que ce seroit ce qu'il y auroit de plus choquant pour
madame Roger; qu'il falloit reparoitre; que je ne
trouverois dans madame Roger qu'un peu d'embarras
et non du ressentiment^ parce qu'elle ne pouvoit at-
tribuer ce qui venoit de se passer, qu'à mon igno-
rance. Je restai: madame. Roger fut obligeante
pour moi tout comme à son ordinaire. Elle ne m'a
su aucun mauvais gré de mon étourderie. Ceci
m'arriva dans les premiers temps de mon séjour à
TÂrsenal, où je ne connoissois encore aucune des
Intrigues des gens de la société actuelle.
Je fis aussi cqnnoissance avec une femme célèbre
et digne de l'être; madame de Vannoz, aussi esti-
floable par sa conduite et ses vertus que par ses talens ;
elle à fait une élégie sur lès Tombeaux de Sainte
Deni$y qui a été trouvée belFe par tous les connois-
seurs qui admiroient le plus, celle de M. de Tréneuil
sur le même sujet; son sort étoit de lutter avec
succès contre de grands poètes, car elle a fait depuis
une épltre sur la Conversation^ qui a paru en même
temps que le poëme de M. Delille, et qui a été
généralement préférée à ce dernier ouvrage d'un
homme d'un si grand talent. Le poème sur la
Conversation de l'abbé Delille, comme tous ses autres
ouvrages, manque d'imagination, de plan et de
87^ M£MOIll£S
pureté de style, et il n'a aucune des beautés qui, dans
ses autres productions, font excuser ces âéCstuts. Ce
poëte, rempli de faux brillans, de pensées fausses, et
de tours bizarres, avoit de la verye et scmmant le plus
brillaat eoloHs ; il ^toit grand versificateur, et per-
sonne n'a mieux connu que lui le mécanisme des
vers alexandrins ; il a perdu tous ces avantages, en
eemposant son poëme sur la Conversation en vers
de dix syllabes ; il n'avoit point Tbabitude de cette
mesure : ce qxà fait qu'il n'est même pas poëte
dans cet ouvrage, dans lequel il a souvent cofùé des
cacactères de La Bruyère, en les gâtant. Le meilleur
ouvrage de M. Delille est son premier, la traduction
des Géorgigues de Virgile. Son poème des Jardins
pàcbe d'abord par le défaut de eonnoîssance de son
sujet ) il n'avoit jamais été en Angleterre, et n'avoit
janiak vu les plus beaux jardins du genre qu'il a
décrit f mais la description de la ferme dans cet
ouvrage pouvoit et devoit seule en assurer le succès.
ISon Hcnmne des champs est ranpli de morceaux
cfaarmans, mais c'est un ouvrage manqué; son poëme
sur rimcigination est dénué d'invention, et c'est
assurément sur un tel sujet un vice capital. Sa
traduction de VJEnéide contient de beaux morceaux,
mais il y a quelque chose de froid et de pénible
dans l'ensemble ; son poème des TYois Règnes est
un ouvrage sec et ennuyeux, parce que les sciences
DB MADAMB DS G£NLIS« 271
ne (sont pas faites pour la poésie^* Néanmoins ce
poi^me contient quelques beaux morceaux, entre
autres les vers sur une tempête dans le désert, les
vers sur le ccffé, et une grande quantité de traits et
de rex^ heureux. Il y en a trois qui sont fort re-
majrquabks dans l'épisode des guerres civiles^ de
Florence, il dit :
« Un yain peuple, à la ibis et féroce et volage^
^ Après» PaToir formé, détmitit aon ott^ragèi;
** Et, tojiûoiv* entraîné, croyait toijûoura choisir.**
Ce dernier vers est excellent, mais aussi cet ou-
vrege/ourmille de mauvais vers, par exemple, celui-ci:
** Dodone inconsnltée a perdu ses oracles.**t
Dans ce même poëme, l'épisode de M ussidor est
dépourvu d'idées, de grâce, et même d'esprit, et ^n
tout ce poëme est glacial. J'ai oublié^ dans cette
énumération, le poëme de la Pitiéy ouvrage qui pQu-
voit être si touchant, mais dont Fauteur n'a fait
qu'un poëme décousu, sans intérêt, mais contenant
néanmoins de fort jolis détails. On peut porter à
* A rexcc^itîon peaMtre de ta bcMtanIque, en poarroît, avec de
rimaglnation, faire un poëme agréable sur ce si\)et. Cet ouvrage est
à faire : celui de Darwin^ CLes Amours det plantes^ est d*one
assommante monotonie. — (Note de V Auteur.)
t Un Ters aussi ridicule dans un autre genre est échappé à Tanteur
dtins VEjiéidey le voici :
" Né d*nn père persan ei d*uBe mière manre,"
[NoU d$ VAuieur.)
272 - MÉMOIRES
peu près le même jugement de son travail sur MîU
ton. M. Delille fut un grand versificateur, un poète
spirituel et brillant \ il est fâcheux qu'il' n'ait pas un
goût plus sévère^ il a gâté celui d'une grande quan-
tité de jeunes poètes, qui ont pris ses défauts, sans
avoir ses talens ; mids on ne sauroit trop le louer
d'avoir, dans tous les temps, montré un profond res-
pect pour les mœurs et pour la religion.
Mon frère, dont la femme et la fille étoient en
Suisse, éprouva un grand dérangement de santé dans
les premiers temps de mon établissement dans mon
nouveau logement \ afin de le mieux soigner^ je lui
demandai en grâce de venir chez moi ; Casimir lui
donna son logement et coucha dans une anti-
chambre, sur un lit de sangles, pendant les deux mois
que mon frère passa ch^z moi \ j'eus le bonheur de
voir sa santé se rétablir^ alors il jpartit pour aller
rejoindre sa famille. Durant son séjour à l'Arsenal,
il me fit part de plusieurs projets qu'il vouloit encore
proposer au gouvementent ; il y avoit dans tous les
mémoires qu'il a successivement donnés, des idées
excellentes et pleines de génie; l'institut même, dans
plusieurs de ses rapports sur ces ouvrages, l!a re-
connu, dans les termes les plus honorables pour lui ;
mais on a toujours déjoué tout ce qu'il vouloit faire,
par une phrase magique; pour lui nuire auprès de
tous les goûvernemens^ on répétoit qv!%l est un homme
à projets ; comme si tous leslnvente^urs, dans quelque
DB MADAMJR DB GBNLIS. 273
genre que ce puisse être, n'avoient pas été des
hommes à projets I Mon frère est incapable d'intri-
guer ; il s'est contenté de méditer profondément, de
réfléchir, et de travailler en silence; tout cela ne
suffit nullement pour réussir. Mou frère auroit été,
s'il l'eût voulu, un homme de lettres très-distingué :
il a reçu de la nature la plus heureuse organisation ;
beaucoup de goût naturel pour les arts, du talent
pour la composition musicale ; il a fait les airs de
plusieurs romances, qui ont eu beaucoup de succès
dans la société ; l'un de ces airs a été trouvé si joli,
que le fameux Jamovitz en fit des variations sur le
violon. Mon frère commença un grand ouvrage in-
titulé Henri Quatre^ dont il voulut faire les paroles
et la musique ; le poème, qu'il acheva, étoit charmant :
il en mit en musique les deux premiers actes, qu'il
montra à Méreau*, (excellent compositeur), qui en
fut très-étouné, et qui l'encouragea par les plus
* Méreaa débuta par des nufiets^ des oraiariOi^ et des cantates.
Celle à^Aliiiey reine de Golconde, publiée en 1767, commença sa ré>
pntation ; il avoit alors vingt-deux ans. Il composa ensuite ta musi-
que de trois opéras donnés au Théâtre-Italien, et de deux opéras
représentés à rAcadémie royale de musique. Il a laissé à ses enfans
« la musique de trois autres opéras qui n'ont pas été joués. Le
premier sur un sujet persan ; le second sur un BiOet g^c ; lê4 Ther-
mopjfUê; et le troisième sur un sujet romain, Scipion, Méreau, bon
compositeur, excellent théoricien, possédoit de plus le talent de bien
écrire sur son art. Né à Paris, il est mort dons la même yille en 1797
à rage de cinquante-deux ans. — {Note de V Editeur)
12**
274 MÉMOIRBS
grands éloges ; mus» d^ns ce moment^ uoe affiitre
survint : . mon frère bdssa là son opéra ; ensuite, il
l'oublia tout«à-fait; et enfin, dans ses diSërens
voyages et déménagemens, il l'a perdu. Il a borné son
talent poétique à faire de charmans couplets de so-
ciété, avec une promptitude et une fs^;ilité peu com-
munes. J'oserai dire que son caractère etjson cœur
méritent fuitant d'éloges que ses talens : on n'a
jamais été plus sincèrement obligeant, plus incapable
de haine ^ de rancune, et plus naturellement com-
patissant, bon et généreux ; on n'a jamais été d'un
commerce plus sûr et plus doux ; nous avons beau-
coup vécu ensemble, et dans le cours de notre longue
carrière, nous n'avons jamais eu une querelle, ou
seulenïent une discussion un peu vive; nous avons
été aussi étroitement unis par l'amitié que par le
sang.*
M. de Tréneuil fut attaché à la bibliothèque de
l'Arsenal, je trouvai en lui le voisin le plus obligeant
et l'ami le plus aimable ; sa place étoit immédiate-
ment après celle de M, Ameîlhon : s'il eût eu alors
la première, je n'aurois jamais quitté l'Arsenal.
Jç m'étpis tr9,cé à l'Arsenal des occupations qui
furent toujours très-réglées et très-suivies. La pos-
sibilité de pouvoir avoir tous les livres que je désirois,
^ me faîsoit einployer beaucoup de temps à la lecture,
• J'ai eu le malbevy àe lepeHre en IH^j-^Noie de FAuieur.)
DE MÀDAMB DB GENLIS. 27&
quoique je n^enase plus pour cette occupation Tar*-
deur et le goût passionné que j'avois eu jadis. De-
puis que M, Stoae m'avoit volé tous les extraits que
j'avois laissés à ma fiUe et qu'elle lui aroit confiés^
je n'avois plus cet attrait puissant qui engage à tout
£ûre pour augmenter une grande collection que Ton
a formée avec beaucoup de peine et de travail. D'ail*
leurs j'avois lu et relu |x)us les bons ouvrages, tous
nos chefe-d'œuvre : je me jetai dans les livres curieux,
mais je n'avois plus le plaisir extrême de tâcher de
faire de bons extraits 3 je manquois de courage en
pensant que j'en avois perdu la valeur.de plus de
soixante volumes imprimés et tous écrits dema mainé
Je me bornois à faire quelques notes qui ont encore
produit un assez grand nombre de manuscrits. Ce-
pendant je fis alors une lecture nouvelle l)ien intéres-
sante, ce fut l'ouvrage de M. de Bonald, intitulé la
Ziégislation primitive^ ouvrage plein de talent, d'ex-
cellens principes et de génie, d'un style à la fois
brillant, piquant et naturel, et qui me fit d'autant
plus d'impression, que je savois, ainsi que' tout le
monde, que l'auteur, qui s'y montre si religieux,
aroit, dans tous les temps, professé les mêmes prin-
cipes, et que sa noble et vertueuse conduite àvoit
toiQouTs été en parfaite harmonie avec sa croyance ;
cet éloge n'est pas suspect. Je n'ai jamais eu le
moindre rapport direct ou indirect avec M.de^Bonald,
on m'^ même dit îqu'on lui avoit donné des préven-
276 MÉMOIRBâ
tions personnelles contre moi. Mon indolence na^
turelle, quand il ne s'agit pas d'un travail sédentaire,
m'a toujours empêchée de chercher à me justifier
auprès de lui ; je n'ai nul besoin de son amitié pour
l'admirer; je trouve même quelque chose de satis-
faisant à lui rendre une justice tout-à-fait désinté-
ressée.
* Quand le livre de M. de Bonald parut. Napoléon
étoit sur le trône depuis quelques années, et il avoit
eu la gloire de rétablir la religion et d'abattre la
fausse philosophie. Les disciples de Voltaire et des
autres n'osoient plus montrer leurs principes. Vol-
taire et tous les écrivains de son parti avoient perdu
plus de la moitié de leur réputation ;^ tous leurs
ouvrages étoient à un rabais honteux, et la plus
mauvaise des spéculations eût été d'en faire quelques
éditions nouvelles; enfin la philosophie moderne
étoit universellement décriée et méprisée. Ce qui
achève de le prouver, c'est le paragraphe suivant,
tiré de la Législation primitivej et que je vais copier
littéralement.
n est beaucoup d'hommes qui se piquent de
raison, qui ne veulent être ni convaincus de cer-
" taines Vérités, ni entraînés dans certaines voies, et
" qui prennent le parti très-peu raisonnable de nier ce
qu'ils n'osent pas approfondir. Ces personnes ont
pu se donner le titre d'esprits forts \ dans un temps
'^ où ceux qui vouloient se délivrer d'une règle fâ-
Ci
DB MADAME DE GENLIS. 277
*' cheuse à l'amour-propre, et incommode aux pas-
'^ sions, se contentoient de quelque chose qui res-
" semble aux raisonnemens ; mais aujourd'hui que
" ces matières sont plus approfondies et rendues
"sensible par des expériences décisives, le titre de
^^ philosophe sera à plus haut prix ; on ne l'obtiendra
^^ pas, en répétant les sophismes de J. J. Rousseau,
"les sottises d'Helvétius, les logogriphes du baron
"d'Holbach, ou les sarcasmes de Voltaire."
Tel étoit en effet Tétat des choses à l'époque où M.
de Bonald s'exprimoit ainsi ; on auroit dÛ croire que
la restauration auroit achevé d'anéantir la fausse phi-
losophie, et le contraire est arrivé. C'est un fait
qui donne lieu à des réflexions bien affligeantes. .
Le Génie du Christianisme^ de M. de Chateaubriand,
parut deux ou trois ans avant la Législation primi-
tive; cet ouvrage fit une grande sensation, et il le
méritoit^ on y trouve d'admirables morceaux, entre
autres le défrichement des terres^ le bel épisode d'A-
tala ; et cet ouvrage a fait beaucoup de bien à la re-
ligion, et par conséquent à la monarchie; car la
royauté légitime, ainsi que la morale, n'a de base
véritablement solide que la religion. Les ennemis
de M. de Chateaubriand ne se lassent pas de lui re-
procher de l'affectation «et de l'obscurité dans sa
manière d'écrire, et ils croient faire la part de la jus-
tice, en disant que l'on trouve de bettes pages dans
ses ouvrages ; pour être équitable, il faudroit dire
278
MÉMOIRES
tout le contraire : l'ensemble de ses ouvrages est tou-
jours digne d'éloges et d'admiration^ la critique la
plus sévère n'y pourroit reprendre qu'une douzaine
de phrases hasardées, on en trouveroit davantage dans
les écrits sublimes de Bossuet ; dans les chefs-d'œuvre
de Racine (c'est-à^ire, dans toutes les pièces de ce
grand poëte, qui sont au théâtre) on peut compter
quinze où seize mauvais vers ; et l'on en reproche
autant à là Jérusalem délivrée, le plus intéressant
de tous les poëraes épiques. On n^a pu attaquer M.
de Châteaubriand^même à cet égard, dans son poëme
fies Martyrs, dans lequel il semble avoir pris Homère
pour modèle. Cet ou\Tage contient assurément de
grandes beautés, mais il me semble qu'en mettant en
opposition le christianisme et la mythologie, e'est-à-
dire^ la fable et la vérité, l'auteur auroit dû oflHr k
tableau des moeurs admiraUes des premiers chrétiens,
de leur union, de leur charité, ^e leur désintéresse-
ment, de leurs adoptions, de leurs .solennités re-
ligieuses, qui auraient formé un contraste si frappant
avec les fêtes sanglantes de Bellone, les infâmes bac-
chanales, les orgies, les fêtes de Flore, des païens^
dont l'auteur ne parle pas. Celui des ouvrages de
M. de Chateaubriand que j'admire le plus c'est son
Itinéraire de Jérusalem ; 11 y a dans ce voyage des
descriptions délicieuses, et d'un bout à l'autre, un
sentiment religieux toujours vrai, toujours touchant;
le& effets différens que {»roduisesA sur le voyageur
DE MADAME DTB^ GBNLIS. 279
Taspect des îles de la Grèce et celui de Jérusalem,
sont d'une vérité parfaite et admirablement décrits.
Cet ouvrage suffiroit seul pour assurer à son îllusr
tre auteur la plus brillante et la plus solide renommée.
Voici les rapports que j'ai eus avec M. de Chàteau-
briaitd. Je ne le connoissois point du tout^ lorsqu'il
m'envoya, quand il^ parut, le Génie du christianisTne,
en m'écrivant le billet le plus obligeant. Xe Génie
du christianisme fut, à son apparition, le sujet des
louanges les mieux fondées et du dénigrement le
plus injuste. Il est vrai que l'on pouvoit citer de cet
ouvrage un très-petit nombre de phrases hasardées.
Je défendis M. de. Chateaubriand dans la société,
avec toute la vivacité dont je suis capable ; il avoit
contre lui les gens sans religion et les littérateurs
envieux, qui formoient une multitude d'ennemis ; et
je puis dire avec vé^té, que je m'en suis fait beau-
coup en le défendant. Je savois cependant et arec
certitude, par M. de Cabre, que M. de Ch&teau-
briand étoit tout le contraire pour moi, ce qui ne m'a
pas empêchée de me conduire toujours de même à
son égard et d'écrire dans ce sens à l'empereur, dans
le temps où il fut si irrité contre Jui. Je fis voir cette
lettre à M. de Cabre, qui Ja trouva si remplie d'inté-
rêt pour M. de Chateaubriand, qu'il me demanda de
la faire voir à madame de Laborde ; je la lui donnai,
en le priant de lui dire en même temps que je l'avois
* chargé, ce qui étoit vrid, de cacheter cette lettre.
280 MÉMOIRES
quand elle Tauroit lue, et de l'envoyer ensuite chez
M. de Lavalette, chargé de ma correspondance avec
l'empereur ; ainsi voilà assurément un procédé bien
clair. On ne le laissa point ignorer à M. de Cha-
teaubriand, qui se crut obligé de venir m'en remer-
cier. Il resta assez long*temps dans cette visite, qui
fut tête à tète, je le reçus de mon mieux; et, sans
aucune espèce d'explication, nous parlâmes littéra-
ture :' il s'exprima avec simplicité et avec le ton
d'une modestie remarquable; il me parut extrême-
ment aimable, et il a en effet beaucoup plus d'esprit
et de talent qu'il n'en faut pour l'être.* J'ai fait de-
puis son éloge, sans y joindre un seul mot de cri-
tique, dans plusieurs de^ mes ouvrages ; et j'ai tou-
jours eu le langage qui s'accordoit avec cette con-
duite. Je n'ai jamais pu supporter d'entendre ac-
cuser M. de Chateaubriand d'hypocrisie ; première-
ment, parce que personne n'a le droit de dire d'un
auteur qu'il ne pense pas ce qu'il écrit; et ensuite,
parce qu'il faut n'avoir aucun sentiment du vrai,
pour n'être pas persuadé, que M. de Chateaubriand
a écrit de bonne foi ses plus b^aux morceaux sur la
religion et son Itinéraire tout entier. Celui qui a
* Quand J*écriyois ceci, tels étoient alors nos rapports respectifs 'y
M. le yicomte de Chateaubriand m^a montré depuis beaucoup de
bienveillance, et je conserverai toujours beaucoup d*attachemeDt
pour celui qui réunit à de grands talens des sentimens religieux.—
{Neêe de rAnieur,)
r
■
DE MADAMB db grnlis. 281
tait Atalay pelui qui, étant sur mer et s'adressant à
Pieu, dit : Jamais je ne fus plus troublé de ta gran-
deur! celui qui a décrit si admirablement Timpres-
sîon qu'il éprouva à Taspect de Jérusalem ; celui-là
n'est sûrement pas un hypocrite.*
, Puisque je parle de la littérature dans cet ouvrage,
je dois y consacrer un article à madame de Staël. Je
ne Tai critiquée dans mes ouvrages, que parce qu'elle
a attaquée ouvertement dans les siens la morale et
la religion ; sans cela, je n'aurois censuré qu'en gé-
néral l'incorrection et l'obscurité de son style, mais
je n'aurois jamais cité une partie des phrases ridicules
qui se trouvent en si grand nombre dans ses écrits.
Je n-ai jamais fait ces critiques qu'en employant io\xn
les ménagemens de l'honnêteté sociale, et en parlant
toujours avec estime de sa personne et de son carac-
tère. Madame de Staël eut le malheur d'être élevée
dans l'admiration du phébus, de l'emphase, et du
galimatias. La diction ampoulée de M. Thomas fut
pour elle, dès sa première jeunesse, le type de l'élo-
quence. Elle joignit à ce malheur celui d'avoir tou-
jours négligé la lecture des grands écrivains du siècle
de Louis XIV | elle avoit fort peu d'instruction réelle,
et n'avoit jamais fait une étude sérieuse de la langue
* Je ne parle point de Tépisode de René; c^est un petit roman,
dont la conception est fausse et immorale : une jeune personne, par-
faitement pure^airec de la piété, n^éprouvera jamais une pasuion i^us^i
monstrueuse;,— /"iVo^e de VAnteur,J
^ 282 MEMOIEBS
française, dont eUe a toujours ignoré les règks leit
plus connues, comme on peut le voir dans ses pre-
miers ouvrages, et dans beaucoup de passager des
derniers. C'est ainsi qu'elle écrivoit ; qu'il est doux
d'aimer et de F être,* et qu'il lui airivoit fréquem-
ment de féminiser des mots masculins i par exemple,
c'est moi qui, dans une de mes critiques imprimées^
lui ai appris que Ton dit un charmant épisode, et non
une charmante épisode. Le premier ouvrage qui ait
commencé' la réputation de madame de Staël, fut
celui qui est intitulé c De l'influence des payons sur
les nationé et sur les individus. Le but est de prouver
l'utUité des passions; c'étoit la doctrine des encyclo-
pédistes, qui entourèrent l'enfance et la jeunesse de
madame de Staël.* Il faut pardonner à sa mémoire
ces principes pernicieux, on les lui avoit inspirés
dès le berceau. Madame Necker, sa mère, étoit
philosophe sans le.çavoir; M. Necker étoit anti-
philosophe par la droiture de son caractère, mais
philosophe par la fausseté de son esprit : il a combattu
de bonne foi l'impiété de sa secte, mais en adoptant
une infinité d'en'eurs qui pouvoient servir de base à
cette irréligion ; car il est à remarquer que les com-
plots de la philosophie moderne ont été èi bien ourdis,
qu'ils ont altéré la raison et les lumières d'une très-
grande partie de ceux dont ils n'ont pu corrompre le
* Eloge de J.^. Rouesean»— {iVofe ée VAfÊtHKr.)
DK MADAUB lUft GENLIS» SSS
eceur. C'est dans l'ouvrage de niAdame de Staël,
que je viens de cher, qu'elle fitit le plus grand éloge
du suicide, et el||e appelle, en propres termes,
ce crime un 6u:te sublime» C'est' là qu'elle dit:
^' Qu'il est heureux que tous les scélérats soient in-
capables de commettre cet acte sublime." Je répon-
dis alors qu'il étpit étonnant qu'elle eût o'iibUé que
les plus grands scélérats et les noms les plus dés*
hoaorés de l'histoire ont été des suicides : Judas,
Saatdanapate, Messaline, et Néron. Pour l'intérêt
de la morale, de la religion, et de la littérature, j'ai
tourné .en ridicule beaucoup de sentimens et de
phrases des ouvrages de madame de Staël, surtout
dans ma nouvelle intitulée la femme philosophe | et
depuis, dans Vh^fbience desfemmies sur la littérature
française, ces critiques (quoiqu'elles fussent accom-
pagnées de beaucoup d'éloges), l'ont rendue mon
ennemië.=*^ Cependant elle en a profité à quelques
égards : elle a écrit publiquement, depuis la restau-
ration, qu'elle se repentoit, et qu'elle désavouoit tout
ce qu'elle avoit dit sur le suicide : ainsi j'espère que
dans une seconde édition, faîteau bout de vingt-trois
* Avec une excellente maison^ beaucoup d^esprit et de célébrité,
il est bien fadle de se faire un g^nd nombre de partisans. Pour
moi, j^fti toujours été très-choqaée, lorsque j*ai tu qu'on dépris<ût les
taleas de madame de Staël, avec Intention de me plaire, et Je puis
dire avec Térité, que Je ne Tai Jamais souffert. J'avoue que la fierté
avoit autant de part è cette conduite que la générosité.— -(ZVbfe de
PAuteur-)
284 BiéMOIRKS
ans, de V Influence des pcLssions, et qu^on àfaitpa*
roitre depuis la mort de' madame de Staël^ on a re-
tranché son panégyrique du suicide. J'ai été utile
aussi à madame de Staël sous le rapport du style. Il
est certain que, depuis la publication de la Femme
philosophe^ il y a eu beaucoup moins d'affectation
dans sa manière d'écrire. Néanmoins, dans son
ouvrage sur l'Allemagne il y a plusieurs phrases, et
même quelques paragraphes, qui sont incompréhen*
sibles par les idées, l'assemblage étonnant de mots
qui ne doivent jamais se trouver ensemble, et le
sens, que l'auteur même n'a certainement pu com-
prendre, entre autres le passage suivant :
^^ Il faut, pour concevoir la vraie grandeur de la
*^ poésie lyrique, errer, parla rêverie, dans les régions
" éthérées, oublier le bruit de la teri'C, écouter l'har-
^^ monie céleste, et considérer l'univers comme le
'^ symbole des émotions de l'âme. • • • Le poëte sent
'^ battre son cœur pour un bonheur céleste qui
" traverse comme un éclair Tobscuriié du sort."
(Troisième volume.)
Le premier roman de madame de Staël, Delphine^
n'eut aucune espèce de succès : il ne pouvoit en
avoir à aucun égard. Celui de Corinne^ ainsi que
tous les ouvrages de madame de Staël, n'eut pas
davantage le succès du débit ^ car il est remarquable
que, malgré tous les efforts de ses amis, elle n'a
jamais pu avoir le succès d'une seule édition enlevée
DE MADAME DE GENLIS.
285
en quelques jours par le public. Son second roman,
Corinne, avec tous les défauts de style que l'auteur a
toujours conservés, passe pour être son meilleur
ouvrage : il manque d'invention, de vraisemblance
et d'intérêt. L'héroïne, amante passionnée, n'aime'
ni son pays, ni sa famille | elle brave toutes, les
bienséances et tous les usages reçus ; elk se livre avec
fureur à une .passion forcenée, et j'avoue qu'il me
paroltra toujours inexcusable de créer des héroïnes
pour les peindre aussi extravagantes, et de nous les
proposer comme des -modèles dignes de toute notre
admiration. On voit dans cet ouvrage Corinne se
prosterner devant son amant sur le rivage de la
mer, et se relevant avec le front égràtigné. On a
trouvé que, dans cet ouvrage, elle avoit imité, une
scène d'un de mes romans, celle où je fais errer mon
héroïne désespérée dans la campagne et dans les
bois, et rentrant ensuite pâle, tremblante, glacée,
et accablée de douleur. Ce n'a pas été sans dessein
que j'ai mis cette scène en hiver. Si, d^s cette
situation, mon héroïne eût parcouru la campagne
en été, sous un soleil brûlant, elle çeroit revenue en
«ueur, rouge, animée ; elle n'auroit offert à l'imagi-
nation que ridée d'une bacchante. Madame de
Staël, en imitant cette scène, a changé la saison ; la
scène se passe à Naples, au milieu des ardeurs d'un
été dévorant. On trouve dans son ouvrage, outre un
manque de goût continuel, les idées les plus étranges ;
!
2S5 m4moiiiss
c'est ^nfii que Ton- voit CôriBne) qui a de temps en
temps quelques sensations r^gieuses, aller faire une
priète dans ki ciiapelle de la Vierge, et lui confier les
tourmens «de sa flafi»ne, "^ parce qée, dk-elle, une
femme (elle parle de la Saittibe^Vief^ !) doit être
plus compatissante pour kfi peines «eu coenr/' Ce-
penilaiit ce même «mvrage «if&e plusieurs morceaux
(figues d'éloges ; mais les improtisaftions de Corinne
demandoieiit surto,ut un beau style, ce qu'elles n'ont
jamais : l'éloqueivce et les idées y manquent égale*
ment.
Sur la fin de ^ vie, madame de Staël, à Paris,
avoift une grande maison, une grande fortuné ; elle
avoit contribué à la restauration, ce qui lui assixroit .
équitablement tous les ménagemens et tous les égards
des royalistes ; elle afficlioit de grands principes
libéraux, elle recevoit les chefs ée ce parti «à des
heures particulières. Âitisi, à la fin de sa carrière,
elle eut des partisans et des prôneurs dans tous les
pdfrtis { elle les ménage tous ^aus son ouvrs^e pos-
thume, qui a ^té loué par les libéraux avec la plus
inconcevable exagération*. Les ouvrages de litté-
• Hs se sont accordés à louer avec excès la phrase snr Henri IV,
qai dit qaMl fut iefius PrançaUdetoio» imis rois; phrase prise da
portrait que j*ai fait de ce prince dans mon JSUiaim de Hmai^ê-
Grand. J^ose dire que ma phrase, qui exprimoit la même idée, et
dont aucun journaliste n'ayoit fait Téloge, étoit mieux tournée que
eeUe^e madame de StaëL-^iVi^fe de V Auteur,)
OB MADAME DE 6ENLIS.
287
rature ne {>a8sent avec gloire à 4a postérité que lors-
s
qu'ils ont le mérite incontestable et reconnu du
style. Sénèque, malgré son esprit supérieur^ éminem-
ment brilhmt^' et les sentimens les plus élevés, n'a
jamais été un auteur classique.
Madame de Staël sera toujours comptée au rang
des femmes célèbres ; mais ses productions ne seront
pas rangées parmi les ouvrages classiques^ quoiqu'on
y trouve souvent un esprit supérieur. J'ai toujours
regretté qu'un esprit tel que le sien n'ait pas été
mieux cultivé, mieux dirigé, et qu'elle n^it pas reçu
ses notions littéraires à une meilleure école: l'en-
thousiasme sur parole des premières années de sa
jeunesse a tristement influé sur son existence litté-
raire. J'ai beaucoup vu madame de Staël chez sa
* mère avant son mariage : elle annonçoit dès lors
beaucoup d'esprit ; mais elle montroit une vivacité
inquiétante. '
Madame Necker m'amena plusieurs fois sa fille, à
Belle- Chasse: elle me témoignoît une amitîé'ex-.
traordinaire ; il y a voit toujours de l'exagération de
fait dans ses démonstrations passionnées, mais il
n'y avoit jamais de fausseté. £Ue a eu de la bonne
foi dans ses çrreurs et dans son emphase, et rien
n'excuse mieux les mauvais systèmes et le mauvais
goût dans la conversation et dans les écrits. Elle
tn'a inspiré mille fois une idée et un sentiment qu'elle
n'a jamais soupçonné : souvent, en pensant à elle,
j'ai regretté sincèrement qu'elle n'eût pas été ma
288 Mé&ioiRtts
fille ou mon élève; je lui aurob donné de bons
principes littéraires^ des idées justes et du naturel;
et, avec une telle éducation, l'esprit qu'elfe avoit
et une âme généreuse, elle eût été une personne ac-
complie et la femme auteur la plus justement célèbre
de notre temps.
Lés journaux, dans le temps que j'habitois l'Ar^
senal, n'étoient pas aussi nombreux qu'ils le sont
aujourd'hui, où l'esprit de parti et la politique en
rendent quelquefois sur les ouvrages nouveaux les
jugemeus littéraires si peu équitables. Je lisois
habituellement le Journal de Paris^ et le Journal de
r Empire. Geofiroy* vivoit : il avoit de l'esprit, mais
• La critique de GeoStoj, souvent injuste et passionna, étoit
presque toi^ours spirituelle et piquante. Un g^nd fonds dMnstmctioii
lui permettoit de soutenir ayec avantage les discussions littéraires les
plus élevées. Il avoit succédé à Friron dans la rédaction de VAn^
née littéraire. Il s^attacha ensuite à qpe autre feuille périodique,
intitulée Journal de Monsieur ; et lorsque la révolution éclata, il se
réunit à Tabbé Royox, rédacteur de VAmi dm roi. Pendant la
terreur GeoflProy se cacha dans un village où il se fit maître d^école.
Enfin, après la révolution du 18 brumaire an VIII, il revint à Paris,
et peu de temps après commença dans le Joumai dee Débats la
longue lutte qu*il a soutenue contre Les auteurs dramatiques et les
auteurs les plus célèbres de cette époque. Il donna aux lettres
Texemple d*un scandale que nous avons vu renouveler dépuis d^une
manière plus hardie encore ^ \\ fit commerce de ses éloges, et déchira,
•ans pudeur et sans pitié, tous les talens qui i^efusoieut de payer un
tribut à sa plump. Ses critiques participoient alors de la bassesse
du sentimeoC qui les inspiroit 5 elles étoient brutales et grossières.
GeofiVoy, né à Rennes en 1743> est mort à Paris au mois de féi'rier
nU.-^Note de r Editeur J
DB MADAM£ DK 6BNLIS. 289
on Ta- beaucoup trop loué comme critique. Hors
d'état- de juger des ouvrages dé s^eiitimeilt, il en
pôâoit mal^ et quelquefois d'unie manière ridicule.
Il n'a' jamais rien dit contre mbi : ri n'a pai4é de
meë ouvn^s qti'aTéc bièrivdlîatice 5 ainsi, mon
jttgèinent sut' hn ii'eytpats éuspect II a donné d'ex-
cellëns iartidiss dani» de journal, mai^ il en à fait un
MRsi grimé n'oMitë de réritabteihent mauvais; son
e^rém^ pïiftiàlité gàtoit sans cesâé ses jugémens.
St mâlhièi^ eh général étoît piquante ; il avoit dé la
plaisatiïerie dahis T^sprit, mais il n'y àvoit point de
variété. Il n'a jamais su être lïolide et ^rieùx avec
esprit^ ni louer avec bon goût ; il manquoit de mesure
et de tact. H a souvent parlé de madame dé Staël
aV«c ifidëefèrioe, et des tragédies dé Voltaire avec
injustice ; et c'est lui qui a dit de l'empereur, qu'il
y àvoit de V athéisme à niet ses grandes qualités^ on"
n'a jamais poussé la fiatterîe plus loin, ni prodigué
davailtage la critique amère' et dériigtante.
^ Je n'ai jatùais; danS/toùtè riaà vie, fait autant de mé-
ditations sur mes lectures, que j'^n fis dans ce temps ;
je relus tous les anciens auteurs, non-sèùlement
du siècle de Louis XIV, mais du siècle précédent ; je
m'attachai particulièrement, en étudiant les progrès
dé la langue française, & me rendre raison dés motifs
qui aVoiëût décidé à rëjèter leé vieux mots, les vieilles
lôtotibns, et à introduire' les nouvelles manières de
pairler, et* lèà* riouVeaux' toure dont se compose Ta
TOME y* 13
290 MÉMOIRES
• - • ^
langue qui a produit tant de chefs-d'œuvre. Je
n'a?ois jusque-là étudié que l'exacte propriété des
mots^ et rharinonie de la langue ; Racine^ en vers,
Massillon et M. de Buffon en pro8e> ont été à cet
égard mes principaux maîtres ; mais la nouvelle
étude dont je viens de parler eut pour moi un charme
tout particulier ; ilfalloit pénétrer, deviner les in-
tentions des plus grands écrivains que nous ayons
eus : cet exercice plaisoit à mon imagination, il
flattoit mon amour-propre, et piquoit ma curiosité.
Il étoit beau de s'initier dans de tels secrets, et
dans tout èe que j'en ai pu découvrir, j'ai toujours
trouvé quelque chose de moral, de délicat, et
d'ingénieux; par exemple, j'ai cherché pourquoi,
en bannissant du langage noble une grande quan-
tité de mots et d'expressions qui n'offrent que
des locutions familières, et qui n'ont rien de cho-
quant, on avoit néanmoins conservé plusieurs mots
ignobles, et qui présentent les images les plus dé-
goûtantes, tels que boue, fange, fumier ; et j'ai trouvé
que l'élévation de l'esprit ^et de l'âme avoit dû con-
server ces mots, afin de pouvoir, par d'odieuses com-
paraisons, déprécier mieux ce qui est vil, et montrer
pour toute espèce de bassesses morales le dernier
degré du mépris* S'il falloit détailler toutes, mes
remarques sur ce sujet, je serois forcée d'écrire un
volume ; je me contenterai de dire que cette étude ,
m*a prouvé que la j&xation d'une belle langue est le
DE MADAME DE GBNLIS. 391
fruit et .rouvrage des réflexions les plu^ fines^ les
plus spirituelles, les plus justes^ et du goût le plus
pur.
Huit ou dix mois avant mon dëpart de l'Arsenal,
Casimir alla à Vienne, où il eut les plus grands succès
dans tous les genres ; il y vit beaucoup le prince de
Ligne, pour lequel je. lui* avois donné une lettre, et
qui m'écrivit, en parlant de lui, qu'U le trouvoit
un Jeune homme cLccomplL Casimir, n'ayant pas
reçu le sacrement de la confirmation, se fit confirmer
à Vienne^ et, suivant l'usage du pays, il prit un
parr^n : ce fut le prince de Ligne.; une autre coutume
du même pays autorise le parrain à donner à ^on
filleul un de ses noms de famille, et le prince de
Ligne donna à Casimir le sien, qui n'est pas celui
de lÂgne^ mais He la Morald^ et que Casimir a le
droit de prendre dans tous les actes, .et il fut con-
firmé, avec beaucoup de pompe, par l'archevêque de
Viennç., Casimir fit à Vienne une fort jolie action :
Madame Larcher, une personne intéressante, remplie
de talens, et jouant du violon d'une force remarqua-
ble pour une femme et pour un amateur, perdit tout à
coup une fortune assez considérable, et sans qu'il
y eût de sa faute j on Im conseilla d'aller à Vienne,
, pour s'y faire une ressource de ses talens ; mais elle
n'y connoissoit personne : elle n'y fit rien, et §'y
trouva dans le plus mortel embarras; dans cette
extrémité^ elle eut recours à Casimir, qui sur-le-
13*
292 BiâMoiiûBs
ohan^p lui proposa de donner an> concert à son seul
pcofiit^ ealui prjomettontd'y jouer, et lui permettant
die le faire annoncer* Cette annonce eut l'effet dé-
siré j lar salle fixt pleine, et madame Laroher fut tirée
de: peine»* , "
Panant T^bsenoe de Casimir^ Je^ pris auprès de
moi une t personne très^spirituelle et; fort ainmble,
vamméo madaniie Rousself, que j'employai pEi^iou-
liàafmeiKt ki l'éducation d'Âlf^ed^ dont j'^tois- tou-
jours* parfaitement contente, pour s» donceuTy sa
docilité etiiouiboa* cœur 3 il oommençoità jcmer fort
jolimeiiKtLde.laiharper son adresse et sondndustrie en
toutes; cfaoses étoîent déjà extraordinaipes ; Casâmir
lui avoiti donné une énorme quantité de joujoux :
lorsqu'ils étoieut crasses, il les- raccommodoit, ou en
faisoit' de semblable», smssi bien que l'auroitpa faire
lé meiUeuc ouvrier ; il a depuis cultlvé^eettie adresse,
qui e^t dér«imei incomparable, a^nsi que son taient
pour lai mécanique; dès' l'âge de quatorze ou quinze
• Je. ponrroîft'dABr d» Gafiimtrtnuei infinité idft:tmito.Ul0 ce:, genre.
Je n?en rtegçioxteraâ. plus x^n^an» Il «ii4 1^ Mnheur de proeoreF} p^
le moyen d*ane de ses . amieS| une place ayantagease anf»^ d*ane
grande dame polonoise, à madame Robadet, dont J*ai déjà parlé. Il
aittacha tant de prix à cet événement; qti*il crutdevoir recomiot^re
robUgeancejde aen aiaaie «ucdomaBl .gvatntltenentJ à^su^fllle (ttialnit
mois de ^çuns de harpe.
f Je m'en suis sép^urée depuis pour son intérêt, ,en lui fiôsant aToir
une fort bonne place, en Italie, que les réyolutidns lui ont fiiit
peitire.— <M)#«t d$ VAuleur,)
DE MADAMB B3fi GENLIS. 2SS
BXkSf c'était lui qm raésicomxxfodoitj et parfaitement,
toiitesmesaerrareBles plu^.clm^{klk{tlées, et quixé^bk
toutes mes pendules, idont il eonnoissoît ai bien le
mécanisme qu'il est parvenu à en faire une tout
seiU (pour son bâte), âa&s avoir jamais pris une
seule leçon d'aucun horioger^.
.Pendant mon séjour à T Arsenal, je ftassai- trois
étés à lacaBB^>agne avec Qasimir et Alfved; Tun chez
madame de Brady, au château de Bebreckien, «après
d'Orléans^ le second chez madame du Brosseron, à
Sorel ; le troisième à Sillery. Je ne revis pas sans
.une profonde Motion ce lieu où j'avois passé les
plus heureuses années de ma première jeunesse. Je
le trouvai bien déplorabkment changé ; les superbes
bois du Meserâl étoient coupés, aiufsi que les beaux
arbres de la cour ; une aile du château contenant la
belle galerie et la chapelle étoit abattue ; les îles dé-
licietises et leurs charmantes fabriques, si obligeantes
pour moi, faites par M. de GenE4, étoient détruites,
et n'offiroient plus que de tristes marécages ; le reste
du château étoit démeublé ; les beaux parquets du '
rez-de-chaussée, qui ^voient été refaits avec magnifi*
(fence, en bois précieux, par madame la maréchale
d'£strée, avoient été arrachés par la rage révolntion-
* n a fût depBîfli sans leçons al conseil, une montre à répétitien *
etnne belle pendule pour mon petit-fils» dont il ^ doré et bronzé Ini-
même tous les omemens. — {Note de V Auteur,)
291 BféMOIRBB
naire^ parce qu'on y avoit vu représentées- des ar-
moiries avec le bâton de maréchal de France. Je
n'y retrouvai avec plaisir que la cbambre où Henri
IV avoit couché trois nuits ;, tous les vieux meubles
y étoient encore ; le dama» cramoisi qui les formok
étoit si usé qu'il n'avoit pu tenter la cupidité des^
révolutionnaires. Enfin je ne pouvois que m'attrister
dans cette habitation, jadis si brillante et si belle,
qu'un Anglais célèbre (M. Young)^ dans son voyage
de France fait avant la révolution, dit qu'il n^à rien
vu en France qui lui ait plu autant que Sillery. Je
fis faire, dans l'église de la paroisse, un service
funèbre pour mon mari, aussi magnifique qu'il est
possible de le faire dans un village; tous les curés
des environs s'y trouvèrent, et, pour les y rassembler,
il fallut célébrer le service un jour ouvrier. Il
iut annoncé au prône, et pas un seid paysan ne
manqua de s'y rendre ; on y vit même des vieillards
infirmes s'y faire porter, et des malades sortir de
leur lit pour la première fois, afin de rendre cet
hommage de la reconnoissanee à la mémoire du
seigneur bienfaisant qu'ils avoienttant aimé ! L'église
&t tellement remplie, qu'une partie des paysans ne
put y entrer, et resta sous le porche et autour de
l'église. Tous ces paysans, et sans exception,
donnèrent à la quête, et ils perdirent une demi-
joùrnée de travail : il n'y a point de discours acadé-
mique qui puisse valoir un tel élpçe !.
ÛE MAtiAME DE GENLIS. 2^5
Cependant, à l'Arsenal, Teau s'étant infiltrée dans
les vieux murs de mon appartement, il arriva plusieurs
accidens qui auroient pu être bien funestes: pre-
mièrement cette infiltration causoit dans ma cbambi'e
à coucher une excessive humidité; ensuite plusieurs
parties du mur, se détachèrent, et entre autres tout le
lambris d'une fendre, qui tomba sur madame Roussel^
et qui pensa l'écraser ; mais, par un bonheur inouï,
elle ne fut point blessée, et il est tout aussi heureux
et tout aussi surprenant que, pendant les six derniers
mois que j'ai passés dans ce logement, je n'aie pas
pris de rhumatisme. Enfin je demandai qu^ou y fît^
les réparations nécessaires ; mais M. Ameilhon, avec
sa bonne volonté accoutumée, persuada aux ministres
^ue cette dépense monteroit à plus de quinze miEe
francs! On auroit pu la faire pour cent louis. On
me répondit que la Bibliothèque n'avoit pas les fonds
nécessaires : il fallut bjien se résoudre à quitter l'Ar-
senal. Comme le gouvernement s'étoit engagé à me
loger toute ma vie, et qu'il n'y avoit pas de logement
vacant à sa disposition qui pût me convenir, j'imagi-
ne que j'étois autorisée à demander une indemnité
et, par l'effet de ma modération naturelle, je ne la
demandai que de huit mille francs, sachant bien que
je ne pourroismelogerunpeu convenablement qu'en
donnant douze ou quinze cents francs. J'obtins sur-
le-champ ces huit mille francs, et mon logement de^
venant tous les jours plus menaçant et plus périlleux^
996 ' MÉHOIRB5
j^en sortis à la hâte. La sensation .que j'épiottVïai en
quittant l'Arsenal me fit bien comprendre ccHobifin
le sentiment qui nous attadi^ à la patrie est natiutfil.
L'Arsenal^ que j'habitois depuis ^euf ans^ medgjBé
tou3 les désagrémens que j'y ayois éprouiréa^ <étoit
devenu pour moi une espèce de patrie. Toutes tes
âme^ ^nsibles.^'attacher^njt^toujoucs^ plus4^u.moiiiS5
aux lieux qu'elles ont habités long-temps; l'hal»-
tude, 4ans de certaiaes choses n'est insipide que
pour les mauvais cœurs et le^ esprits frivoles^ qui se
flattent toujours de trouv^er quelque arautage dans le
changement. Je quittai donc l' Arsenal av^c un sea-
timent pénitde, dont l'amertume fut encore Pigmentée
par ma séparation d'avec madame Roussel, qui^ à
cette époque, partit pour l'Italie ; Alfred, qui s'éUât
vivenient attaché à elle^ fimdken lurmesen lui êàaaxkt
adieu.' Je fus exigée de prendre, faute d'autre, un
appartement très-incommode dan» le même qu^iier,
rue des Lions : il était assez .grand, au premier, mais
gothique, ridiculement distribué et foiÉ malsain par
l'humidité.
Je passai là cependant de fort agréables aokées,
gr&ces à MM. 4'Estourmel, Briffimt et de Treneuil,
qui se rendoient' régulièrement ehez moi tous, les
samedis ^au soir; chacun d'eux me Usoit un petit
fragment inédit toujours en vers. Je leur liaois de
mon côté quelques morceaux de prose. Ces lectures
tauJQuœ suivies d'une conversation tris-animée qai
DE MABAMB Blf 6ENLIS. 29?
se proloi^eoit souvent jusqu^i minuit^ ce qui dura
tout rhîver.
J'étois encore à la rue des Lions^ lorsque M. Ameil-
hon fit une chute affreuse sur le grand escalier de
TArsenaly car^ malgré les instances d'une femme
aussi attentive que vertnense, 11 vouloit toujours alfer
seul; il étoit très^vieur, on accourut à son secours^ et
' on le porta mourant dans son lit ; on désespéra bien-*
tât de sa vie. J'envoyai avoiv tous les jour» de ses
nouvelles ; il le sut^ y parot senrible f et «n jour il
fit entrer ma femme de chambre et la chargea de me
dire qu'il se rappeloit avec peine nos petites querelles
de l'Arsenal^ et qu'il m'en demandoit pardon j cette
espèce de repentir me toucha sensiblement : il mourut
peu de jours après. C'étoit un homme humoriste ft
morose, mais qui avoit beaucoup d'instruction et
d'excellentes qualités»
J'ai fait un ouvrage sur les plantes usuelles, à
l'usage des jeunes personnes, car il est impossible de
mettre entre leurs inains ceux qui sont dans le com-
merce, parce qu'il» sont remplis de détails sur les
plus infâmes maladies. J^avois supprimé dans le
mien tous ces détails, et j'avois tâché d'y mettre de
l'agrément et de la morale; enfin je n'avois négligé
aucunes des recherohés et des soins qui pouvoient
donner de l'intérêt à ce Hvre et le rendre titOe aux
mères de famille et aux jeunes personnes.^
* Je Hmi cet oavTage à M. Barroia mois fidre ancun eilgk|^ei!t
13**
298 MJSMOIRB9
J'ai éprouvé, en arrivant à Paris, un procédé étcn^
nant d'un libraire que m'amena mon ami, M. Piejrre :
par écrit. Je n*en ai rien tonchéy mais Touvri^ n*a point paru ;
j^gnore Pâsage qn*en veut faire M. Barrois. , J'ai quelques lettres de
lui qui prouvent qu*{l y a plusieurs années il deyoit le faire parottre
incessammentr. Comme J'ai beaucoup de raisons d'estimer M. Bar«
Koii^ dene lui faire aucune peine, je n*ai point donné de suite à cette
afiaire ; mais Je reg^rette cet ouvrage, que M. Corréa,^ un très-grand
botaniiste portugais, avoit Jugé très-utile à la Jeunesse, sous tous les
rapports. M: Corréa avoit même eu la bonté d'y faire deux oa
trois additions de plantes exotiques qjui m'étoient inconnues. Je
n'en aj point de. C0pie,je n'en ai. gardé que quelques fragmens. Le.
manuscrit remis à M. Barrois étoit écrit de la main d'un Jeune Corse
de mes amis, neveu de M. le comte de Brady, qui avoit copié les
fragmens que j'ai conservés, et le reste est écrit sous ma dictée.—.
ÇNoie de r Auteur;)^
• Joseph François Cbrréà de Sèrpa, hè vers Tàn 175Q ; en Portii^
gai, fut élevé en Italie, et compta parmi ses maîtres le célèbre abbé
Génovesi. De retour dans sa patrie il contribua puissbmmi^nt à la
fondation de l'académie royale dea sciences de Lisbonne.. H en fut
nommé secrétaire perpétuel en 1779. Sous le titre de Monumewto^
ineditosy M. Corréa publia la collection dés Mémoires, fournis par les
académiciens, sur l'Histoire du Portugal. Il passe pour être l'homme
le plus BaYanifééVEvLrd^^ûanBh: Botanique Phjfsiologique. Objet
des persécutions 4e tons les ennemis, des lumières, pour s'y sous-
traire a fut forcé de s'éloigner de Lisbonne: il vint à Paris en 1786,
A la mort de Pierre III il retourna en Portugal, et peu de temps
après il se vit obligé de s'en éloigner une seconde fois, pour échapper
à, l'inquisition : il se réfugia en Angleterre. L'honorable M. Banks le
fit nommer membre de la société royale de Londres. Dès que la
Raix fut signée, Corréa passa e^n France où il fut reçu membre cor-
respondant de l'Institut. Après^ onze années de s^our à Paris, M.
Corréa s'embarqua. pour l'Amérique, et, en 18l6, le roi de Bottu-
ÛE MADAME DE 6ENLIS. ' 299
Ce fut au sujet d'une nouvelle édition des Mères
rivales j avec l'augmentation d'un volume tout nou-
veau ; l'édition fut enlevée en huit jours. Je n'avois
pas fait d'engagement par écrit, et Iç libraire m'en a*
refusé tout nef le paiement ; et je n'avois aucun
moyen de le forcer juridiquement à tenir sa parole.
Je n'ai jamais rien éprouvé de semblable avec Mara-^
dan : je lui ai toujours trouvé Beaucoup dé diroiture et
d'exactitude ; il est vrai qu'il a fait de bons marchés
avec moi, mais c'est parce que j'avois de l'amitié pour
lui et que je le voulois. Je fis dans la rue des Lions,
mes Notes sur Labruyère; cette première édition,
dont je négligeai de revoir les épreuve, fut défectueuse
en tout: on laissa les mauvaises notes de Lacoste,
que l'on mit au* bas du texte, on plaça les miennes à
la fin du volume, et Ton supprima tOus' les titres si
piquans des chapitres de cet ouvrage. Ces gaucheries
nuisirent au débit de ce livre, qui ne se vendit pas
avec la même promptitude que mes autres ouvrages.
Cependant on convint généralement que mes re-
marques étoient justes et pouvoient être* utiles à la
jeunesse. Je fis encore, dans lar me des Lions, le
plan de mon petit poème intitule la Jeunesse de Mmse^
ou les bergères de Madian. Ce fut M. Alibert qui me
conjura de traiter ce sujet; je le fis paroître quelques
mcHs après : le cardinal Maury, qui se connoissoit
g^l le -nomma son ministre plénipotentiare près le congrès des. Etat».
¥nis.— <2Voie cfe VEditeur.
en rtyle^ fut enthouBJ^o):^ de ce |tetili poëme y il me
disoit que c'est de tous me^ ouvrji^es le mieux écrite
et je le pense aussi.*
Je np donfffu point cet ouyi^age ,à Iliarnd^^ pa^ce
qae> pour ob%er madamie 4^ ^ion^ j'accordai la pfét?
fiérençe à un libraire avec leqi^l elle étpit en marçbj^
pour la traduption d'un roijo^ anglais, Je lui donnai
Jlfoue ^ Bfu Bf es pfii;r rî/B% à con4ifip5i qu'il prep-,
drpi|; la traducl^o^ ^e i^ia^qfie de 3oa ppiiyr. le prix
qu'elle çîi deœ^i^oit^
^'i\m ^mv.w^^ <\'Htt ftn à^^M we-^» Mçofti
Uu-^quç Çasifflic f e¥m|i de Yieijaifi^ Ce fat ^qrs q^ig
je lui ^61*4^ ^pp^pRété al)aq]|^e ^IjOH» «}Pf!.flWra|gç%
prapriété 49ny^pp^vc4ai çex^i^mgiitiiqptospf ^l^o^
gré san^ ^qun genre 4^ sçtupijlfî, pHiMPS j'awis
abi^n4Pi)né, 9$ng resi^riction^ ^ ma fa^nilte e\ dçpm^
l'ipstant de mon TOyage, mon dpWî^ et^i^fis q^fts
l'éprises sans en avoir jai^ais tpucbé ^ne fît)ql£..
Quelques mois* aprèf^ son rftto^ iifi Vienne,, nqu^
allftnfieçi noys établir dans un très-bel, appi^rt^ipept
rue. Heluétius, et^ ^'S^^. ^ ^^^<4^^ifi9>; ^^ 'Sqi^çn
Ann^ J'^ eu lasa^is^fion^dès^e; l^ndem^^ ^ la
re«itottr^t^ofl, 4e %ire effi|ç^r 4w^. cette rue ^e x^qqti 4u
• M. Horace Vernet eut la bonté de faîré> à la seconde édition de
cet onvrage,. le deann d^one estampe qui rqurésentanne des ploa !n-
térçivpa^tfft ^^^9^. ^^ poeiji?*. Op y«ât tçn^ ¥>n talent dans cette
charmante graTnre, et j*y trouvai de plas une preuve d*amîtié qui me
toncba soisiblement. La mienne tknu* lui et pour son aimable
compagne» n*a jamais varié.-- (iVb/« de VAuiaiwt.)
DB BiADAMB J}^ GENUS. 30i
p/dh^opAe, ejb d'y vét^\>\Ui celui de la sainte M. de
ehj^rbppnièreg, mon açai, r^tqijt wssi du préfet de
Paris ; ma preooièrp p^iijsée^ au inQfO^Qot de la rentrée
du voi, fut d'e^pfiui^ h M« de ChArbpnni^re» le désir
qua j'éprQU^oid de baç^ir Helvéti^a de notre rue;
M. de Cl^arboniiière^ obtint Bur^Je-rcb^mp cette grâce
du jir^t,.et j'ftHQ le pl^î^ e^^rém^ de voir gratter
le nom de Tauti^iiw 4'i^ Jw^ y^mmi^ et 4éte»table
sous t&a^ If» rapports i je descsmdît â§>m 1^ l'ue tout
exprès pauyjouûr de ç^ doux ^f^t^li^ et depuis je
n'ai jamab, jeté h& yeux sur qe ooiri 4e rm, je n'ai
jamais lu le nom pur et sacré qufij'y^^^^ ^ttraçer5
sans épT'Ouver la sensation la plu« agréable»
J['avot8 donné ma Botunique hiatonque et lUt&r
Toire, ouYfage rempli de recherche^^ de tjpente aps^ et
eoBune je n'y avois parlé qu'en géaéî»! de^ plwt^«
de la Bibk et de cellea qui portent les nov^ de per^
sonnagie&qui ont existé^ je fis, paur mon amu^ftmentt
particuUer, un ouvrage manuserit mt ces plautçs^
sous le titre de& huit Ihrbimrs : en conséquence, je
fis relier en maroqum un gros livre blani; in^4*^», imn
lequel j'ai peint quatre hm^er^ formait le p^Quiie^
volume des hait, que je voulois. fair^^ ces quatre
herbiers sont : V Herbier saoré^ eelui 44 h re€ipnno^-^
scmce et - de V amitié^ V Herbier hérétUiqu^, ^ui ooi9r
prend toutes les armoiries des famifles fransa^se^
dans lesquelles se trouvent des. végétaux ; j!ai a^asi
placé dans ce même herbier des devises antiques don
302 MÉMOIRBS
les végétaux forment le corps ; enfin, V Herbier d^or}
dans lequel j'ai placé toutes les plantes d'or dont
il est parlé dan» Thistoire. C'étoit, dans l'antiquité,
une coutume, et une magnificence très-commune
parmi' les souverains et les grands personnages,
d'avoir dans son palais une galerie ou un jardin arti*
ficiel rempli de plantés d'or; et de s'en envoyer réci-
proquement en présent. On a fait mille dissertations
pour deviner le sens allégorique de la fable des pom-
mes d'or, dé Vsl fable des Hespérides; les uns ont pré-
tendu que c'étoient des oranges,* leb autres des mou-
tons, dont les pommes d'or exprimoient le profit
lucratif y je crois avoir prouvé, dans une petite dis-
sertation, que j'ai fait imprimer il y a long-temps,
que tout simplement les pommes des Hespérides
étoient des potnmes d'or ; j'ai donc peint en or dans
mon Herbier d/6r toutes les représentations de végé-
taux faites de ce métal, dont j'ai troavé le détail dans
l'histoire, et le nombre en est considérable. Dans ce
livre, j'ai écrit dans chaque herbier le texte expli-
catif, et je l'ai orné de vignettes et de culs-de-lampe ;
j'ai peint toutes les plantes avçc un soin et une
vérité qui ont été loués par tous les artistes qui l'ont
vu ^'il y a même des vers inédits de moi. Ce gros
livre, magnifiquement relié, est certainement l'ua
des plus curieux et des plus précieux manuscrits qui
existent^ Comme il né m'a pas été possible d'y
travailler tous les jours, j'ai mis plusieurs années à
I DE MADAME D£ GBNLIS^ 303
It faire ; je Tai fini un jour très-remarquable : ce fut
celui où les alliés entrèrent à Paris, et où tout le
monde étoit dans le plus terrible ef&oi*. Je m'occupe,
dans ce moment, à faire le second volumef, qui fera'
suite à cet ouvrage; j'en rendrai compte un peu plus
tard. Outre l'ouvrage dont je viens de parler, je me
suis amusée à composer et à peindre cent soixante
devises tirées du règne végétal J.- J'ose dire que ces
devises sont d'une justesse parfaite : il n'y a point de
sentimens et de situations qu'elles n'expriment, etleà
objets qu'elles représentent mériteroient Thonneur
d'être gravés en recueiL Ekifin, depuis la restaura*
tion, j'ai fait sur le joli jeu de cartes de M. Athalin |]
environ cinq cents vers ; je les ai écrits de ma main
•
sur le revers des cartes ; je n'ai point fait, à mon gré,
de vers plus liEkciles et plus agréables f j'ai donné ce
jeu de cartes à Casimir. Ce fut dans ces appartemens
** Ce livre aujourd'hui appartient au roi, et se trouve dans sa
bibliotliéque particulière.
•f* Ce volume est en effiet commencé sous le titre de suite ou sûp-
plément, mais je n*ai pas encore pu le finir.
X Ouvrage qui est maintenant en Angleterre —(2Vb<£ff de
r Auteur,)
Il M. le colonel Athalin» nn des aides-de-camp de S. A«ll. monsei-
gneur le duc d'Orléans, a consacré ses loisirs à Texécution des plus
jolis dessins qui se trouvent dans le Voilage romaniique, en Norman-
die, publié par M. Charles Nodier et Taylor. Il est sans contredit
un de ceux qui réussit le mieux à dessiner sur la pierre lithographique,
et dont les heureuses productions font le plus d'honneur à cette
ingénieuse découverte — (iVbfe de V Editeur,')
304 MÉMOIASS D8 MÂDAMK DK GENLIS.
.de la rue Seinte-Anoe ^e «e fit le mariage de Casi-
mir : il épousa la fille de M* Carret^ maître des comp-
tes i Casimir aimoit mademoiselle Carret^ et elle le
méritoit, par sa xioble et belle figure^ son esprit et ses
vertus.
TABLE DES MATIÈRES
DU TOAIE Ci^QUIÈIf j^
A bon entendeor salut, ouvrage de madame de Genlii^ pa^t 50.
Alfred, Voyez Lemaire.
Alibert (le docteur), 26I9 ^09.
Alphonse, on le Fils naturel, ffi9fX9iigfàM nadane de Ganlii^mS.
Altona (la ville d') 48, 64, 66.
Alyon (M.), 106, 202, 203.
Alyon (mademoiselle), 106, 200^ 206.
Ameilhon (M.), 171, 186 H #tftv., 843, 245, 274 ; «a mort, 297.
Amenbl(^eD% ftvabt et depuis la révolatioB, 85 ^ nc<«.
Ami des arts et des talens (P), ouvrage de madame de GenHs, 20.
Anatole. Vùyêz Lawoestine.
Ancillon (M.), 123, 188.
Angevillers (M. d*), 108.
Annales de la vertn, ouvrage de madame dé Geslis, 106.
Anne d'Autriche, 178.
Antonin, cité, 216.
Arabesques mythologiques, ouvrage de madame de Geidis» 220.
Arabesques peintes par madame de Genlie^lOS» 220.
Arbre des réfugiés en Prusse, 33.
Arnoult (mademoiselle), 108. '
Arsenal (F), 108, 153, 170, 1«7» 1S4, 203, 207, 225, 243, 274, 205>
296.
Arts. Etat des beaux-arts depuis. la révolution, 141.
AssoiV^y (d*>, le poete^ 237.
Athalin(M.),303.
Aubantoo ^aoedome d^, 248.
Anbanton (mademoiselle d*), 247.
Auger (M.), 226, 227.
Bals champêtres, avant et depuis la révolution, 89.
JBaolui, présâdenft de la société royale de Londres, 298.
Barré (M.) poète, 194, 24^.
Barrois (M.), libraire, 297, 298.
Bauffremont (la princesse de), 256.
306 TABLE.
Bayane (le cardinal de), 144, 146, 148.
B€ai]0<>loi* 0^ comte de), 60, 61.
Beaulieu (Hyacinthe de), 199, 200.
Béliiaire, onvrage de madame de Genlis, 117, 211,212.
Béliiaire, ouvrage dé Marraontel, 212 et tuiv.
Bellegarde (madame de), 155.
Bergères de Madian, ouvrage de madame de Genlis, 299*
Berlin (la ville de), 1, 7^8, 37,44, 54,. 64, 123, 165.
Bemadotte (le maréchal^ roi de Suède),.152.
Bemadotte (la maréchale, refne de Suède), 150, 152, 219.
^ Bernard (madame), 40.
Beurnonville (le général), 52.
Bibliothèque des Romans, ouvrage périodique auquel madame de-
Genlis travaille, 93, 109.
BigniMi (M.), 268.
Biron, Voifet Lauzun.
Bocquet (madame^, 14, 15, 17, 18, 19, 33, 54, 63. ^
Bocquet (mademoiselle), 11 et euiv. 19, 28.
Bon (madame de), 112, 155, 300.
Bonald (M. de), 134, 135, 275, 276.
Bonaparte (madame). Voyez Joséphine.
Boasuet, cité, 160, 217.
Botaiiique historique, ouvrage de madame de Genlis, 302, 303.
Bouquets d^église, 3, 4.
Bourbon (madame la princesse de), 121.
Brady (le comte de), 298.
Brady (madame de), 195, 196, 293.
Brifiaut (M.), 155, 250, 255, 296.
Brochures de madame de Genlis, 233« 235.
Brosseron (madame dd), 112, 154, 246, ^47, 248, 293.
Bureaux d^esprit, 74, 163, 164.
Bussy (M. et Mme. de), 85.
Bruxelles (la ville de), 68.
Cabarus, ou Tallien (madame), l.'>5, 264, 265.
Cabre (M. de), 94, 146, 150, 152, 157, 190, 218, 219, 279.
Calvinistes, 166>
Campagnes de Napoléon. Il manquoit un historiographe pour les
écrire, 141, 143.
Cantique des fleurs, ouvrage de madame de Genlis, 209, 210.
Caractères. Manière fautive d*en Juger, 2.
Carafa (M.), compositeur de musiquç, 247 .
Canon de Nisas (M ). 1Ç2, 267.
Carret (mademoiselle), 304.
Casimir, 38, 50, 54, 68, 198, 200, 203, 204, 206, 208, 222,223, 224,.
249, 255,291,292, 293, 303, son mariage, 304.
Celle (Pnlchérie à^,209.
Champfort,228.
TABLE. 307
Çhaptal (M), 108.
Charbonnières (M. de), 157> 3(H.
Charlottembourgf, 53.
Chateaubrîant (M. de>, 140, 277 et êuiv.
Châteanjt, avant et depuis la révolution, 80.
Chfttenay (madame de), 153.
Châtenay (Victorine de), 153.
Chénier (André), 226.
Cherubini, compositeur de musique^ 137,
Chevreuse (madame de), 196, I97.
Chimay (la princesse de), 155.
^oiseuil (madame de), 153, 195, 256, 262.
Choiseuil-Gouffier (M. de), 140, 162, 262 eisuiv,
Choisy (l»abbé de), 173, 185, 186 .
Cohen (madame), 40, 41, 49, 53, 55, 56, 63.
Conscrits (Dialogrues de), 135.
ConsCTvatoire de Musique; opinion de madame de Genlis sur cet
établissement, 136, 137, 246.
Conti (madame la princesse de), 58.
Cariolis (M. de), 157.
Correa(M.), botaniste portugais, 298.
Correspondance de madame de Genlis avec Napoléon. 121, 124, 128,
131, 138, etsuiv. !-»>>>
Cottin (madame), 118.
Cour 5 lettre de madame de Genlis sur la cour, 128, 130s
Courchamp (M. de), 158.
Courlande (madame la duchesse de) 242, 256.
Cours d^Histoire et de Littérature, ouvraee de madame de Genlis»
220.
Courtanveau(M. de), 182*.
Crawfurd (M.), 112, 159
Crest (M. du), 189, 194, 221, 272, 273, 274.
Crest imadame du), 247, 272.
Crest (César du), 39, 69, sa mort, 107, 108.
Dangeau (le marquis de), 171, 180, 181.
Dangeau (les Mémoires ou le Journal de) 167, 169, 173, 177, 187.
Dangeau (l'abbé de), 181, 183, 186.
David (le peintre), 141, 149, 150.
Davis (M.), 142.
Deiiànt (madame du), 42^ 74.
Delagarde libraire, 35.
Delagarde (Mademoiselle), 36.
Delille (l'abbé), 22y 140, 154, 269, 270, 272^
Denon^ 163.
Desaugiers (M.), 247.
Deeoherny (M.)> 157.
Desfontaioes (M.), 194, 249.
306 T A B L E^
m
Desprez (M.), 1&9.
Destoarnel (M.)» 18d*
Dialogues ou Itînéreires ; ouvrage de Madame de GealiSy 20» 38.
Distraites, 160.
Dubos (Pabbé), 183.
Buchcsse de la Vallière, ouvrage de Madame d&Genlis, 1^ 111, llb*
Dnclos, 189. *
Dupaty (M.), 117, 249.
Daport, Violoncelle, 7, 8.
Dussàalt (M.), 140, 143, 159.
Duval (M. Alexandre), 117, 140.
Ecrits de Madame de Genlis, 11,. 20, 31, 32, 36, 50, 53, 93, 109^
110, 115,116, 117, 143, 166r209,211, 218, 220, 230» 233, 2^7,
268,297,299,301.
Emploi du Temps (1') ouvrage de madame de Genlis, 128.
Encyclopédie, èrfeurs qvHl contient, 217.
Ennemis de la France, leurs projets contre ce pays j^ e^ets de leur
haine^ 142.
Ermites des Marais Pontins, ouvrage de madame de GenUs» 94*
Espagne (la reine d') 149> 150, 151, 159, 219, 220.
Esterimsy (M.), 224.
^tourmel (le comte Joseph d*) 161, 255, 256, 296,
Estrade (le comte d*), 175.
Etienne (M.), 117, 140.
Etiquette, 80, 81, 82.
Felétz, (M. Tabbê), 210, 211.
Femmes (les), ouvrage de madame de Geivlis, 230.
Femmes Françaises avant, pendant et après la révoUiUco, 72, 77>
80, 83, 86.
Fêtes données à madame de Genlis, 246.
Fiévée (M). 32, 103, et *uiv, 109, 113, 143, 170, 260, 261.
Filhon (mademoiselle), 32.
Fmguerlin (M). 53.
FIahaut(M.), 108.
Fleurs Funéraires (les), ou la Mélancolie, ouvrage de madame de
Genlis, 32.
Fleurs de la Mythologie (les), ouvrage de madame de GenUs, 265.
Folliculaires et diécoureurs littéraires, 232.
Fontanes (M.), 100, 112, 115, 116, 140, 264.
Fontenelle, cité, 180, 184.
Foumel (M.), avocat, 92.
Frédéric II, roi de Prusse, 1 , «, 5, 7, 106, 107.
Fressinous (M. Pabbé), 145. :
Gall (le docteur), 257, et suiv,
. Gay (madame), 118.
TABLE. 309
tGenlis (M. de), 91.
Geoffiroy (le critiqne), 288, 289.
Georgrette, nièce de madame de Genlis, 190, 247.
Qerlach (mademoiselle), 31.
Gérard, peintre, 27, 141.
Girodet, peintre, 27, 141.
Girond (AlphoMe;, 266.
Gosaec, compositeur de Musique, 137.
Gros, peintre, 27.
Grotbus (la baronne de), 50.
Guérin, peintre, 27, 141.
Guimbarde, perfection dont cet instrument est susceptible, 7.
Guiugené (M.), 227, 228, 229, 230, 232.
Haingruerlot (madame), 154. . f,^
Hambourg^ (la ville' de), 3, 4, 64. ^f /
Harbourg (la ville de), 66. ^^^ • /
Harpe (M. de la), 20, 95, 97, ei miv, 120.
Harpe, effets produits avec cet instrument, 204, 205, 249.
Hanrille (jttadame d*), 153, 190.
Haugeom (mademoiselle), 51.
Helmina, jeune Allemande qui fiiisoit des vers, 106y 200.
Helvétius, 300, 301,
Helyétius (madame), 119.
Hénaut (le président), 173.
Henricbs, libraire, 93.
Henri (la princesse), 43.
Herbiers (les Huit), ouvrage de madame de Oenlis, ZOlieiMiiv.
Herz (madame), 40.
Hespérides (pommes d'or des), explicaition de cède fable, . 302 .
Heures, à l'Usage des jeunes personoess ouvrage de madame de
Genlis, 11, 106.
Histoire de Henri le ^rand, ouvrage de maitoine de- Gealis, 165^
167, 286.
Hofiman (M.), 167.
Hôtel Rambouillet, 73, 74.
Hôtel de Genlis, 71. >
Hydropisie, maladie coanBunc-à Ber4iii^ 55.
Ida ou le Jupon vert, ouvrage demadame deGenlis,,31,.117,/248.
Iffland, 51,
Influence des Femmes sur la Littérature Française, <mvrage de- ma-
dame de Genlis, 230, 231.
Itzig (mademoiselle), 18, 31| 32» 35, 43«
Jamoritz, 273.
Javary(M.),201.
Jeanneton, lettres écrites sous ce nom à madama de Genlis;. 196.
310
TABLE.
Jenoy, voyez Riquet.
Jérôme^ le prince, 265, 266.
Joly, acteur du YaDdeyiHe, 24d, 250
Jordan (M.), ami de Frédéric II, 5.
Joséphine (riœpératrice), 90, 150, 242, 243, 265.
Journal des Débats (le), cité, 210, 288.
Journal imaginaire, ouvragée de madame de Genlis, 268.
Jouy (M. de), 69.
Karschia (madame), poète allemand, 106.
Kénnens (madame), 154, 194, 267, 268.
KIopstoc](, 64.
Kosakoski (M.), 91, 240, 24 K
Laborde (M. de), 160, 161.
Laborde (madame de), 279.
La Borie (M. de), 156, 225, 226, 229, 231.
La Bruyère. Voyez Notes.
Lalande (M. de), 146, 147.
Langue, cbaogemens opérés dans le langage par la révolution, 75,
76, 77, 78.
Langue française, études de madame de Genlis sur cette lang-ue,
76, 289, 290.
Larcher (madame;, 291.
Lame (madame de), 248, 267. ^
Lascours (M. de), 161. ^
Lascours (madame de), 132, 153, 195, 197.
Lauzun (le duc de), 233.
Laval (la vicomtesse de), ,256.
LavaletteXM. de), 118, 169, 280.
Lawoestine{M. de), 66^ 67, 68.
-Lawoestine (Amable de), 222.
Lawoestine (Anatole de), 199.
Lebrun, 158, 159. (
Lép^lation primitive (la), 275 ei suiv,
Leipsick (libraires de), 49.
Le Loup et PAgneau, fable, 208, 209.
Lemair (Alfred), 205, 208, 222, 259, 298, 296.
Lenoir (M. Alexandre), 91, 92.
Lesneur, compositeur de musique, 137.
Lettre» d^une dame de province, à madame de Genlis, 201, â02.
L*Hôpftat ^le marquis de), 184.
Ligne (le prince de), 291.
Littérature (de la), après la révolution, 140.
Lits de Loulais, fondés à Thôpital de Stockholm, 10>
Lits sur le théâtre, 8, 9.
Lombard (M.), 40, 41, 44, 51, 52, 53, 57, 63.
Longueme^rabbé de), 183.
T A B L £. 311
Louis XIV, 110, 139, 168, 173 et ntiv.
Louis XYIII, 103,166.
Lutins de Kernosi (les), comédie de madame de Genlis, ÔO.
Luynes (la duchesse de), 168.
Madame de Maintenon, ouvrage de madame de Genlis, 115, 120.
Mademoiselle de Clermont, ouvrage de madame de Genlis, 94, 117.
Maintenon (madame de), 112, 171,172, 173, 177, 179.
Mairan, 185.
Maison rustique (la), ouvrage de madame de Genlis, 220.
Malencontreux (le), conte de madame de Genlis, 93.
Mallet du Pan,' 142
Maradan, libraire, 93, 95, 103, 197,300.
Marc-Aurèle, cité, 216.
Marcieu (mademoiselle de), 205.
Marigné (M.), 1 12, 163, 259.
Marmontel, 10, 212 «# «Ktv. ^
Mathiessen (madame), 64.
Maury (le cardinal), 133, 162, 299, 300.
Mayet (M.), 14, 63.
Méhul, compositeur de musique, 137.
Mémoires de Dangeau. (Voyez Dangeau.)
Mémoires du comte d^Estrades (Koyes Estrades.)
Mémoires historiques, conditions que doivent réunir ces sortes
d'ouvrages, 179, 180.
Mémoires de madame de Motteville, 180.
Mémoires de madame de Nemoui^ 180.
Mémoires du cardinal de Retz, 178. /
Mémoires du siècle de Louis XIV, 180.
Mémoires de Tourville, 180.
Méreau, compositeur de musique, 273.
• Mères rivales (les), ouvrage de madame de Genlis, 3», 36, 38, 93.
Meude Monpas (le chevalier), 27, 28.
Michaud (M,), 225, 226.
Michelet (madame), 37, 38.
Michelot (Pacteur), 249.
Millevoye (le poète), 156.
Mœurs (état des), sous la régence ; 139, 140; â la fin du règne de
Louis XV, 80, 84 j après la révolution, 83.
Monot, sculpteur, 91.
Monsigny, compositeur de musique, 190.
Montesquieu (madame de), 132.
Montesquiou (Anatole de), 197.
Montesson (madame de), 89, 90, 93, 95, 100, 220 ; sa mort, 221,
222.
Montholon (madame de), 154, 267. ,
Monumens religieux, ouvrage de madame de Genlis, 143, 145, 146.
Morean (M.), 194. ^
312 TABLE.
Naples (la reine de)j 149 voyes I^Épagnè.
Napoléon (l'emperenr), 109, 110, 112, 119, 121, 129, 14SF, 162, 166,
169, 170, 188, 190, 194, 219, 241, 242, 248, 261, 276.
Narbonne (M. de), 85, 256.
Necker (M:), 282.
Necker (madame^ 283, 287.
Noallles (M. de), 90, 9I> 92.
Nodier (M. Cbarles),l9&, 303.
Notes sur lia Bruyère, par madame de Genlis, 299.
Nuits d'Young (les), 14.
Octane ; tragédie allemande, 8, lO.
Octavie, tragédie de Marmontel^ 10.
Offémont (M. d') 247.
Orléans (la duchesse d*), 94 .
Orléans (mademoiselle d*), 58, 59, 123.
Oarrages de madame de Genlis, abandon 'qti*enë'ehfatt à Casimir,
300.
Paesiello, compositeur de musique, 137.
Page (vengeance d^un), 5, 6.
Palais-Royal, 89.
Paméla (Lady Fitagerald), 47, 48,^ 66, 154, 223, 224 .
Parandier (M.), 32.
Parvenus de la révolution, 72, 85. . . >
Petit La Bruyère, ouvrage de madame de^ânlîs, 106. -
Petits Emigrés (les), Ouvragede madame dé GthlvSj 11.
Peuples, ouvrages et chansons pouif lepettple, 136, 136,
Picard (M.), 804.
Pie VII (le pape) 143, 145, 146, 147.
Pierre (la), maladie commune à BerKb, 55, 56.
Pieyre(M.) 156, 204,233, ei *«*t?.268.
Pitcaim (M.), mari de Paméla, â24.
Plantes usuelles (les), ouvrage de madame de'Oeiitis; 301-^
Ploetz(M.), 41,42, 43.
Poésie, ce qui Palimente, 159.
Polignac (le cardinal de), 183, 184.
P^mimereuil (le général de), 236, ei iUiv.
Pontécoulant (M. et Mme. de), 68.
Potsdam, 29, 33.
Prusse (le roi dé), 165.
Radet (M.), 31,50, 159, 192, 193, l94j5M9i
Ràdzivîl (la princesse), 53.
Raguenet (Pabbé), 184, 185.
Ramdor (le baron), littérateur allemand, 66.
R£éânlier(mâdame), 200.'
. Réfugiés Français, 33.
T A B I. JB. 313
Religion (lettre deiMiduM de Gcalk ottIb), m.
Réiiiiisat(M. de), 109» 110, 170.
Rénrasat (ondMK de), 1 11.
Renommée (la) et fai critiqa^ dmlogMi en vert de M. Bnllkvt, «51,
et nûv.
Retz, (MémoHcs dm é>mwMm^i ^^^ 17g,
Riqnet (Jemiy), lô, Ifi, ».
Robadet (madame) 298,992
Robe^iene, 21.
Roeer(madaBe) 154, 967, 909.
Rois, 215^ 216
Romao, défiintioii de cette espèce de co mp omlioit, 217, 218.
Rooaaeaii (J.J.) 27,217,818,277,202.
RousmI (madame), 292, 296, 296.
Royon (Pabbé) 288.
Rosse (petite fille) presque SMiette, 11, 12.
Russie (l'emporenr de) 241.
Sabran (M. de), 160.
Saiote-Amie (madame de), 248.
Sainte-Anne (la rue}, 300, 301.
Saint-Lambert, 49.
Saint-Piérre (1*abbé de), 184.
Saignes (M.), 228, 229.
Saugrin (M.) 194.
Sans-Soncy, 1,2,8.
Schmalensée (madame de), 29, 36.
S^nr (le comte de), 114, 140.
Sennovert(H.de),162, 163.
Sberidan, 142.
Siège de la Rocbelle, ouTrage de madame de Genlls, 11?» 209.
Sieik, 60, 64
Sillery, 90, 92, 293,ef rato.
Sonnettes harmoniques des tronpeanx, en Allemagne, 33.
Soupers ayant la rérolntion, 80.
Sonyenirs de Félicie, ouvrage de madame de Genlis, cité, 63, 94,
118, 177, 210.
Staël (madame de), 140, 196, 281, et nUv,
Stockholm (la ville de), 10.
Stone (M.), 275.
Suard (M.), 20, 226, 235.
Suard (madame), '211.
Talma, 249.
TaUeyrand (le prince de), 44, 85, 119, 164, 165, 170, 256, 258.
Temps passé, temps présent 3 critique qu^en fidt madame de Genlis,
138.
Tendresse maternelle (la), on Péducation sensitlve, ouvrage de
madame de Genlis, 209,248.
314 TABLE.
Thadden (madame de), 18;
Thomas (M.)» 281, j r^ i ..«
Tombé Hannomease (la), ouvrage de madame de Geûlis, 42.
Tragédies Allemandes, 8, 9, 10*
Tremblaye(M. de la), 248.
Trencoil(M.de), 131, 132, 158, 169, 194, 169, 274,296.
Usages changés par la révolution, 79, 80, 83, 8&«
Usages mtroduits par la révolution, 84, 87, 88.
Un trait de la vie de Henri IV, ouvrage de madame de Genlis, H 6.
Valence (M* de), 90, 221, 265.
Valence (madame de), 68, 69, 85, 1 14, 266,
Vannoz (madame de), 154, 269.
Vaudreuil (M. de), 85.
Vengeance (la) et Tinnocence, conte, 32.
Vernet (Horace), 300
Vers de madame de Genlis, 107, 198.
VersmUes, 105, 107. , ^ , ^
Vie Pénitente de madame de la Valliére, ouvrage de madame de Oen-
lis, 116, , . .,1- t^A -lAA
Vieillesse 5 lettre de madame de Genlis sur la vieillesse, 124,. 128.
Villeterque (M.), 211 212.
Viole d'amour, instrument, 41.
Viotti,42.
Voitures avant et depuis la révolution, 87.
Volney, 2,
Voltaire, 5, 101, 173, 179, 210, 215,218,277,289.
VosB (le comte de), 33. , . « *
Voyageurs, manière dont ils jugent des hommes et des choses, 2, et
ntiv.
Westphalie (la reine de), 266.
Young (Arthur), 294.
Zell (M ) médecin, 13.
PIN DU TOME CINQUIÈME.
De nmprimcrte de G. Schulze, 13, PoUnd Strtet
.'<■.